Le Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes (CERMIM) a distribué cet été un lot d’engrais multi usage constitué de poudre de résidus de crabe, qu’il a fabriqué à même son Lab-Usine de Havre-aux-Maisons, dans le cadre d’un projet pilote. Le produit est destiné à un usage domestique. Il est issu d’une production expérimentale de 250 sacs de deux kilogrammes chacun, visant à explorer diverses options de valorisation locale des résidus marins.
Depuis trois ans, le CERMIM et ses partenaires ont investi trois millions de dollars dans un vaste projet de recherche et développement visant à détourner du Centre de gestion des matières résiduelles de Havre-aux-Maisons (CGMR) les quelques 1 200 tonnes de résidus annuels provenant des usines de transformation de poissons et fruits de mer du territoire.
Environ une tonne et demie de résidus de crabe, séchés et broyés au cours de l’hiver 2021-2022, ont notamment servi à la fabrication des 500 kg d’engrais. Une évaluation des besoins de la population, pour cerner l’ampleur d’une production de plus grande échelle, suivra cet automne. «Notre stratégie est d’analyser différentes avenues de valorisation des résidus marins des Îles et de développer un portefeuille de solutions, explique Marc-Olivier Massé, directeur associé du Centre. Dépendamment des conclusions, on verra dans les prochaines semaines si on passe le relais à nos partenaires industriels.»
POUDRE DE MOLLUSQUES
En parallèle, le CERMIM travaille en collaboration avec les agriculteurs madelinots sur diverses approches d’amélioration du rendement des cultures en champ, grâce aux résidus marins. Depuis 2019, un volume d’une centaine de tonnes de résidus de crabe et de homard cru et cuit est entre autres épandu chaque année sur les terres d’une ferme du territoire.
«On n’a pas mesuré de façon pointilleuse les rendements, mais le bénéfice est visuellement très clair, assure l’ingénieur-agronome Olivier Richard. Il s’agit d’engrais naturels riches en azote, phosphore, potassium et autres éléments mineurs essentiels à la croissance des plantes.»
De plus, il raconte que le Centre est à mettre au point une poudre de coquilles de palourde comme substitut à la chaux qui, elle, doit être importée du continent. «Les analyses de laboratoire démontrent que, pour contrôler l’acidité (pH) du sol, les coquilles de palourde ont un pouvoir neutralisant d’environ 90 %, affirme M. Poirier. Plus on en réduit la granulométrie en farine, meilleure est cette performance. Nos nouveaux équipements de broyage et de tamisage acquis ces dernières années pour le Lab-Usine et qui sont aussi bons pour le crabe, que le homard et les coquilles de palourde, nous permettent de maximiser cette granulométrie.»
Le CERMIM a aussi récemment entrepris des tests de broyage avec des coquilles de pétoncles, dont le pouvoir neutralisant est comparable, voire même supérieur, à celui des coquilles de palourde. Des analyses économiques, pour comparer les coûts d’importation de la chaux et les subventions gouvernementales qui y sont associées, au frais de manutention et d’équipements pour produire localement une poudre de substitution, seront menées d’ici le printemps prochain. «Du moins pour le volet palourde, souligne l’ingénieur-agronome. Pour évaluer le potentiel agricole des coquilles de pétoncles, il nous faut encore sonder l’intérêt des pêcheurs à les rapporter à terre plutôt que de les rejeter à l’eau, et en évaluer les volumes. Une étude d’impact du retrait de ces coquilles du fond marin pourrait aussi nous être demandée.»
Toutefois, les coquilles de palourde, comptant pour un volume annuel moyen de 60 tonnes, ne sauraient à elles seules combler la totalité des besoins locaux en chaux pour ajuster le pH des sols, prévient Olivier Richard. «Notre analyse économique va nous permettre de déterminer si, en économie circulaire, on peut fournir à nos entreprises agricoles un produit équivalent en termes d’efficacité, à coût équivalent», dit-il.
PROJET DE TERRITOIRE
D’autre part, le CERMIM prévoit bientôt soumettre une demande de financement gouvernemental pour la réalisation d’un projet pilote d’opération d’un séchoir industriel, adapté aux besoins des petites communautés côtières. Le système permettra de traiter une tonne à l’heure de résidus de crustacés, soit une capacité suffisante pour répondre à la demande du territoire madelinot, précise Marc-Olivier Massé. En comparaison, le séchoir du Lab-Usine, pour ses travaux de recherche et développement, a une capacité de séchage 10 fois moins élevée.
Le centre de recherche affilié à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) opérera l’équipement de calibre industriel en partenariat avec les usines du territoire sur une base pilote de deux ans. Ce faisant, des travaux de recherche seront confiés à des experts externes afin de s’outiller dans la gestion des odeurs et des eaux de procédés. «On a ajouté ce volet de recherche au projet pour s’assurer d’une intégration parfaite dans le contexte des Îles, explique-t-il. C’est ce qui explique les délais associés au dépôt de ce projet. On espère désormais être en opération pour la saison 2023.» Notons à ce propos que la Municipalité a dû repousser à trois reprises l’échéance initiale de janvier 2020, imposée aux usines de transformation du territoire, pour la mise en place d’une solution de rechange au traitement de leurs résidus marins au CGMR.
Par ailleurs, des travaux sont également en cours pour évaluer les propriétés mécaniques de différentes recettes de béton, auxquelles sont intégrés des résidus marins broyés et séchés, de même que du sédiment provenant des activités locales de dragage, en remplacement de certaines portions de ciment et/ou de sable. Différents ouvrages de génie civil, tels que des glissières de stationnement et des blocs de béton fabriqués dans l’archipel, sont ainsi soumis à des tests de résistance dans les laboratoires du Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI) de Sorel.
RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT – page 24 – Volume 35,4 Septembre-Octobre-Novembre 2022