L’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP) et l’Office des pêcheurs de homard des Îles se sont opposés pendant trois jours d’arbitrage devant la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, les 30-31 janvier et le 1er février, en vue d’établir le prix plancher final de la saison 2017. L’Office est insatisfait du prix des huit premières semaines de la saison parce qu’il ne tient pas compte de la valeur témoin du Seafood Price Current, inscrite à la convention de mise en marché depuis 1999.
Selon les calculs de l’avocat des pêcheurs, Me Claude Régnier, le manque à gagner s’élève à plus de 7,2 millions de dollars. «C’est beaucoup d’argent», dit-il.
Tel que stipulé par la Régie, l’Office fait valoir que la balise du marché américain n’est utilisée que pour avoir un aperçu des tendances et procure aux pêcheurs un levier de négociation. D’ailleurs, la formule d’ajustement des prix payés à quai, si l’écart avec cette balise est supérieur à 25 cents la livre, ne tient compte que d’une fraction du prix du Seafood Price Current, explique Me Régnier.
«Et on laisse volontairement de côté les catégories supérieures; deux livres et plus ne sont pas considérées dans l’établissement du prix. Et en plus, on enlève 25%, dit-il. Tout ça pour tenir compte du fait qu’on sait pertinemment que les acheteurs ne touchent pas le prix de référence indiqué dans le Seafood Price Current, qui sert seulement de témoin du prix du marché.»
RAPPORT D’EXPERT
Pour sa part, l’AQIP plaide, pour une troisième année consécutive, que la référence du Seafood Price Current n’est pas pertinente, parce qu’elle ne reflète justement pas le prix que reçoivent les acheteurs madelinots sur le marché. Son directeur général, Jean-Paul Gagné, affirme qu’elle menace leur viabilité et nuit à une mise en marché ordonnée. Il a d’ailleurs fait appel à une firme d’expert, PricewaterhouseCoopers, pour en faire la démonstration. «Je pense qu’on a fait une excellente démonstration, prouvant hors de tout doute que les ajustements que réclament les pêcheurs en vertu de cette balise conduisent les acheteurs tout droit vers des déficits, insiste-t-il. On ne peut pas demander à quelqu’un de donner ce qu’il n’a pas; c’est un proverbe latin. Le prix qu’on obtient, c’est là-dessus qu’on doit s’appuyer; pas d’autre chose.»
D’ailleurs, l’AQIP propose que les deux parties fassent appel à un comptable agréé indépendant pour vérifier la concordance entre les factures des acheteurs et leurs déclarations de vente soumises chaque semaine au comité de prix. «Le prix versé aux pêcheurs est basé sur celui des trois meilleurs vendeurs sur le marché, moins leurs ventes FOB usine (free on board ou sans frais à bord) qui font diminuer le prix. C’est, en soi, une balise raisonnable», soutient M. Gagné.
L’Office, en revanche, estime qu’accepter la proposition des acheteurs équivaudrait à mettre de côté la convention de mise en marché, l’essence même du Plan conjoint des pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine adopté en 1991. Selon Claude Régnier, elle se résumerait aussi à leur garantir une marge bénéficiaire brute de 15%. «J’ai assez d’expérience en agro-alimentaire pour savoir que des données de vente peuvent être manipulées, affirme l’avocat. D’ailleurs, aucune entreprise québécoise du secteur ne «surfe» sur une marge bénéficiaire aussi élevée; celle des Agropur, Loblaw, Lassonde, Saputo, Couche-Tard et compagnie ne varie qu’entre 3% et 9%.»
SUD-OUEST DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE
Pendant ce temps, du côté du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, les prises et les prix sont stables par rapport à l’an dernier, et ce, même si les conditions de pêche ont été exécrables, selon Stewart Lamont, directeur général de Tangier Lobster, près de Halifax. «Les pêcheurs ne sortent qu’une ou deux journées par semaine, tellement nous avons de vents et de froids extrêmes, souligne-t-il. C’est du rarement vu! Mais, leurs prises sont quand même significatives; c’est assez impressionnant.»
Entre la fin novembre et la mi-février, le prix payé à quai a progressé de 5,50 $ à 8,25 $ la livre. Pour M. Lamont, c’est un prix plutôt élevé étant donné que de 20 % à 30 % des captures sont dirigées vers les usines, leur carapace étant molle. L’acheteur néo-écossais calcule qu’il perd de 2 $ à 3 $ la livre sur le homard de catégorie B. «Dans un monde idéal, j’aimerais payer un prix A pour le homard de catégorie A et un prix B pour le homard de catégorie B, fait-il valoir. Mais, de nombreux acheteurs et de nombreux pêcheurs ne veulent pas s’embarquer dans un système de gradation de la qualité des crustacés au débarquement. Alors, c’est un sujet pour l’avenir.»
Cela dit, après la forte demande pour Noël et le Jour de l’An, le marché est toujours preneur, en cette saison du Nouvel An chinois et de la Saint-Valentin. «Tout se passe relativement bien», affirme Stewart Lamont. Son entreprise exporte 60 % de ses achats vers l’Asie, contre 40 % en Europe.
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 16 – Volume 31,1 – Février-Mars 2018