Une nouvelle recherche scientifique établit très clairement la relation de cause à effet entre l’augmentation des gaz à effet de serre et le réchauffement d’une part, ainsi que la perte d’oxygène des eaux profondes du Golfe-du-Saint-Laurent, d’autre part. En fait, cette étude internationale qui a été publiée dans la revue Nature Climate Change, à la mi-octobre, démontre que plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, plus il y a de perturbations dans la dynamique du courant chaud du Gulf Stream et du courant froid du Labrador, qui les poussent plus au nord.
L’océanographe physicien Denis Gilbert, de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), explique que les puissants ordinateurs de l’Agence Atmosphérique et Océanique des États-Unis ont été mis à contribution pour calculer le déclin du taux de saturation en oxygène qui s’ensuit, à mesure que l’eau qui pénètre dans le golfe se réchauffe. «Ça a pris neuf mois de calcul sur un ordinateur qui a l’équivalent de la puissance de 10 000 ordinateurs, qui tournait 24 heures par jour, 7 jours par semaine! Donc, ces nouveaux calculs permettent de mieux représenter la dynamique réelle de l’océan dans ce qu’on appelle les systèmes de simulation du climat de la terre», précise-t-il.
LE PROBLÈME S’AGGRAVE
On savait déjà depuis quelques années, grâce aux observations de Pêches et Océans Canada, que l’eau du golfe atteint des seuils record de chaleur à plus de 200 mètres de profondeur. Or, la nouvelle étude, menée par des chercheurs canadiens, américains et espagnols, en apporte non seulement la confirmation, mais aussi la preuve que la progression des émissions humaines de dioxyde de carbone en est la cause. «Dans la mesure où on continue de brûler autant de pétrole, au niveau de l’humanité, la problématique en question est appelée à s’amplifier, souligne M. Gilbert. Donc, c’est ce que ça nous apprend. C’est que ce n’est pas juste passager. Il faudra planifier en fonction du fait que ça va continuer à s’aggraver.»
La désoxygénation des eaux profondes du Golfe-du-Saint-Laurent réduit la superficie de l’habitat des espèces qui en dépendent, comme la morue. À 250 mètres de profondeur à l’est des Îles-de-la-Madeleine, par exemple, le taux de saturation varie entre 40 % et 50 %, alors que ce poisson éprouve des problèmes de croissance dès qu’il passe sous la barre des 70 %.
IMPACTS PLUS OU MOINS CONNUS
Les travaux de recherche en bassin, à l’IML, démontrent d’ailleurs que d’autres animaux à sang froid, tout comme la morue, dont le flétan du Groenland et la crevette nordique, ont un plus grand besoin en oxygène quand la température de l’eau augmente. Il est cependant difficile de savoir quel en sera l’impact sur certaines autres espèces commerciales pêchées par les Madelinots, telles que le sébaste et le flétan atlantique, en particulier.
Le problème, explique le chercheur Denis Chabot, spécialisé en écophysiologie, c’est que l’impact de l’hypoxie sur le sébaste n’a jamais été vérifié en laboratoire, parce que ce type de poisson arrive mourant quand on le remonte à la surface. Il dit que c’est parce qu’il supporte mal la décompression. «Les pêcheurs remarquent probablement, quand ils pêchent un sébaste, que les yeux sont exorbités et souvent, ils ont même l’estomac dans leur gueule, fait remarquer le scientifique. Alors, est-ce que ce type de poisson pourra encore bien faire dans de l’eau qui sera quelques degrés plus chaude et quelques pourcentages de saturation plus faible ? Ça, on ne peut pas le dire à ce stade-ci.» Chose certaine, pour l’instant, le poisson rouge ne semble pas affecté, compte tenu de l’explosion sans précédent de sa biomasse, mentionne M. Chabot.
Quant au flétan atlantique, le chercheur ne peut pas, non plus, se prononcer sur le sort qui attend ce gros poisson de fond, sous l’effet de la désoxygénation des eaux profondes du Golfe-du-Saint-Laurent. «Il y a beaucoup de flétan atlantique dans le 200 mètres et plus, dit-il. Mais, par contre, comme c’est un gros poisson, on n’a jamais eu l’occasion d’en apporter au labo pour étudier sa tolérance à l’hypoxie. Alors, je ne peux pas être particulièrement utile en parlant du flétan atlantique.»
Pour ce qui est du crabe des neiges, il s’agit d’une espèce très tolérante à la désoxygénation, affirme M. Chabot. Ce n’est que sous un seuil de 15 % à 20 % en oxygène dissous qu’il cesse de bouger et de s’alimenter.
RECHERCHE SCIENTIFIQUE – page 36 – Volume 31,5 – Décembre 2018 – Janvier 2019