Le stock de flétan atlantique du golfe du Saint-Laurent est à son plus haut seuil historique depuis que Pêches et Océans Canada en a amorcé le suivi dans les années 1980. Selon sa dernière évaluation scientifique, pour la période 2017-2018, plusieurs hypothèses sont sur la table, dont le réchauffement des eaux profondes du golfe, pour expliquer sa croissance.
Le biologiste Mathieu Desgagnés, de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), qui précise que ces hypothèses restent à vérifier, affirme que la progression de l’abondance du recrutement est tout aussi remarquable que celle des poissons matures, de taille commerciale. «Il y a des relevés qui sont de Pêches et Océans uniquement, et d’autres qui nous viennent du programme de pêches sentinelles, auquel plusieurs pêcheurs contribuent. Ça fait que tout dépendant du relevé, les chiffres peuvent varier, explique-t-il. C’est pour ça que, de manière générale, on dit que la plupart des relevés s’accordent pour dire qu’on est en augmentation, de souvent trois, quatre, cinq fois plus élevée, que ce qui était observé jusqu’ici.»
RELEVÉS À LA PALANGRE
Les relevés d’abondance du flétan atlantique se font traditionnellement au chalut. Or, depuis deux ans, M. Desgagnés peut aussi compter sur la collaboration de pêcheurs sentinelles à la palangre, qui étiquettent en moyenne 500 poissons par saison, pour en mesurer le taux d’exploitation. «On a fait 125 stations en 2017 et 2018, rapporte M. Desgagnés. Donc, chacune des deux années, 125 stations de pêche distribuées un peu partout sur le stock. On a mis des étiquettes, on a mesuré plusieurs poissons; ça fait que la qualité des données qu’on entrevoit avoir, à partir de ces relevés, est très significative.»
À ce propos, Mathieu Desgagnés prévient qu’il faudra attendre l’évaluation scientifique 2021 pour avoir une série temporelle pertinente, du suivi du flétan atlantique par ces étiquettes que lui rapportent les pêcheurs. Pour la saison dernière, ils ne lui en ont retourné que six, sur un potentiel de 500; ce qui illustre un faible taux d’exploitation, fait-il remarquer.
De plus, le biologiste de l’IML qualifie de précieuses les informations que lui procurent les scientifiques de l’Université du Québec à Rimouski et de l’Université Memorial, de Saint John’s, Terre-Neuve, grâce au suivi du déplacement de poissons dotés d’étiquettes électroniques (Pêche Impact Novembre-Décembre 2018). Une vingtaine de ces étiquettes ont pu être récupérées en septembre dernier, un an après leur déploiement.
AIRE COMMUNE DE REPRODUCTION
Il en ressort que la population de flétan atlantique du golfe du Saint-Laurent est structurée par aires d’alimentation. Le professeur-chercheur Dominique Robert, de l’Institut des sciences de la mer de l’UQAR, explique que les flétans étiquetés en Gaspésie, sur la côte ouest terre-neuvienne et à l’Île-du-Prince-Édouard, sont tous restés à l’intérieur de leur aire d’alimentation respective, du début avril à la fin novembre. «C’est intéressant de voir que, finalement, ils ne se dirigent pas de façon aléatoire dans le golfe, mais ils semblent vraiment attachés à certains secteurs, souligne-t-il. Si bien, que l’endroit où on a marqué un poisson, par exemple en septembre 2017, souvent l’étiquette satellite, lorsqu’elle se détache un an plus tard, c’est pratiquement au même endroit que l’endroit où on avait marqué le poisson.»
Or, bien que casaniers quand ils pourchassent leurs proies, les flétans des différents secteurs du golfe se réunissent tous au même endroit pour se reproduire, en hiver. Le chercheur spécialisé en écologie halieutique précise que ce lieu commun se trouve à la jonction du chenal Laurentien et du chenal Esquiman, sur le site Old Harry, convoité par l’industrie des hydrocarbures. «Au moins, de savoir que certaines zones sont une aire importante, par exemple, pour la reproduction d’une espèce, peut peut-être permettre d’éviter certains conflits d’usagers. Quand on a plus d’informations, on est en mesure de prendre des meilleures décisions, plus éclairées. Alors que si on ne connaît pas bien, à ce moment-là, c’est là qu’on peut faire de graves erreurs», affirme le professeur de l’UQAR-ISMER.
Dominique Robert amorcera un autre cycle de 12 mois de suivi électronique des déplacements du flétan de l’atlantique, en septembre. Cette fois, il étiquettera des poissons aux Îles-de-la-Madeleine et dans l’estuaire du Saint-Laurent.
PETITS POISSONS PLATS EN DÉCLIN
D’autre part, la situation est nettement moins reluisante pour les petits poissons plats de la zone 4TVn du sud du golfe. La mise à jour des indicateurs d’abondance de la plie canadienne et de la limande à queue jaune démontre qu’iI n’y a pas grand espoir pour leur survie. Le ministère des Pêches et des Océans constate que leurs biomasses commerciales, en déclin constant depuis la dernière évaluation complète de 2016, sont à leur plus faible niveau historique.
Le chercheur scientifique Nicolas Rolland, de la direction régionale du Golfe à Moncton, précise que, par trait de chalut, elles sont de cinq à sept fois sous la valeur de référence limite, établie en fonction des valeurs historiques du stock reproducteur. «C’est sûr que la tendance est assez inquiétante, dit-il. Et, la question, vraiment, qu’on peut se poser – autre que la mortalité naturelle qui est très élevée pour les deux populations – c’est est-ce qu’on veut continuer à exercer une pression sur ces populations pour alimenter des marchés d’appâts pour d’autres pêcheries? Est-ce que c’est un raisonnement qui va dans le sens d’un développement durable ou pas?»
En fait, le taux de mortalité naturelle de la plie canadienne et de la limande à queue jaune est surtout très élevé chez les poissons adultes, note M. Rolland. Pour la plie de plus de 10 ans, par exemple, il est passé de 22 % dans les années 1970, à plus de 39 % depuis 1995. «Le phoque (gris) est une hypothèse de prédation, indique le scientifique, tout comme les études sur la morue l’ont démontré. Donc, c’est sûr que c’est un prédateur qui peut avoir une influence non négligeable sur ces populations-là»
Malgré tout, au Comité consultatif du poisson de fond du Golfe, tenu à Moncton à la mi-mars, il a été résolu de maintenir les quotas en vigueur depuis trois ans; à 225 tonnes pour la pêche commerciale de limande à queue jaune, et à 250 tonnes pour les prises accessoires de plie canadienne, dont le stock est sous moratoire. Selon les données 2016 du MPO, ces quotas n’ont été atteints qu’à 39 % et 15 % respectivement.
BIOLOGIE – page 21 – Volume 32,2 Avril-Mai 2019