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Capture du crabe des neiges de la zone 12: une fin au grand ralenti à cause de la baleine noire

Les crabiers gaspésiens évoluant dans le sud du golfe Saint-Laurent ont vécu une saison de contrastes, marquée par un début canon durant les trois premières semaines de mai, et une conclusion de saison extrêmement ardue, en raison de la multiplication des fermetures de quadrilatères de capture attribuable aux allées et venues de baleines noires.

En juin, environ la moitié des secteurs habituellement fréquentés par les crabiers étaient fermés en même temps. Pour une seconde année de suite, une seule observation de baleine se traduisait par la fermeture de quadrilatères pendant deux semaines.

En gros, les crabiers ont capturé les trois quarts de leur quota durant le premier mois, et le dernier quart pendant le second mois. Un nombre significatif de crabiers ont laissé une partie variable de leur contingent à l’eau, parce qu’ils ont manqué de temps, la pêche s’étant terminée le 30 juin. Le quota individuel des crabiers traditionnels variait entre 285 000 et 325 000 livres, alors que le contingent global de la zone 12 s’est établi à 28 092 tonnes métriques.

Luc Gionest, de Pabos Mills, avait capturé 96 % de son contingent le 28 juin, avec 48 heures de capture pour le compléter. Il ne lui restait toutefois que 120 casiers à l’eau à ce moment, en raison de la nécessité d’avoir retiré ses 300 casiers à minuit, le 30 juin.

QUESTIONNEMENT NÉCESSAIRE

Il assure qu’il faudra changer certaines particularités de la capture pour tenir compte de la baleine noire.

«L’an passé, j’étais plus près du quota mais d’autres pêcheurs avaient eu de la difficulté à l’atteindre. Cette année, les quotas sont plus gros et le pourcentage d’exploitation de la biomasse était plus grand aussi. Lorsqu’on a établi le système actuel, on a pris pour acquis que les données sur la biomasse sont fiables, et je crois qu’elles le sont. Maintenant, on a une nouvelle donnée, et c’est la baleine. Les acteurs autour du dossier doivent se questionner pour tenir compte de cette donnée», note M. Gionest.

En d’autres mots, il serait mal avisé de ne pas examiner la pertinence de redéfinir certains paramètres de capture, considérant l’arrivée d’un nouvel «acteur», ou d’une actrice aussi importante.

«Les baleines affectent vraiment nos territoires de pêche. Étant donné l’imposition de la zone statique et des zones dynamiques d’interdiction de pêche, il se fait une pression supplémentaire dans les zones périphériques. Si le quota n’est pas trop élevé, la pression est moins forte. En plus, quand le quota est moins élevé, le taux d’exploitation est moins fort, selon les règles de l’approche de précaution adoptée il y a quelques années. Cette année. Le quota était très élevé, et le taux d’exploitation a été plus élevé. Il a été fixé à 40,6 %. Dans ces conditions, la pression est à   mon avis un peu trop élevée», analyse Luc Gionest.

«Cette question (du taux d’exploitation) va être débattue après la saison de pêche. Je m’engage à le faire. Il faut regarder ça et évaluer ça; il faut voir si on devrait diminuer un peu la courbe du taux         d’exploitation», indique-t-il.

Luc Gionest croit qu’une légère baisse du taux d’exploitation rendrait plus uniforme le contingent global d’une année à l’autre. Un autre facteur réduirait toutefois la pression de pêche en fin de saison.

BIOMASSE GRUGÉE

«Il faut ouvrir la pêche un peu plus tôt. C’est une pêche qui aurait dû ouvrir deux semaines plus tôt. Quand la pêche débute trop tard, et qu’il y a trop de secteurs fermés, la biomasse ne donne pas un bon rendement par casier. Quand il y a trop de secteurs fermés parce que les baleines sont présentes, on gruge la biomasse dans des zones périphériques, au risque de créer un déséquilibre. La zone statique n’a pas sa place dans la pêche. La zone dynamique fait sa job. Il n’y a aucun avantage à établir une zone statique», précise M. Gionest.

Il fait remarquer que les baleines noires sont encore une fois arrivées dans le golfe deux bonnes semaines après l’instauration de la zone statique. Il est d’avis que sans cette contrainte de 2 317 kilomètres carrés de superficie, les prises de bien des pêcheurs auraient été terminées avant la fin de la saison.

«Je suis allé créer une pression de pêche en dehors de la zone statique et des zones dynamiques qui aurait pu être évitée. Si on descendait légèrement le taux d’exploitation de la biomasse de 40,6 à 39,6 %, au lieu d’avoir des années en dents de scie, les contingents seraient plus égaux, on diminuerait l’impact des fluctuations sur les pêcheurs et les usines de transformation, on augmenterait le rendement par casier et on diminuerait le facteur de risque d’empêtrement. On amènerait une stabilité. Quand il (le taux d’exploitation) est trop élevé, ça prolonge la pêche. Plus il y a de bateaux à l’eau longtemps, plus il y a de cordages», illustre Luc Gionest.

Entre le 4 et le 30 juin, six baleines noires ont été trouvées mortes dans le golfe Saint-Laurent, et une septième était empêtrée dans des cordages, avec une équipe de sauvetage en déplacement pour tenter de la dégager.

«On pêche sous tension. On veut la protection des mammifères marins, ces pauvres bêtes (…) On peut y aller graduellement, pour les changements du taux d’exploitation», conclut M. Gionest.

RÉACTIONS AUX ÎLES

À deux semaines de la fin de la pêche au crabe des neiges dans le sud du golfe, selon les données préliminaires de Pêches et Océans Canada, les pêcheurs semi- hauturiers des Îles n’avaient capturé leur quota qu’à 70 %, contre 80 % à pareille date l’an dernier. En comparaison, la direction régionale du MPO à Moncton, rapportait un taux de capture de 87 % du contingent global de la zone 12.

PRESSION INDUE  

Pour sa part, Fruits de Mer Madeleine évaluait à environ 30 % la proportion des parts de ses crabiers toujours à l’eau à la mi-juin. Le directeur de l’entreprise, Pierre Déraspe, explique qu’il devait limiter leurs prises par voyage en mer, tout au long de la saison, pour éviter les pertes dues à un engorgement à l’usine.      

Il déplore l’ouverture tardive de la pêcherie à la fin avril, plutôt qu’à date fixe peu importe que tous les havres de pêche soient déglacés, d’autant plus que le taux de prises admissibles était en hausse du tiers par rapport à 2018. «Ça met une pression complètement inutile sur l’industrie pour que les gens soient confortables là-dedans, dit-il; pour que les employés aient des heures raisonnables, que les pêcheurs aient le temps de prendre leur quota en entier et pour que les usines puissent faire des productions intéressantes. Tout se suit.»      

Par exemple, Eudore Aucoin, crabier traditionnel de la zone 12, n’avait capturé que les deux tiers de son allocation individuelle de 300 000 livres, en date du 14 juin. Le capitaine du SANBRENDORE rapportait néanmoins une remontée du rythme des captures, en fin de parcours, après le ralentissement habituel associé à la période de reproduction de l’espèce. «À toutes les années, au niveau des prises de crabe, ça baisse en période d‘accouplement, selon les experts, explique-t-il. Ça cage beaucoup moins. Commencer la saison plus tôt, ça serait un plus. Parce qu’on commence la saison et aussitôt qu’elle est commencée, bien là, justement, c’est la période d’accouplement environ deux semaines après. Et, on sait qu’au mois d’avril, le crabe, il cage. Ça fait que, une des grandes solutions pour la prochaine année, c’est de commencer la saison plus tôt», insiste le capitaine Aucoin.

PROLONGATION REFUSÉE

D’ailleurs, le porte-parole des crabiers madelinots, Paul Boudreau, dénonce le refus d’Ottawa de prolonger la saison de pêche du sud du golfe jusqu’à la mi-juillet. M. Boudreau se désole de l’entêtement du Ministère à fermer la pêcherie, le dimanche 30 juin, sous prétexte de protéger les baleines noires alors que les mesures de gestion ont, à son avis, démontré leur efficacité en ce sens. «C’est à peu près sûr qu’il va rester pas mal de ressource qui ne sera pas capturée pour les pêcheurs madelinots, affirme-t-il. Il faut penser qu’en début de saison, le Ministère nous a fait poireauter pendant deux semaines, deux semaines et demie, en attendant que les ports soient déglacés au Nouveau-Brunswick; ce qui est complètement inadmissible!»      

Paul Boudreau juge d’autant plus irrationnel le manque de flexibilité pour les crabiers de la zone 12, du fait que le ministre Wilkinson fixe au 10 juillet l’ouverture de la saison de crabe de la zone 19 du Cap Breton, juste à côté. «Le 30 de juin, il y a trop de baleines pour laisser la pêche ouverte dans la zone 12, puis le 10 juillet il ouvre une nouvelle pêche dans la zone 19 qui est à un pied à côté de notre zone, ici. Ça fait que c’est complètement inadmissible, s’insurge-t-il. C’est une gestion complètement chaotique du Ministère.»      

La NOAA, l’agence atmosphérique et océanique américaine, rapportait alors la présence d’environ 185 baleines noires, dans le golfe du Saint-Laurent. C’est près de la moitié de la population de cette       espèce menacée de disparition, estimée à 410 individus.

PRIX STABLE      

D’autre part, le capitaine du MARC-OLIVIER, qui pêche également dans la zone 12, Marco Turbide, note que la ressource était mieux répartie que l’an dernier, sur les fonds marins. Et, puisqu’il livre ses prises à Terre-Neuve depuis quatre ans, il n’a pas eu à se restreindre sur les volumes par sortie en mer. «On avait des bonnes prises, du beau crabe, souligne-t-il. Je n’ai pas à me plaindre.» À la mi-juin, il ne lui restait plus qu’une trentaine de milliers de livres à capturer.

Quant à Marcel Cormier, capitaine du CAP ADÈLE, il qualifie de satisfaisante sa saison de pêche dans la petite zone 12F, qui avait débuté deux semaines plus tôt. Les prises par voyage en mer étaient stables par rapport à l’an dernier, dit-il, malgré la baisse de 16 % de la biomasse du stock dans ce secteur du chenal Laurentien. «C’était le même quota que l’année dernière, précise-t-il, et c’est presque le même nombre de sorties aussi; 12-13. Au niveau de la température, on a quand même eu une belle saison. C’était moins venteux que l’an dernier; on a eu peut-être un voyage ou deux que c’était un peu venteux, mais on pouvait pêcher quand même.»

Pour ce qui est du prix payé à quai, les pêcheurs parlaient de 5,50 $ la livre avant ajustement, à l’égal de la valeur finale record de 2018.

Le Sud du golfe – page 7 – Volume 32,3 Juin-Juillet-Août 2019

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Gilles Gagné
Gilles Gagné, né à Matane, le 26 mars 1960. J'ai fait mes études universitaires à Ottawa où j'ai obtenu un baccalauréat avec spécialisation en économie et concentration en politique. À l'occasion d'une offre d'emploi d'été en 1983, j'ai travaillé pour Pêches et Océans Canada comme observateur sur deux bateaux basés à Newport, deux morutiers de 65 pieds. Le programme visait l'amélioration des conditions d'entreposage des produits marins dans les cales des bateaux et de leur traitement à l'usine. Cet emploi m'a ouvert des horizons qui me servent encore tous les jours aujourd'hui. En 1989, après avoir travaillé en tourisme et dans l'édition maritime à Québec, je suis revenu vivre en région côtière et rurale, d'abord comme journaliste à l'Acadie nouvelle à Campbellton. C'est à cet endroit que j'ai rédigé mes premiers textes pour Pêche Impact, à l'été 1992. Je connaissais déjà ce journal que je lisais depuis sa fondation. En octobre 1993, j'ai déménagé à Carleton, pour travailler à temps presque complet comme pigiste pour le Soleil. J'ai, du même coup, intensifié mes participations à Pêche Impact. Je travaille également en anglais, depuis près de 15 ans, pour l'hebdomadaire anglophone The Gaspé SPEC et je rédige l'éditorial du journal Graffici depuis 2007.
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