Le chasseur d’algues Antoine Nicolas de Gaspé a pris part au 4e Chefs World Summit, aussi appelé Le Rendez-vous mondial de la gastronomie, qui s’est tenu à Monaco les 24, 25 et 26 novembre. Non seulement il était le seul cueilleur et transformateur d’algues présent à l’événement, mais le propriétaire de l’entreprise Un Océan de saveurs était aussi le seul producteur de produits de la mer.
Antoine Nicolas faisait partie de la délégation québécoise composée de dix producteurs agroalimentaires invités par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. Celle-ci incluait également le chef Stéphane Modat du Fairmont Le Château Frontenac et la cheffe Diane Tremblay de la Société des chefs, cuisiniers et pâtissiers du Québec.
Une continuité logique
«C’est un événement que je connaissais déjà parce qu’on avait déjà été sollicités par les organisateurs deux années de suite, mais on avait refusé parce qu’on n’était pas rendus là dans notre développement, indique Antoine Nicolas. Là, cette année, c’est quelque chose qui nous apparaissait comme une continuité logique.»
L’entrepreneur a partagé un kiosque avec les neuf autres producteurs de la délégation québécoise. Ils ont présenté leurs produits aux quelque 2 200 personnes du domaine de la restauration, curieuses de passer voir ce que font ces producteurs.
Pour le propriétaire d’Un Océan de saveurs, c’était l’occasion idéale de faire du repérage et du débroussaillage, question de sonder le marché. Quand le plongeur professionnel et agronome participe à des salons, c’est généralement pour écouter et cerner les besoins des consommateurs. À Monaco, c’était un peu pour le même principe, soit pour entendre ses interlocuteurs qui pourraient devenir ses futurs clients et pour vérifier comment il pourrait répondre à leurs attentes, s’il n’y répond pas déjà. «En termes financiers, je ne peux pas garantir d’avoir des retombées à court terme », nuance toutefois M. Nicolas.
Algues en flocons
Un Océan de saveurs a présenté ses algues en flocons. «On a trois familles: des algues brunes, des algues vertes et des algues rouges», précise Antoine Nicolas. Par conséquent, l’entrepreneur est parti avec de la laitue de mer pour les algues vertes, du bacon de mer pour les rouges et du kombu royal pour les brunes. «Une algue en flocons, c’est une algue séchée, décrit-il. Ça peut s’intégrer dans une recette aussi bien que du basilic séché ou que du persil.» Selon lui, il faut considérer les algues en flocons comme une épice.
Antoine Nicolas aime reprendre l’exemple du chef du restaurant L’Intimiste à Lévis, Andy Guffroy. «Il dit que quand il aide un de ses cuisiniers ou de ses aide-cuisiniers à faire une recette et que ça ne goûte pas grand-chose, il met un peu d’algues dedans, raconte-t-il. Ça sauve et ça remonte la recette. Il y a un côté exhausteur de saveurs dans les algues, autant par le côté des minéraux que du côté des glutamates qui sont naturellement présents. On vient, en fait, renforcer les saveurs. Donc, quand la recette ne goûte pas assez, on peut facilement ajouter des algues pour renforcer les propriétés de la recette. Quand on met des algues dans le chocolat, c’est la saveur du chocolat qui va ressortir.»
Des chefs du monde entier
Le Rendez-vous mondial de la gastronomie proposait trois jours de conférences, de débats ainsi que d’ateliers pratiques et interactifs animés par de grands chefs du monde entier et des experts du domaine sur 5 500 mètres carrés dédiés à des produits d’exception. Lors de ce congrès international, des chefs renommés ont échangé sur l’évolution de leur métier et sur des sujets sur lesquels ils considéraient urgent d’intervenir.
Pour les organisateurs, il s’agit d’un prétexte pour écrire la gastronomie de demain en fonction de tous les profils de restauration. Sous le haut patronage du prince Albert II, ce happening de l’art culinaire avait aussi comme objectif de former et d’inspirer la nouvelle génération de chefs, de chefs pâtissiers, de chocolatiers ainsi que de professeurs et d’élèves d’écoles de cuisine et hôtelières. Par ailleurs, l’événement héberge un concours de cuisine organisé par Les Cuisiniers de France pour l’obtention du trophée du prince Albert II de Monaco.
Le Rendez-vous abritait trois pavillons : québécois, italien et réunionnais. «Connu surtout pour ses grands espaces, terres d’aventures et de culture, paradis de chasse, de pêche et de découvertes, le Québec est bien jeune à l’aube de ses 500 ans, pouvait-on lire dans la présentation du pavillon québécois. La culture culinaire québécoise est le résultat d’une constante évolution inspirée par les Amérindiens, les Français, les Britanniques et les Américains. À la base même de son identité culinaire, on retrouve des ingrédients uniques. Par exemple: champignons indigènes tels que le lactaire camphré qui a le goût de l’érable, petits fruits (bleuet sauvage, canneberge, amélanche, camerise, argousier, sureau, etc.), épices boréales (poivre des dunes, chardon vulgaire, sumac de vinaigrier, thé des bois, mélilot, etc.), sans oublier la sève d’érable. Cette culture culinaire est portée avec brio et fierté à travers le monde par des chefs exceptionnels tels que Stéphane Modat, Normand Laprise, Colombe St-Pierre et Charles-Antoine Crête.»
Jusqu’à dix employés pour Un Océan de saveurs
Seul travailleur à temps plein, le propriétaire d’Un Océan de saveurs peut compter sur un employé à temps partiel. «J’ai des employés ponctuels selon les besoins, spécifie toutefois Antoine Nicolas. On monte jusqu’à dix employés dans le pic de la saison et quand il y a des salons à faire».
L’emploi n’est d’ailleurs pas un problème pour l’entrepreneur. «Très franchement, on refuse du monde parce que je n’ai pas la capacité de leur fournir du travail en quantité suffisante, admet-il. Il y a des étudiants à la maîtrise qui veulent faire leur stage ici. Il y a des gens qui me contactent de l’international pour venir faire leur stage. La problématique, c’est aussi parce qu’on est en Gaspésie. Sans voiture et sans transport en commun, on ne peut pas vraiment faire un stage.»
Un Océan de saveurs travaille aussi avec des prestataires. «Ça veut dire que quand on a des gros volumes à sortir, on travaille avec des entreprises existantes, explique M. Nicolas. On travaille avec Les Pêcheries gaspésiennes pour pouvoir faire de la transformation et de la congélation dans les périodes un peu plus creuses. Je considère qu’une entreprise vit dans un écosystème et que nos clients, nos fournisseurs, nos prestataires et notre réseau nous permettent de fonctionner et de vivre adéquatement. C’est gagnant-gagnant!»
160 points de vente
L’entreprise de Gaspé comporte plusieurs volets, dont celui de la distribution qui répond aux besoins des restaurateurs et celui de la consultation que M. Nicolas considère comme sa «vache à lait». «Ça permet de dégager des liquidités pour réinvestir dans l’entreprise», explique-t-il.
Au cours des dernières années, Un Océan de saveurs a connu une augmentation de son volume d’algues de 80 à 100 % par année. Les produits sont disponibles dans plus de 160 points de vente à travers le Québec et plusieurs autres ailleurs dans le monde, dont en Suisse et au Michigan. Les algues sont aussi distribuées dans un point de vente au Nouveau-Brunswick. «On a des demandes pour d’autres points de vente, affirme l’entrepreneur. Ça continue.» Son objectif est de devenir un leader sur le plan de la production d’algues au Québec, tout en perçant graduellement le marché international.
150 chefs
Un Océan de saveurs travaille avec plus de 150 chefs du Québec. «Notre fer de lance, c’est le restaurant Chez Boulay avec Arnaud Marchand, souligne fièrement Antoine Nicolas. C’est vraiment le chef et le restaurant avec qui on travaille depuis le plus longtemps sans interruption. On a toujours été sur la carte de son restaurant depuis presque huit ans. Il nous a toujours gardés sur sa carte avec les flocons. On est même dans les recettes de son livre de cuisine «Le garde-manger boréal». » On y trouve trois recettes aux algues et une petite préface sur le producteur en hiver puisque le plongeur récolte aussi des algues pendant la saison froide.
Parmi les autres restaurants réputés qui utilisent les algues d’Un Océan de saveurs, notons Le Clocher penché de Québec, Le Toqué! de Montréal, la Maison Boulud du Ritz Carlton de Montréal, Le Saint-Amour de Québec et le Laurie Raphaël de Québec. «La liste est très longue», finit par dire l’entrepreneur.
Seul producteur d’algues biologiques
Antoine Nicolas insiste: Un Océan de saveurs est le seul producteur d’algues certifié biologique au Québec. «C’est notre autre marque de commerce, signale-t-il. Pour être biologique, il faut être certifié. Ça veut dire qu’il y a plus de contrôle sur le plan de l’environnement. On est certifiés sur les récoltes et dans la transformation. L’inspecteur, sur la zone de récolte, vient voir comment on travaille. Il analyse nos secteurs de récolte pour savoir si oui ou non ils peuvent être certifiés biologiques. S’il y a un terrain de golf à côté, je ne pourrais pas être certifié. Je ne pourrais pas aller récolter des algues à Montréal et être certifié biologique parce que les eaux ne sont forcément pas les mêmes. Des tests d’eau et de produits peuvent être faits pour vérifier s’il y a des contaminants. On n’a pas le droit d’utiliser n’importe quel produit pour la sanitation des locaux. C’est très encadré. Il y a un cahier de charges qui garantit la qualité du produit, autant sur le plan de la récolte que sur le plan de la transformation.»
Pour plus d’information sur Un Océan de saveurs : https://oceandesaveurs.ca.
GASTRONOMIE – pages 38-39 – Volume 32,5 Décembre 2019 – Janvier 2020