La Ferme maricole du Grand Large a diversifié ses activités dans la production d’huîtres afin de contrer les difficultés que rencontrent l’élevage de moules bleues. Une décision salutaire.
LE BLUES DES MOULES BLEUES
L’entreprise de Carleton-sur-Mer produit encore des moules bleues d’avril à octobre dans la Baie-des-Chaleurs. Après des décennies dans le domaine, le mariculteur Éric Bujold fait toujours face au problème majeur de la prédation aviaire dans ses filières de mollusques.
«Les canards détruisent nos élevages. Ce sont surtout les macreuses à front blanc et à bec jaune aussi. Ils détruisent tout et on tente, par nos nouvelles filières munies d’une cage circulaire, de protéger les moules qui y grandissent. La prédation des canards est la principale problématique de notre industrie en ce moment. Plusieurs entreprises ont fermé pour cette raison et pour d’autres raisons, mais ça reste le gros défi. Ici, dans la Baie-des-Chaleurs, 4 petites entreprises tentent de trouver des solutions. C’est la même chose aux Iles-de-la-Madeleine qui font face à cette prédation aviaire» explique Éric Bujold, mariculteur de longue date.
L’industrie de la mariculture demeure fragile. Il existe à peine une dizaine d’entreprises qui essaient de produire des moules au Québec en 2019.
L’année 2019 ne passera pas à l’histoire pour la production de moules, une année où Éric Bujold a installé des filières avec des cages expérimentales pour permettre la survie de sa production.
«Notre objectif avec nos 8 lignes étaient de récolter 50 000 livres de moules bleues mais la réalité fait en sorte qu’on a seulement pu en sortir près de 30 000 livres. Mais comme ce sont des cages expérimentales, les rendements ne sont pas égaux et optimum aussi. On est en expérimentation et on n’a pas de réponse pour ça».
Les marchés
Cette année encore les marchés de la moule bleue de la Ferme maricole du Grand Large sont limités par de petits volumes. On doit se résoudre à n’offrir le produit que sur les marchés locaux que sont la Gaspésie et le Bas St-Laurent.
«C’est dommage car on en veut des moules du Québec, explique Éric Bujold. On a un produit qui se distingue des autres produits. Notre moule est en demande et le fait que ce soit un produit du Québec c’est très recherché par le consommateur d’ici. Mais nous n’avons pas assez de volumes pour fournir les marchés sur une longue période. Alors on offre surtout nos moules en Gaspésie. On aimerait en profiter plus mais on ne peut pas.»
La production de moules bleues au Québec est marginale si on la compare avec celle de l’Île-du-Prince-Édouard où plus de 30 millions de livres sont produites annuellement. Ici, on arrive difficilement à atteindre les 100 000 livres. Bon nombre d’entreprises ont fermé au cours des dernières années dans cet élevage qui semblait si prometteur à une certaine époque.
En 2017, selon le ministère Pêches et Océans Canada, la production québécoise s’élevait à 274 tonnes pour une valeur de 566 000 $ alors que la production totale canadienne représentait 24 448 tonnes pour une valeur de plus de 36 millions $.
Rappelons-nous les rêves de développement de l’aquaculture et de la mariculture qu’avait le monde politique québécois qui disait que : « La Gaspésie sera la Norvège du Québec ».
Éric Bujold fait preuve de beaucoup de résilience en poursuivant l’élevage de moules à Carleton-sur-Mer. Pour étendre les marchés, il faut produire plus et pour produire plus il faut au plus vite régler le problème de prédation.
DES SOLUTIONS À L’HORIZON
Le Fond des pêches du Québec est un espoir pour les mariculteurs. Mais le manque de soutien technique pour solutionner la prédation est un obstacle.
«Pour ce qui est des nouvelles cages, nous faisons ça tout seul, sans aide technique et financière. Ce qui nous limite. On le fait avec essais et erreurs, explique Éric Bujold. Avec peu de moyens financiers, on ne dispose alors seulement que de 4 filières avec ce procédé expérimental que sont les filières protégées par une cage pour contrer la prédation des canards.»
Pour le moment, il ne semble pas y avoir de solution probante pour assurer la pérennité de l’élevage de moules bleues dans la Baie-des-Chaleurs et ailleurs au Québec.
«Si j’avais une solution on serait en production. On s’approche d’une piste avec la cage mais on fait face à un problème de productivité. Des cages nous donnent 1 000 livres de moules et d’autres à peine 200 livres. On ne comprend pas, affirme Éric Bujold. On ne sait pas si c’est dans notre manipulation, rien ne nous indique la réponse à ce problème de productivité.»
Un autre défi est celui du réchauffement de l’eau. «Ça pourrait peut-être nous aider mais on ne peut pas le mesurer. La raison est simple nous n’avons pas assez de moules en production car les canards les mangent, raconte Éric Bujold. Une eau plus chaude pourrait nous aider à avoir une croissance plus rapide mais les autres prédateurs vont en profiter eux aussi. On rencontre des espèces compétitrices en plus grand nombre en ce moment.»
L’AVENIR DES MOULES
Tout reste donc à faire pour contrer la prédation et les nombreux impacts sur les élevages encore existants.
«Pour l’avenir de la production de moules, nous voulons proposer des projets au Fonds des pêches du Québec. L’an prochain j’ai encore un 50 000 livres à récolter si tout va bien pour 9 filières. Mais on ne peut jamais faire des prédictions dans ce domaine. On doit tenir bon, et lorsqu’on aura trouvé une solution pour la prédation du canard, on pourra avoir une belle production profitable» croit encore Éric Bujold.
Les huîtres à la rescousse
Pour une quatrième saison, la Ferme maricole du Grand Large fait l’élevage des huîtres, et dans cette production, tous les espoirs sont permis.
C’est William Bujold (le fils de Éric Bujold) qui a donné un nouveau souffle à l’entreprise familiale éprouvée par les problèmes dans l’élevage de la moule.
«La raison de se diversifier dans les huîtres c’est à cause de la prédation des canards dans les élevages de moules. J’ai convaincu mon père de participer à l’entreprise en faisant ce qu’on appelle l’affinage des huîtres. On achète des huîtres de taille commerciale et on les «acclimate» dans nos eaux de la Baie-des-Chaleurs. Le but est de changer le goût et la chair. Ensuite, on les offre sur les marchés tout au long de l’été et de l’automne. J’ai investi dans cette aventure, et ça fonctionne bien», explique William Bujold.
Au printemps 2019, avec plus de 90 000 huîtres mises à l’eau l’automne précédent, la saison a commencé plus tôt que prévu, vers la fin avril. Avec le rachat de 150 000 autres unités au printemps, les producteurs pouvaient entamer la saison 2019 pour ainsi répondre aux demandes pressantes d’un marché en pleine croissance.
«On a eu une très bonne saison cette année, sans mortalité. On a produit pas mal ce qu’on voulait et la réponse est encore plus grande que ce à quoi je m’attendais de la part des clients de l’Est-du-Québec» raconte William Bujold, mariculteur.
Mais l’élevage des huîtres n’est pas si simple. Plusieurs facteurs viendront déterminer le succès des récoltes.
«Avec plus de 200 lanternes (des petits casiers suspendus sur filières), on va commencer l’an prochain en force, et on espère débuter le plus tôt possible, affirme William Bujold. Mais comme toujours, c’est la météo qui décide, on ne sait jamais. Cette année par exemple, on a dû terminer plus tôt à cause du froid précoce. On a sorti le bateau quelques semaines plus tôt que prévu.»
Les clients pour les huîtres sont de plus en plus nombreux. Les restaurants sont la cible privilégiée des éleveurs de Carleton-sur-Mer. «Cette année, ce sont les restaurateurs de Montréal qui ont augmenté les achats de nos huîtres. Ceux de la région de Québec ont moins commandé. En plus, il ne faut pas oublier que nous vendons aussi au comptoir ici à Carleton-sur-Mer et en Gaspésie où l’on a connu une augmentation des ventes. Contrairement aux années précédentes, il n’y a pas eu de ralentissements à la fin de la saison estivale», explique Éric Bujold.
Pour 2019, l’entreprise a écoulé plus de 230 000 huîtres vendues en moyenne 1,20 $ l’unité. Elles sont vendues en Gaspésie, au Bas-Saint-Laurent, à Montréal et Québec. Cette année représente une bonne saison qui compense pour les difficultés dans la production de moules bleues.
«Une chance que nous avons diversifié dans les huîtres, car l’avenir des moules était très incertain et mettait en danger notre entreprise, explique William Bujold. Et maintenant on a des nouveaux marchés qui sont contents des produits, mais aussi de notre approche. Quand un restaurateur nous appelle, il parle à moi et à mon père. Il sait qu’il a un service personnalisé, car on est une entreprise familiale, et ça, c’est un avantage pour nous auprès des clients.»
Notons que l’engouement pour les huîtres est palpable un peu partout depuis quelques années. En 2017 la production québécoise était de 349 tonnes métriques, équivalant à 1,7 million $, alors qu’au Canada les 13 800 tonnes métriques produites représentaient une valeur totale de 45 millions $, selon le ministère Pêches et Océans Canada.
Les défis de demain
Les Bujold s’approvisionnent actuellement en huîtres chez un seul fournisseur des Maritimes. Ils affinent ces huîtres à quelques kilomètres en mer, au large de Carleton-sur-Mer. Mais cette situation pourrait aussi changer dans les prochaines années.
«On achète des huîtres de taille cocktail d’environ 4 ans, on les met en mer, et on obtient un changement de goût et de texture, explique Éric Bujold. Là, notre défi est de trouver des sites de croissance pour y élever des huîtres plus petites et les faire grossir deux fois de plus ici avant de les commercialiser».
Avec des marchés qui sont friands des huîtres, on assiste à une concurrence grandissante dans le secteur ostréicole. Il faut donc se distinguer avec des produits de qualité et un service hors du commun.
Pour William Bujold l’avenir est prometteur. «Je vois le futur d’un bon œil. On va continuer dans les huîtres en grossissant notre production au maximum de nos capacités. Le défi sera d’attirer de nouvelles entreprises dans le domaine ici en Gaspésie, et de créer une synergie pour avoir des produits en quantité, reconnus pour leur qualité».
MARICULTURE – pages 28-29 – Volume 32,5 Décembre 2019 – Janvier 2020