L’adaptation du chalut de fond en chalut semi-pélagique pour améliorer la sélectivité de la pêche au sébaste s’annoncerait plutôt simple et abordable financièrement. C’est, du moins, ce qu’affirme Damien Grelon, chercheur industriel chez Merinov, qui travaille depuis 2016 à identifier les techniques et méthodes de pêche qui répondent le mieux aux attentes des pêcheurs et des gestionnaires de la ressource.
Le biologiste explique que c’est ce que lui a permis de conclure des tests menés en collaboration avec le capitaine du MERIDIAN 66, Dan Cotton de Rivière-au-Renard, à l’automne 2018 et au printemps 2019.
«On a des panneaux d’écartement qui permettent de contrôler l’ouverture horizontale du chalut, expose M. Grelon. Et, pour l’écartement vertical, ce qu’on fait, c’est qu’on laisse aller la partie basse du chalut, qui s’appelle le combiné du bas ou le faux-bourrelet; c’est une partie plus pesante qui va couler. Puis, sur le dessus du chalut, on va ajouter des flotteurs et donc là, ça va tirer vers le haut. On appelle ça la connexion française, ou la connexion à fourche, qui consiste à brancher le bas du chalut sur les panneaux d’écartement, et le haut du chalut est branché directement sur les câbles au-dessus des pans. C’est juste du tricot à faire; finalement, ça prend juste l’acquisition de câbles supplémentaires et de quoi les brancher ensemble.»
Dans cette nouvelle configuration, Damien Grelon précise que seuls les panneaux d’écartement touchent le fond. Le chalut, lui, se trouve levé dans la colonne d’eau, ce qui permet d’éviter les remous qui font réagir les poissons, comme les flétans et les turbots, les faisant se lever et entrer dans le filet. «Si on a un engin dont le filet ne touche plus le fond, cet engin-là ne va pas capturer les poissons qui sont posés sur le fond; il va leur passer par-dessus la tête sans les perturber», fait-il valoir.
Le biologiste souligne d’ailleurs que ce système de sélectivité a permis de réduire à seulement 1 % le taux de prises accidentelles lors des essais en mer avec le capitaine Cotton. De son côté, l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) enregistre une moyenne de 9 % de captures accessoires au fil des ans, avec le chalut de fond traditionnel utilisé pour ses relevés de suivi scientifique. «Mais chaque expérience a ses limites et, dans un monde idéal, j’aimerais refaire l’expérience avec beaucoup plus d’échantillonnage pour dire : effectivement, on atteint des taux de captures accidentelles de tant, on l’a répété tant de fois, dans telles zones différentes; on a eu ça comme résultats garantis, preuves à l’appui», indique Damien Grelon. Mais il admet qu’il n’y a aucun projet sur la table pour donner cet effort scientifique supplémentaire, afin de valider hors de tout doute les tendances observées à bord du MERIDIAN 66.
Quoi qu’il en soit, le chargé de projet de Merinov affirme que l’enjeu du mode de chalutage du sébaste ne se limite pas qu’à celui des captures accidentelles. À son avis, il en va surtout de son impact sur l’écosystème marin et de l’écocertification de la pêcherie pour répondre aux exigences du marché. M. Grelon insiste sur le fait que la pêche au chalut a mauvaise presse et que les campagnes de salissage peuvent faire très mal. «L’image de la pêche – et aux Îles-de-la-Madeleine vous êtes très conscients de ce qui s’est fait autour de la chasse aux phoques – c’est un aspect sur lequel il faut travailler assez de bonne heure, pour pouvoir amener une image positive de l’activité.»
S’ADAPTER À LA RÉALITÉ
Pour leur part, Dan Cotton et son confrère madelinot Marcel Cormier, capitaine du CAP ADÈLE, conviennent que le modèle d’adaptation du chalut de fond en chalut semi-pélagique proposé par Merinov s’annonce plus abordable qu’une conversion complète au chalut pélagique. Selon leurs calculs, on parle d’un investissement d’environ 65 000 $ pour les panneaux d’écartement et le système électronique de capteurs pour le monitorage de la hauteur du filet dans la colonne d’eau.
En comparaison, l’acquisition d’un chalut pélagique coûte au bas mot 100 000 $, sans compter le système de visualisation, ni les frais pour l’adapter à la flotte semi-hauturière. «La facture globale dépasserait le quart de million de dollars, soutient M. Cotton, parce que nos bateaux ne sont pas adaptés au chalut pélagique. Ça prend un enrouleur différent qui soit plus avancé sur le pont, pour permettre d’écarter les ailes afin d’éviter que le chalut ne s’emmêle. Mais le bateau n’est pas configuré au départ pour ça. On pourrait toujours modifier le portique, par exemple, mais il faut que ce soit quelque chose de moins compliqué à aménager, si on veut pouvoir tout enlever pour les autres pêches.»
À ce propos, Marcel Cormier dit espérer que Pêches et Océans fera preuve de souplesse, même si les panneaux du chalut semi-pélagique touchent le fond. «D’autant plus que la semelle d’une porte n’a que 6 à 15 pouces de large, dépendant de l’angle d’attaque qu’on lui donne, fait-il remarquer. Sur le fond de l’océan, c’est infiniment petit par rapport au filet qui peut faire 130 pieds de large et plus. Et, surtout, c’est plus abordable que de transformer les bateaux. C’est important de penser à rentabiliser la pêcherie sans trop nous endetter.»
Le capitaine du CAP ADÈLE mentionne également qu’à l’origine le chalut pélagique est un engin de pêche conçu pour les gros chalutiers, comme ceux qu’opérait Madelipêche à l’époque. «Le design de ces bateaux de 125 à 150 pieds était spécifique aux accommodements du pélagique, comme les treuils, les enrouleurs, les poulies, les cordages, les fils électriques et tout le reste. En plus, c’étaient des bateaux assez pesants – de 350 à 400 tonnes – qui avaient une bonne force d’inertie permettant de bien garder le chalut au-dessus du fond marin, sans le toucher; ce qui est plutôt difficile à atteindre avec nos bateaux de la flotte semi-hauturière qui ne pèsent en moyenne que 125 tonnes», raconte Marcel Cormier.
À ce sujet, la ministre Bernadette Jordan qualifie de «très, très valables», les préoccupations des pêcheurs. «Ce sont toutes des choses que nous entendons de la part de l’industrie et que nous prendrons en considération avant qu’on ne prenne des décisions finales, déclare-t-elle. Et, bien que nous sommes encore très tôt dans le processus d’évaluation de la meilleure façon de gérer la pêche au sébaste, je vais vous dire que les pêcheurs qui ont une historique, qui savent ce dont l’industrie a besoin, nous les écoutons pour nous assurer qu’à mesure que nous avançons, nous faisons les choses correctement pour le long terme. Parce que personne ne veut voir le stock s’effondrer à nouveau.»
Notons enfin que Merinov travaille aussi à améliorer les pratiques à bord des bateaux de pêche pour maintenir la qualité du sébaste tout frais sorti de l’eau; qualité qu’il faut préserver tout le long de la chaine de distribution de la mer à l’assiette, fait valoir Damien Grelon. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, constate-t-il. «J’ai assisté à un débarquement à Rivière-au-Renard, cet automne, et on était encore à la pelle et à la fourche, relate le chercheur. Ça fait que c’est sûr qu’on ne peut pas travailler comme ça. Il va falloir apporter des solutions pour développer des pratiques qui permettent d’avoir un produit pour le marché de l’alimentation. Si c’est pour faire de l’appât ou de la farine, que ce soit sorti au bulldozer, ça ne changera rien au produit fini. Mais si c’est pour faire des beaux filets pour l’alimentation, il faut que le poisson soit manutentionné avec quand même une certaine tendresse!»
EXPÉRIMENTATION – page 29 – Volume 34,1 Février-Mars 2021