Pêches et Océans Canada introduira une mesure maximale des captures de homard des Îles-de-la-Madeleine dans son plan de gestion 2021. Cette nouveauté a fait consensus à la réunion annuelle du Comité consultatif de gestion du homard de la zone 22, qui s’est tenue pour la première fois sur la plateforme Zoom, le jeudi 11 février. Le Ministère donne ainsi suite à une recommandation conjointe de l’Office des pêcheurs de homard et l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), formulée en ce sens l’an dernier.
On se rappellera que, bien qu’il était favorable à l’idée, le Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI) avait alors exprimé des réserves sur son application dès la saison 2020, parce que ses membres voulaient qu’on prenne le temps de bien cerner les bienfaits d’une telle mesure de conservation, rappelle le directeur de secteur Cédric Arseneau. «D’autres zones de gestion de pêche au homard ont déjà des tailles maximales en place et là, la question qu’on se posait c’est: est-ce que cet outil-là serait approprié dans le contexte madelinot, explique-t-il. Autour de la table, l’année dernière, quand on a eu la rencontre du comité consultatif en février, il y avait un intérêt pour cette mesure de gestion-là, mais plusieurs avaient signalé le besoin de réfléchir et de mieux consulter les pêcheurs par voie de sondage.»
69 % D’APPUI
Il ressort d’ailleurs d’un sondage, mené en ligne du 19 janvier au 8 février, que 69 % des répondants sont d’accord avec l’imposition d’une taille maximale des captures. M. Arseneau se félicite de ce que 41 % des 325 détenteurs de permis y ont participé. Ils devaient non seulement se prononcer pour ou contre la nouvelle mesure de conservation, mais aussi faire un choix sur la taille à adopter. Les tailles maximales proposées allaient de 127 mm (5 po), soit la mesure déjà en vigueur dans l’État américain du Maine, à 150 mm (5,9 po), en passant par 145 mm (5,8 po), la mesure qui a été graduellement uniformisée dans les trois zones de pêche de la péninsule gaspésienne entre 2009 et 2020.
«Près de 50 % des pêcheurs ont opté pour la taille de 145 mm, précise Cédric Arseneau. En vertu du sondage, et aussi en vertu des discussions autour de la table, il y avait clairement un consensus; un signal clair de l’industrie que la taille maximale était une mesure appropriée et Pêches et Océans s’est engagé à mettre ça en œuvre pour 2021.»
Selon les relevés d’échantillonnage 2014-2018 de l’Institut Maurice-Lamontage, menés durant la saison de pêche, les captures de homards de grande taille sont plutôt rares dans l’archipel. Ils démontrent que tant du côté nord que du côté sud, les homards jumbos de 127 mm et plus dépassent très rarement 0,6 % du nombre total de crustacés capturés, et ce, autant pour les mâles que les femelles, précise le biologiste Benoît Bruneau. «En 2019, c’était 0,39 %; c’est moins de la moitié d’un pour cent, souligne-t-il. Et si on regarde entre 140 et 150 mm, on est bien en deçà de 0,1 % des captures. C’est quand même des valeurs minimes. Et ce sont des données prises en début, au milieu et en fin de saison qui se comparent très bien avec celles des journaux de bord des pêcheurs; c’est la confirmation que ce sont des valeurs représentatives».
On sait aussi que la production d’œufs augmente de manière exponentielle en fonction de la taille des homards. Le taux de survie des larves issues de gros géniteurs est également supérieur à la moyenne, fait valoir M. Bruneau. «Et une chose qui est souvent recommandée par les sciences et les panelistes du processus de revue par les pairs est le besoin de diversifier la structure de taille des homards laissés sur le fond, poursuit le biologiste. Donc c’est bénéfique pour la production de la population.»
DIFFICILES À VENDRE
Pour sa part, le président du RPPCI, Charles Poirier retient surtout que l’interdiction de pêcher les gros homards aura un effet négligeable sur les revenus des pêcheurs madelinots. «Le 0,6 %, si on le remet à l’eau, ça ne peut qu’être bénéfique, soutient M. Poirier; tu n’auras pas un gros impact sur la rentabilité de nos pêcheurs. Ça fait que si on les remet à l’eau, comme de raison, on sait que dans sept ans d’ici, ce sont des homards de plus qui vont revenir dans la colonne d’eau.»
Sur fond de pandémie l’an dernier, la Coopérative des Pêcheurs de Cap Dauphin a, quant à elle, déjà décidé de ne plus acheter les homards de 127 mm (5 pouces) et plus. Sa directrice générale Ruth Taker, qui est aussi vice-présidente de l’AQIP, indique que son principal marché du Maine, qui compte pour 40 à 60 % de ses ventes, n’achète pas les crustacés supérieurs à sa propre taille commerciale en vigueur. «Nous, le gros homard, on le met systématiquement avec la «colle», le homard mutilé qui n’a qu’une patte par exemple, et quand on en accumule assez pour un voyage d’environ 40 000 livres, on l’envoie surtout au Nouveau-Brunswick pour être transformé, parce que nous autres, nous n’avons pas d’équipement pour ça. Mais là, l’année passée, avec le problème de la COVID-19 et le manque de personnel dans les usines, on n’a commencé à envoyer notre colle qu’à la mi saison. Et, parce qu’il y a avait beaucoup plus de homard en 2020 que l’année précédente, et que c’était déjà difficile à vendre dans le contexte de la pandémie, on a décidé que le gros homard était un embarras plus qu’autre chose.»
Mme Taker soutient néanmoins que la remise à l’eau des gros homards lui apparaît davantage comme une mesure de protection de la ressource, qu’une disposition réglementaire pour en faciliter la mise en marché. «C’est dangereux de perdre la ressource si on ne fait pas attention parce que les gros homards, il n’y en a pas beaucoup pour la reproduction, insiste la directrice générale de la Coop des pêcheurs du Cap Dauphin. C’est très important pour la ressource; si on veut garder l’industrie de la pêche pour le futur, il va falloir garder un moyen de les reproduire.»
OUVERTURE LE 8 MAI
Autrement, en vertu du protocole d’ouverture de la saison, voulant que la pêche débute le samedi le plus près du 10 mai afin de satisfaire les pêcheurs tant du côté nord que du côté sud, la mise à l’eau des cages 2021 est fixée au 8 mai.
Cédric Arseneau note que l’absence de glace favorisera un début hâtif des travaux de dragage. «Le MPO s’engage à sécuriser les havres avant le 1er mai, dit-il. Cependant, je tiens à mettre un bémol ici : dans le contexte où la météo le permet et qu’il est réaliste de réaliser ces travaux, on va faire notre possible pour arriver le premier mai. Ce qu’on a constaté avec nos relevés bathymétriques, c’est que la quantité de sable qui se retrouve dans les quais est plutôt importante. Donc, on va essayer de travailler pour faire le plus rapidement possible, mais à l’impossible nul n’est tenu.»
De plus, les pêcheurs appellent le MPO à plus de rigueur à l’égard de ceux qui ne respectent pas l’heure de départ, à l’ouverture de la saison, ou encore qui lèvent leurs casiers à deux reprises au cours d’une même journée, allant à l’encontre de leurs conditions de permis. En fait, neuf des 18 poursuites initiées par le Ministère l’an dernier, en vertu de la Loi sur les pêches, visaient des pêcheurs qui avaient pris leur départ bien avant 5 h. À l’heure dite, certains se trouvaient déjà entre 4 et 6 milles nautiques du quai, relève le superviseur de la conservation et de la protection de la ressource Simon Richard. Le problème c’est que depuis 2014 le MPO autorise les pêcheurs du havre de Grande-Entrée, qui compte plus de 110 navires, à sortir 15 minutes avant le départ, afin qu’ils puissent se placer sur une ligne imaginaire à l’intérieur du chenal de sorte à éviter toute bousculade.
«Les exagérations prennent de l’ampleur à chaque année, admet M. Richard. Et si on n’obtient pas de résultats plus encourageants en 2021, malheureusement cette mesure-là ne pourra pas être reconduite dans les années subséquentes et on fera un départ à 5 h pour tout le monde. C’est d’ailleurs ce qui se fait partout ailleurs dans le Golfe, sans qu’aucun enjeu de sécurité ne soit soulevé. Et de toute façon, on réalise que le gain en sécurité allégué à l’époque n’est pas constaté sur le terrain.»
Simon Richard affirme aussi qu’il fera du respect de la levée des engins de pêche une fois par jour une priorité de surveillance pour cette année. «Un nombre grandissant de pêcheurs de Grosse-Île et de Grande-Entrée vient me voir pour se plaindre de ceux qui lèvent leurs casiers encore et encore, rapporte le vice-président de l’Inshore Fishermen Association, Kelly-John Clarke. C’est injuste et ça énerve.» Le superviseur de la conservation et de la protection prévient toutefois que les efforts du MPO donneront des résultats limités dans ce dossier, tant qu’il ne recevra pas des plaintes officielles. «Nous entendons les rumeurs sur les quais, assure-t-il. Cependant, nous ne recevons que très peu d’informations pertinentes qui nous permettraient de cibler de manière plus précise des individus. Nous essayons très fort de résoudre le problème, mais nous donnons beaucoup de coups dans le noir.»
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – pages 12-13 – Volume 34,1 Février-Mars 2021