Le quai de Cap-aux-Meules, appartenant à Transports Canada et abritant la flotte semi-hauturière des Îles-de-la-Madeleine, est en état de décrépitude avancée. À tel point que le Ministère y a semé le chaos, le 25 février dernier à un mois du début de la saison de pêche au crabe des neiges, en y condamnant 18 des 40 bornes d’amarrage.
Le pêcheur Jocelyn Thériault, président du Regroupement des utilisateurs du port de Cap-aux-Meules (RUPCAM), explique que chaque bateau de plus de 50 pieds a besoin de trois bornes pour s’y attacher de manière sécuritaire. «On a dû faire fi de ça; on a été obligés de lever les boîtes de bois qu’ils avaient faites pour les recouvrir, pour s’attacher pareil en essayant d’y mettre le moins de pression possible. On n’avait pas le choix!»
Heureusement, la saison de pêche s’est déroulée sans incident, souligne M. Thériault, co-propriétaire du MANON-YVON. Il n’en demeure pas moins que le RUPCAM, la Municipalité des Îles et la députée-ministre Diane Lebouthillier pressent Transports Canada d’investir pour consolider les acquis et pour planifier le développement des infrastructures portuaires à moyen et long termes.
«Cette infrastructure est non seulement importante et stratégique pour la communauté des Îles, mais aussi pour tout l’Est du pays, où les Îles occupent une position géostratégique de premier plan en plein cœur du golfe du Saint-Laurent, fait valoir le maire Jonathan Lapierre. Et ce qu’on dit au gouvernement fédéral et à Transports Canada, c’est de se préparer pour le printemps prochain. S’il y a des travaux à faire pour sécuriser, par exemple, les «bittes» d’amarrage ou pour améliorer certains éléments, bien, l’automne et une partie de l’hiver c’est la période pour le faire, parce qu’à partir du mois de mars, les activités reprennent dans le port de Cap-aux-Meules.»
RELANCE ÉCONOMIQUE
«On parle, au gouvernement fédéral, de la relance économique et on a l’intention de faire en sorte que les Îles-de-la-Madeleine fassent partie de la relance économique, enchaîne la ministre du Revenu national et députée de la Gaspésie et des Îles. Et, pour faire partie de la relance économique, bien, il faut être en mesure d’offrir aux gens des Îles-de-la-Madeleine une infrastructure qui réponde vraiment aux besoins des utilisateurs du quai.»
D’ailleurs, Mme Lebouthillier affirme avoir obtenu l’assurance, tant de Transports Canada que du ministère des Pêches et des Océans, à l’effet que des investissements à court terme seront faits. «Pour que les activités de pêche se poursuivent et que les industriels puissent faire les débarquements, insiste-t-elle. Mais, ceci étant dit, on n’aura pas un quai tout neuf pour 2022; ça prend un plan directeur qui va faire en sorte que les utilisateurs soient consultés et qu’on se donne une vision de développement de moyen et long termes. Pour moi, c’est majeur. Et entretemps, ce qu’on a actuellement, il faut qu’on le préserve.»
«Ce qu’on veut éviter c’est de se retrouver en février, l’année prochaine, à recevoir une lettre de fonctionnaires fédéraux qui nous disent encore une fois qu’on doit remuer ciel et terre pour se repositionner dans le port de Cap-aux-Meules, prévient le maire Lapierre. Ça, on a dit qu’on ne jouerait plus dans ce film-là. Et si on reçoit une autre lettre de manière aussi cavalière, on va la déchirer et on n’en tiendra même pas compte!»
PLAN DE RÉTROCESSION
De plus, les Madelinots exhortent Transports Canada de retirer le port de Cap-aux-Meules de la liste de la cinquantaine de ports du pays visés par son Programme de transfert des installations portuaires (PTIP) lancé le premier avril 2015. Mme Lebouthillier en avait elle-même fait une promesse électorale en octobre de cette même année. Aussi n’hésite-t-elle pas à faire un lien entre l’intention ministérielle de céder le port à des intérêts publics provinciaux ou municipaux ou encore privés, et l’état actuel de dégradation de ses quais. «Pour moi c’est un lien direct entre le fait que le port de Cap-aux-Meules était sur la liste de rétrocession, dit-elle. Quand il y a une liste de rétrocession, on fait le minimum d’investissement possible. Et c’est clair que c’est ce qui a mené à la dernière évaluation d’ingénierie selon laquelle le port de Cap-aux-Meules est dans un état de détérioration très avancée.»
La députée-ministre qualifie également d’inadmissible le fait que les crabiers n’en aient été avisés qu’à la toute dernière minute, tout juste avant leur saison de pêche. «J’ai été abasourdie de voir à quel point on avait des fonctionnaires qui étaient complètement décrochés des milieux! Et moi, je l’ai appris en même temps que tout le monde.» En fait, un rapport préliminaire concluait dès novembre dernier à une dégradation importante du quai des pêcheurs du port de Cap-aux-Meules. Le ministère a toutefois attendu le dépôt de l’étude détaillée, en février, pour annoncer que sa capacité portante était réduite de plus du tiers, de 19 kPa à 12 kPa.
«Dans ce contexte, les véhicules lourds (ex. : camions semi-remorques et camions dix roues) et les grues sont dorénavant interdits sur l’ensemble du quai, a écrit Transports Canada dans sa lettre du 25 février 2021. Toutefois, la circulation piétonnière demeure permise sur le quai. (…) Il est important de noter que des bordures de béton seront mises en place prochainement afin de délimiter les zones fermées à la circulation des véhicules. Par la suite, des panneaux de signalisation, du marquage ainsi que des mesures pour condamner certaines bornes d’amarrage seront aussi mis en place.»
Le Ministère se défend d’autre part d’avoir négligé ses responsabilités d’investir dans le port de Cap-aux-Meules pour assurer la sécurité de ses installations. «Transports Canada effectue régulièrement des travaux d’entretien et des inspections annuelles pour maintenir et prolonger la vie de ses infrastructures et assurer la sécurité en fonction des opérations qui s’y déroulent, nous écrit-on par courriel. Les investissements réalisés aux installations de Transports Canada ne reposent pas sur un plan directeur. Les projets réalisés à nos installations sont priorisés en tenant compte de différents critères dont la sûreté et la sécurité. Au cours des 10 dernières années, Transports Canada a investi environ 21 millions $ au port de Cap-aux-Meules pour réaliser différents projets.»
Un rapide calcul permet toutefois de relever que sur ces 21 M $, moins de 1,7 M $ ont été dépensés en travaux de réfection du quai des pêcheurs, d’amélioration de sa chambre de décompression et de remplacement d’anodes sacrificielles, entre avril 2010 et avril 2020. En comparaison, au moins 6,5 M $ ont été investis dans le secteur des quais des traversiers, au cours de cette même période. La balance des investissements, soit environ 10 M $, sont essentiellement allés au secteur commercial du port, de même qu’aux travaux de dragage, d’entretien, d’expertise et d’inspection.
Enfin, Transports Canada précise que «le port de Cap-aux-Meules demeura sur la liste du PTIP jusqu’à la fin du programme prévue le 31 mars 2022.» Son quai des pêcheurs accueille notamment huit navires semi-hauturiers de pêche commerciale 12 mois par année, sans compter les nombreux crabiers gaspésiens et néo-brunswickois qui y viennent pour livrer leurs captures ou se mettre à l’abri des tempêtes.
INFRASTRUCTURES PORTUAIRES – pages 23-24 – Volume 34,3 Juin-Juillet-Août 2021