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Coexistence entre les baleines noires et les pêcheurs : le MPO peut encore améliorer ses mesures de gestion de la pêche

Dix-neuf baleineaux ont été répertoriés au cours de la saison 2021 de mise-bas des baleines noires menacées de disparition, sur les côtes sud-est des États-Unis. En comparaison, selon les don- nées de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), on n’avait enregistré qu’un total de 22 naissances au cours des quatre saisons précédentes. À cela s’ajoute le fait qu’aucune mortalité de baleine noire n’a été observée en eaux canadiennes ces deux dernières années.

La scientifique Lyne Morissette, dirigeante de M – Expertise Marine spécialisée en baleines et interactions avec les pêcheries, convient qu’il s’agit d’une bonne nouvelle. «Pour une espèce en voie de disparition, c’est intéressant, commente-t-elle. Mais on est loin de parler d’un «baby boom». Pour vraiment se réjouir qu’il y ait un coup de pouce à la population, il faudrait qu’il y ait une trentaine de naissances par année. Ceci étant dit, c’est sûr que quand on a un nombre supérieur de naissances par rapport aux mortalités, on a un profit au niveau de la population; ça aide.»    

La chercheure prévient cependant qu’il serait faux de prétendre que l’absence de mortalité soit strictement liée aux mesures de gestion mises en place par le ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour minimiser les risques d’empêtrement des baleines dans les cordages de pêche au crabe et au homard. «C’est un raccourci dangereux à faire, croit-elle, parce que même si on ne faisait rien on pourrait avoir des années à zéro décès. Alors, il faut faire attention de ne pas s’asseoir sur nos lauriers sur une fausse impression et se dire qu’on a trouvé la solution et qu’on n’a plus besoin de se forcer. Si on se dit qu’on n’a plus rien à changer à nos mesures de gestion et qu’on se tape dans les mains, on risque de baisser notre vigilance sur une population dont le problème n’est pas réglé.»

COEXISTENCE

Lyne Morissette est d’avis que le MPO doit notamment continuer à favoriser un début hâtif de la saison de pêche au crabe des neiges dans le sud du Golfe, pour minimiser les risques d’interaction avec les baleines. Mais elle insiste pour dire qu’il doit aussi «peaufiner sa mécanique de fermeture» des zones de pêche lorsque la présence de baleines est signalée.

«Sur quels indicateurs on va fermer les zones, quelles zones on ferme, pour combien de temps?, questionne la chercheure. Il reste du peaufinage à faire parce que présentement, ce qu’on fait, ce sont des mesures de gestion pour protéger les baleines noires, qui vont dans la bonne direction et qui semblent être prometteuses, mais ce ne sont pas des mesures de co-existence. On met toute la priorité sur sauver les baleines, mais on n’essaie pas d’arrimer, de faire un minimum acceptable pour les pêcheurs aussi. Et moi, je pense que c’est le bout qu’il nous reste à prendre pour vraiment dire qu’on a un modèle qui marche.»

Mme Morissette applaudit d’ailleurs les travaux de recherche menés par l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) pour suivre en continu et comprendre le déplacement des baleines noires dans le Golfe et pour modéliser leur habitat afin de prévoir leur distribution pendant les saisons de pêche, afin de minimiser l’impact des mesures de protection sur les activités commerciales de capture.

«C’est exactement ça qui nous manque et qui est en train d’être fait, se félicite la scientifique. C’est pour ça qu’il ne faut pas dire mission accomplie, parce que l’équipe des mammifères marins de l’IML et de Jean-François Gosselin en est un super bon exemple. Tous les détails qu’on va aller chercher, le «fine tuning» qu’on va être capable de faire pour notre compréhension de où sont les baleines, quand est-ce qu’elles sont là, bien, il faut que ça serve non seulement à bien comprendre l’écologie de l’espèce, mais aussi que ça serve justement à alléger à des endroits, ou à des moments où c’est inutile de protéger les baleines, pour pouvoir permettre la coexistence.»

CASIERS SANS CORDAGES

Lyne Morissette salue également les efforts des pêcheurs qui investissent dans le développement «d’engins de pêche nouveau genre» pour favoriser cette coexistence. Différents systèmes de casiers sans cordage sont notamment mis à l’épreuve depuis trois ans dans le cadre du projet Crabiers pour les Baleines, piloté par l’Association des crabiers acadiens. La firme Devocean, fondée en 2020 par des étudiants de la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke est, elle aussi, à mettre au point son propre système de pêche sans cordage permanent, en collaboration avec l’Association des crabiers gaspésiens.

«C’est important de tester plusieurs systèmes, fait valoir Mme Morissette, parce que la grande conclusion, quand on parle de «ropeless» c’est qu’il n’y a pas de solution unique pour tous. Il y a des pêcheurs côtiers, des pêcheurs semi-hauturiers, il y a du crabe, il y a du homard, il y a des pêcheurs qui pêchent sur des fonds rocheux, il y en a qui pêchent sur d’autres types de fonds. Donc, l’idée c’est de tester plein de systèmes et de faire une espèce de pool de tout ça, pour essayer de gagner du temps et d’être le plus efficace possible quand viendra le temps de mettre en place ces solutions-là.»

La chercheure admet cependant qu’il y a loin de la coupe aux lèvres entre un système de pêche sans cordage et la nécessité qu’ont les pêcheurs d’avoir des repères visuels sur l’eau pour éviter de jeter leurs casiers par-dessus ceux de leurs voisins. Bien que les pêcheurs soient frileux à l’idée de partager leurs données entre eux, Lyne Morissette croient qu’ils n’auront peut-être pas le choix d’en arriver là.

«C’est une problématique de logistique de déploiement pour laquelle il faudra trouver une façon de partager l’information sans partager l’information; partager ce qui est où, mais avec un niveau de confidentialité, avance-t-elle. Je ne sais pas comment on va y arriver, mais ça va peut-être faire partie des règles du jeu : si tu veux pêcher dans une zone fermée, bien, il faut que tu partages ton info avec les autres. Parce que le but ultime de pêcher «ropeless», c’est d’aller pêcher dans les zones fermées.»

MAMMIFÈRES MARINS – page 41 – Volume 34,5 Décembre 2021-Janvier 2022

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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