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Crabe des neiges et homard sur la liste rouge : la décision de Seafood Watch est décriée des deux côtés de la frontière

La décision d’une organisation californienne de mettre le crabe et le homard sur sa liste des espèces à éviter, en raison des risques d’interaction des pêcheries avec les baleines noires menacées de disparition, est décriée des deux côtés de la frontière.

Seafood Watch, un programme de surveillance des pêcheries de produits de la mer de l’aquarium de Monterey Bay, estime que les mesures de gestion en place dans le golfe du Saint-Laurent et sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre ne vont pas assez loin pour atténuer les risques d’empêtrement des mammifères dans les cordages et favoriser le rétablissement de leur population.

Tandis que cette sentence est qualifiée d’absurde par les représentants de la pêche au homard du Maine, selon les médias américains, l’industrie du crabe des neiges de la zone 12 du sud du Golfe soutient qu’elle est mal documentée et fait fi de ses efforts et de sa motivation à s’améliorer. Par communiqué, distribué tant auprès de la presse canadienne qu’américaine à la mi-septembre, cette dernière fait valoir qu’elle est très activement impliquée dans un programme d’amélioration de la pêcherie communément appelé FIP (Fishery Improvement Project), afin de favoriser une coexistence durable entre les pêcheurs et les baleines noires, et de récupérer la certification de pêche durable du Marine Stewardship Council (MSC) suspendue en 2018.

L’avocate Katherine Morissette de chez MKM Global de Montréal, qui représente les pêcheurs et transformateurs du Québec et du Nouveau-Brunswick au cœur de cette initiative, ne comprend pas que le système de classification de Seafood Watch n’en tienne pas compte. Elle souligne notamment que près de 70 % du sud du Golfe était, à un certain moment donné de la saison 2022, fermé à la pêche conventionnelle et que seuls 21 crabiers y avaient accès pour expérimenter les pratiques de capture novatrices, avec chacun 50 casiers sans cordage. Qui plus est, aucune mortalité de baleine associée à la pêche au crabe des neiges de la zone 12 n’a été rapportée depuis cinq ans.

«Ça démontre que le comité scientifique de Seafood Watch n’a pas eu accès à l’ensemble des données disponible, dit l’avocate. Il y a une déconnection complète entre les données analysées et la réalité. Malgré une invitation de notre part en juin dernier, à aucun moment Seafood Watch n’a communiqué avec nous ou sollicité des données pertinentes à l’analyse. Il semble y avoir un raccourci intellectuel entre l’utilisation actuelle des engins à ligne verticale et la mortalité ou l’empêtrement des baleines, sans considérer les réels liens de causalité en les différents éléments en cause. Ce sont des gens qui se trouvent dans des tours à bureau et qui sont manifestement déconnectés du terrain.»

Même son de cloche dans le Maine, où les pêcheurs de homard ont entre autres retiré près de 50 000 kilomètres de cordages de l’eau pour prévenir l’empêtrement des baleines, et dont le dernier remonte à 2004. «Seafood Watch induit en erreur les consommateurs et les entreprises, a déclaré la gouverneure du Maine, Janet Mills, selon ce que rapporte le journal USA Today. Des générations de pêcheurs de homard ont travaillé dur pour protéger la durabilité de la pêcherie et ont pris des mesures sans précédent pour protéger les baleines noires.»

INITIATIVE SALUÉE

Me Morissette indique d’ailleurs que le FIP de l’industrie du crabe du sud du Golfe est appuyée financièrement par de nombreuses organisations internationales, dont FisheryProgress.org et Sustainable Fisheries Partnership, de même que par des distributeurs et courtiers réputés tels que BSF, Whitecap et Eastern Fish. «Même MSC applaudit l’initiative affirme l’avocate. On avance de façon assez importante, on est des leaders mondiaux en matière d’amélioration des pratiques de pêche, et nous avons des témoignages à l’effet que notre approche est innovante et d’avant-garde. Alors c’est quand même étonnant que par derrière, la conséquence de tous ces efforts-là, soit une décote.»

L’industrie du crabe des neiges du sud du Golfe entend se concerter avec l’industrie du homard de l’Est du Canada, également visée par la décote de Seafood Watch, afin d’obtenir une rétractation de la part de Seafood Watch. «Il faut absolument régler le dossier avant le printemps prochain, affirme Jean-Paul Gagné, directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP). Il n’y a rien qui justifie qu’on mette le homard sur la liste rouge. La pêcherie est toujours sous certification MSC et jamais il n’y a eu d’interactions avec la baleine noire jusqu’à présent.»

Cela dit, Katherine Morissette relativise le poids d’une organisation comme celle de l’aquarium de Monterey Bay. «Il ne faudrait pas trop lui accorder d’importance, dit-elle. C’est un système d’évaluation parmi plusieurs autres. Contrairement aux certifications, l’évaluation n’est pas faite par un organisme accrédité, le processus d’évaluation n’est pas transparent ni public, et la pêcherie concernée n’est pas impliquée, ni tous les acteurs entendus. Notre partenaire Sustainable Fisheries Partnership possède d’ailleurs un tel système de classification et qualifie publiquement, citation à l’appui, notre FIP comme un «success story».

«Les médias ne l’ont simplement pas relevé, poursuit l’avocate. Mais c’est un fait que la décision de Seafood Watch peut faire très mal à l’industrie. Un arrêt des approvisionnements en crabe des neiges sur les marchés peut être désastreux. Ça peut avoir un impact catastrophique sur l’économie, sur tout le réseau de distribution et surtout pour les communautés.»

À cet effet, l’avocate plaide aussi pour une distinction entre les concepts de pêche durable et de pêche responsable. «Il y une nuance importante entre les deux, insiste-t-elle. En 2022, on se doit de parler de pêche responsable. Et la pêche responsable doit prendre en considération les éléments non seulement environnementaux, mais aussi économiques, sociaux et humains. Alors, quand on fait des recommandations de la nature de Seafood Watch, il faut prendre en considération tous les efforts et la motivation de la pêcherie à s’améliorer. Le but ultime de ces systèmes d’évaluation est d’ailleurs de motiver les pêcheries à prendre action. Nous l’avons fait, et énergiquement. Et c’est cela qui devrait être évalué, ainsi que les résultats qui en ont découlé.»

Seafood Watch attribue des classements de «bons choix», «bonne alternative» et «à éviter» à plus de 2 000 fruits de mer en fonction de la durabilité de leur gestion. On compte aujourd’hui moins de 340 baleines noires de l’Atlantique, dont l’enchevêtrement dans les engins de pêche et les collisions avec les navires sont les principales menaces.

PÊCHE DURABLE – page 14 – Volume 35,4 Septembre-Octobre-Novembre 2022

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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