Une première expérience de conditionnement d’huîtres d’élevage du Québec, à des fins de reproduction en milieu semi-contrôlé, est en cours aux Îles-de-la-Madeleine. Le projet est une initiative d’Alexandre Brazeau, propriétaire de la ferme aquacole Les Huîtres Old Harry, menée en collaboration avec le centre de recherche Merinov et appuyée financièrement par le programme Innovamer du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Il vise entre autres à assurer une autonomie d’approvisionnement en naissains, soit des huîtres juvéniles, pour l’ensemble des ostréiculteurs de la province.
«Ça va nous permettre d’avoir un approvisionnement stable et sûr à chaque année, parce ce n’est pas garanti qu’on va pourvoir continuer de s’approvisionner des autres provinces ad vitam aeternam, et on n’a pas de plan B, explique M. Brazeau. Pour vous donner un exemple, pendant le COVID, les autres provinces se sont toutes fermées. Tous les ponts étaient coupés et c’était compliqué.»
Le propriétaire de Huîtres Old Harry vise aussi à amoindrir ses coûts d’opération, en produisant ses propres naissains. Il précise que les quelque deux millions de mollusques qu’il importe à chaque année de l’Île-du-Prince-Édouard, à une taille de 6 mm, lui coûtent 4 ¢ l’unité.
«Et à chaque fois qu’on achète des autres provinces il faut donner un traitement de chaux et de sel aux stocks, pour éviter l’introduction d’espèces envahissantes. Ça tue tout sauf les huîtres, mais il y a toujours une perte quand même, d’environ quatre à cinq pour cent. Et en plus de réduire les coûts et les risques de contamination du milieu, ça nous assurerait une meilleure traçabilité du produit à 100 % québécois.»
PONTE PROVOQUÉE
Dans le cadre de l’expérience en cours, une vingtaine de gros géniteurs ont été prélevés du parc aquacole de la baie d’Old Harry en décembre, à une température ambiante de 10 ˚C, puis déposés en aquarium. Leur conditionnement, pour les préparer à se reproduire, consiste à accroître graduellement la température de l’eau jusqu’à 22 ˚C et à les nourrir d’une pâte de micro-algues. Les gonades des mollusques prennent ainsi de 6 à 10 semaines pour atteindre leur seuil de maturation, explique Alexandre Brazeau.
À ce stade, vers la mi-février, les huîtres furent transférées dans des récipients individuels où leur ponte a été provoquée par un choc thermique. Les mollusques ont alors produit environ 15 millions de larves chacun, qui ont ensuite été transférées dans un bassin plus gros, doté d’une centaine de capteurs. Les larves s’y sont spontanément fixées pour se métamorphoser jusqu’au stade juvénile.
«On maximise nos chances de captage en le faisant en forte densité dans un espace clos plutôt qu’en milieu naturel, où les larves se trouvent disséminées sur des millions de pieds carrés, fait valoir l’ostréiculteur. Nos capteurs sont faits avec des tiges de calcium, qui simulent les roches sur lesquelles elles se collent en milieu naturel.»
C’est à la mi-mars qu’on saura si toute cette opération est un succès. Les petites huîtres, qui seront alors bien visibles à l’œil nu, seront prêtes à leur mise à l’eau en panier d’élevage, pour une durée de croissance de quatre à cinq ans. «Je suis confiant, parce que la science est là, conclut Alexandre Brazeau. C’est du gros bon sens. Il faut juste établir les variables – comme la température, le renouvellement de l’eau, l’oxygène, la bouffe – qui font en sorte qu’il y a ait une bonne ponte. On est en train d’écrire la recette secrète!»
Si les conclusions sont effectivement positives, le jeune homme diplômé en finance de la John Molson School of Business devra commander une analyse technico-économique pour évaluer la pertinence d’investir dans des installations commerciales de reproduction d’huîtres en milieu semi-contrôlé. Pour l’instant, il préfère taire les coûts que ça impliquerait «pour ne pas brûler les étapes».
MARICULTURE – page 29 – Février-Mars 2023