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30 ans de moratoire sur la morue dans le golfe du Saint-Laurent : le déclin se poursuit toujours

Il y a 30 ans cet automne, le secteur des pêches maritimes du Québec et des provinces atlantiques est secoué par une tempête économique et sociale sans précédent, provoquée par le moratoire sur la pêche et la transformation de la morue.

À l’automne 1993, l’inquiétude monte déjà depuis huit ans, à divers degrés, dans le Québec maritime. On pourrait dire que l’anxiété monte à mesure que les prises diminuent, puisqu’elles chutent, parfois doucement et parfois subitement, depuis 1985.

En 1985, les captures des morutiers québécois s’établissaient à 40 652 tonnes métriques. En 1987, elles avaient déjà chuté de 25,5 %, pour se situer à 30 293 tonnes. En 1992, il ne restait que 14 719 tonnes de ces captures et en 1993, elles ont chuté à 3 936 tonnes, soit 90,3 % de moins qu’en 1985.

Il faut dire que la saison 1993 s’était passée au ralenti en vertu d’un premier moratoire touchant les morutiers québécois, celui du 31 août dans le sud du golfe Saint-Laurent, suivi le 20 décembre par l’arrêt de la pêche dans le nord du golfe.

Terre-Neuve avait alors déjà été frappé de plein fouet par un moratoire décrété le 2 juillet 1992 par le ministre des Pêches et des Océans de l’époque, John Crosbie. Dans cette province, le moratoire avait mené au plus grand licenciement de l’histoire du pays, puisque 20 000 personnes avaient été licenciées dans le secteur de la morue.

Au Canada atlantique, incluant le Québec, les quotas ne baissaient généralement pas au même rythme que les captures, comme si les politiciens et les gestionnaires n’arrivaient pas à croire que le stock piquait réellement du nez. Plusieurs observateurs de l’époque ont déploré le fait que le quota, au lieu d’être perçu comme un frein, était souvent considéré comme un but à atteindre par les pêcheurs, et certains décideurs du ministère fédéral des Pêches et des Océans.

Il faut aussi rappeler qu’au Québec, même si les prises avaient diminué de  25,5 % entre 1985 et 1987, la valeur de ces prises avait augmenté de 17,7 millions $ à 22,7 millions $ entre ces deux mêmes années. Les morutiers gaspésiens, nord-côtiers et madelinots profitaient d’une certaine façon de l’effet de rareté qui commençait à poindre sur les marchés. En 1993 toutefois, leurs revenus plongent à 3 411 890 $, en grande partie grâce aux débarquements dans le nord du golfe. C’est 80,7 % de moins qu’en 1985.

En 1994, les prises accidentelles ramèneront le volume de capture à 195 tonnes et les revenus à 200 000 $.

Le quota global dans l’ensemble de  l’Atlantique, Grands Bancs de Terre-Neuve et banc de George (en Nouvelle-Écosse) exclus, était ainsi passé de 167 000 tonnes métriques en 1985 à 18 000 tonnes en 1993, puis à zéro en 1994.

Le désarroi de certaines communautés est d’autant plus total qu’elles ont souvent été fondées en raison de la pêche à la morue 100 ou 200 ans auparavant.

MODERNISATION NÉCESSAIRE

Il faut rappeler que dans les années 1930, la pêche commerciale était en perte de vitesse en Gaspésie et au Québec en général par rapport aux autres secteurs en raison d’un manque de compétitivité, les conditions de capture et de transformation ayant peu évolué au fil des décennies.

La situation évolue en partie à la fin des années 1930 et pendant les années 1940 alors que des investissements publics ouvrent la porte à la construction d’entrepôts frigorifiques améliorant considérablement les conditions de préservation des produits marins.

Du côté de la capture, bien que des chalutiers aient été lancés dans la seconde moitié des années 1940 dans les provinces atlantiques, c’est essentiellement avec le développement des Gaspésiennes, des bateaux côtiers de 14 mètres, ou 48 pieds, que les morutiers québécois avancent sur le plan technologique. Une cinquantaine de ces bateaux sont lancés entre 1955 et 1959.

Il faut attendre le début des années 1960 avant d’assister à la construction ou à l’achat de plusieurs chalutiers semi-hauturiers par des morutiers québécois.

Ces avancées technologiques se déploient toutefois à une époque où l’évaluation des diverses biomasses de produits marins par le ministère des Pêches, tel qu’on le désignait au début des années 1970, est embryonnaire. Il faut réaliser aujourd’hui que les évaluations annuelles de stocks de morue et d’autres espèces halieutiques n’ont débuté qu’en 1974 dans le golfe Saint-Laurent.

Il était sans doute un peu tard parce que neuf ans à peine plus tard, lors de l’été 1983, des morutiers de Newport expriment des inquiétudes quant à la santé du stock. Certains d’entre eux prennent même une pause prolongée à la fin de l’été et de l’automne de 1983 parce que les captures sont à ce point minces qu’il n’est pas rentable de sortir.

En 1983, toujours à Newport, les morutiers planifient la construction d’une toute nouvelle usine de transformation de poisson, ce qui allait devenir la Société des pêches de Newport, devant prendre la relève de la vieille usine de la coopérative Pêcheurs unis du Québec.

À ce moment, rien ne laisse présager la crise qui était sur le point d’émerger.

En 1983, jusqu’à 515 travailleurs convergent à l’usine de Pêcheurs unis d’avril jusqu’à assez tard à l’automne. La morue, comparativement aux crustacés, est alors porteuse d’une valeur relativement faible au débarquement, environ 25 cents la livre il y a 40 ans, mais elle nécessite beaucoup d’étapes de transformation.

À ces 515 travailleurs d’usine s’ajoutent les équipages d’une vingtaine de chalutiers et d’un nombre assez similaire de bateaux côtiers. Considérant l’apport de services connexes nécessaires pour assurer la bonne marche de la capture et de la transformation, qu’il s’agisse de mécanique, d’électronique, de réfrigération, d’hydraulique, de soudure ou d’usinage métallique, il est juste de dire qu’environ 800 personnes travaillent à l’époque dans le secteur du quai de Newport, qui ressemble régulièrement à une ruche.

Il y a d’autres ruches, plus petites, mais aussi intenses, dans et autour plusieurs quais de pêches nord-côtiers, gaspésiens et madelinots, en 1983. Tout cet écosystème est alors sur le point de vivre un grand chambardement. Il est clair que de 2 000 à 3 000 personnes seront frappées à divers degrés par le moratoire sur la morue. Ils ont subi un choc dont les échos se font encore sentir aujourd’hui.

Source statistique : Ministère fédéral des Pêches et des Océans

Note : au cours des prochains mois, Pêche Impact publiera quelques textes sur le déclin de la pêche et de la transformation de la morue.

LES POISSONS DE FOND – page 15 – Volume 36,4 Septembre – Octobre – Novembre 2023

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Gilles Gagné
Gilles Gagné, né à Matane, le 26 mars 1960. J'ai fait mes études universitaires à Ottawa où j'ai obtenu un baccalauréat avec spécialisation en économie et concentration en politique. À l'occasion d'une offre d'emploi d'été en 1983, j'ai travaillé pour Pêches et Océans Canada comme observateur sur deux bateaux basés à Newport, deux morutiers de 65 pieds. Le programme visait l'amélioration des conditions d'entreposage des produits marins dans les cales des bateaux et de leur traitement à l'usine. Cet emploi m'a ouvert des horizons qui me servent encore tous les jours aujourd'hui. En 1989, après avoir travaillé en tourisme et dans l'édition maritime à Québec, je suis revenu vivre en région côtière et rurale, d'abord comme journaliste à l'Acadie nouvelle à Campbellton. C'est à cet endroit que j'ai rédigé mes premiers textes pour Pêche Impact, à l'été 1992. Je connaissais déjà ce journal que je lisais depuis sa fondation. En octobre 1993, j'ai déménagé à Carleton, pour travailler à temps presque complet comme pigiste pour le Soleil. J'ai, du même coup, intensifié mes participations à Pêche Impact. Je travaille également en anglais, depuis près de 15 ans, pour l'hebdomadaire anglophone The Gaspé SPEC et je rédige l'éditorial du journal Graffici depuis 2007.
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