jeudi, novembre 21, 2024
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De sombres perspectives pour la crevette à court et à moyen termes

Les perspectives de l’état des stocks de crevette de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent sont plutôt sombres à court et à moyen termes. Les conclusions de la dernière évaluation scientifique du petit crustacé par le ministère des Pêches et des Océans (MPO) ne fait pas état de nouvelles cohortes de la ressource qui pourraient supporter la pêche dans un avenir rapproché.

«Les stocks sont à leur plus faible niveau d’abondance que l’on a mesuré depuis 1990, confirme le biologiste en évaluation des stocks de crevette du MPO, Hugo Bourdages. La tendance des stocks de crevette dans Sept-Îles, Anticosti et Esquiman sont en décroissance depuis 2005.»

Il est difficile, pour M. Bourdages, de donner une valeur absolue de la quantité de crevettes dans le golfe. Il préfère parler de trajectoire des stocks et de valeurs relatives. Pour illustrer son propos, il indique que la zone Sept-Îles est aujourd’hui estimée à environ 5% du niveau d’abondance de la biomasse du début des années 2000, alors qu’Anticosti est à 17% et Esquiman à 37%.

CONDITIONS ÉCOSYSTÉMIQUES DÉFAVORABLES

«La crevette est exposée à des conditions écosystémiques de plus en plus défavorables dans le golfe, constate le spécialiste. On a juste à penser à l’augmentation de la température et à la perte d’oxygène des eaux profondes. Il ne faut pas oublier l’augmentation de la prédation par le sébaste. Rien ne nous indique que ça va s’améliorer dans les prochaines années.»

Il n’est pas possible, selon M. Bourdages, d’évaluer la quantité annuelle de crevettes nordiques consommée par le sébaste. «Pour y arriver, il faudrait faire plusieurs hypothèses avec beaucoup d’incertitude. On préfère dire que la biomasse de sébaste était, il y a 15 ans, de moins de 100 000 tonnes et qu’elle est aujourd’hui d’environ 3 millions de tonnes.» La population de sébastes a donc augmenté de 30 fois en une décennie et demie.

Les changements qui influencent la dynamique des stocks de crevette touchent la totalité des eaux profondes du golfe du Saint-Laurent, selon le chercheur de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) à Mont-Joli. Par conséquent, les quatre zones de pêche sont impactées par le phénomène. Quant à la prédation par le sébaste, l’Estuaire est la zone la plus épargnée. «La prédation par le sébaste affecte plus Sept-Îles, Anticosti et Esquiman», corrobore Hugo Bourdages.

NOUVELLE APPROCHE DE PRÉCAUTION

L’approche de précaution de la crevette date de 2012. «On était dans les premiers à mettre en place une approche de précaution pour une espèce exploitée au Canada», souligne Hugo Bourdages.

Des travaux ont été menés par un comité composé de gens issus des secteurs des sciences et de la capture au cours de la dernière année afin de développer une nouvelle approche à mettre en application dès la prochaine saison. «Lors du dernier avis scientifique, force a été de constater qu’il fallait revoir notre approche de précaution, indique le biologiste. On l’a révisée et on l’a présentée dans une revue par les pairs en octobre. Le changement majeur, c’est qu’on a amélioré l’indicateur de l’état de santé des stocks. On a un meilleur portrait de la situation.»

C’est à partir de l’approche de précaution que chaque stock est caractérisé pour déterminer s’il est dans une zone saine, de prudence ou critique. «Les stocks dans Sept-Îles, Anticosti et Esquiman sont dans la zone critique, ce qui explique les raisons de nos recommandations de diminuer les prélèvements de la pêche pour la prochaine saison», précise-t-il.

Selon les règles de décision découlant de cette nouvelle approche de précaution et des quatre scénarios des taux de prélèvement possibles de la ressource retenus, le contingent global des captures pour 2024 provenant des zones Sept-Îles, Anticosti et Esquiman chute de façon draconienne et pourrait s’établir à seulement 2 587 tonnes dans le meilleur des cas. «La diminution est significative», constate M. Bourdages.

Le scientifique est conscient que les recommandations formulées ne sont pas sans impact pour les pêcheurs, l’industrie et les communautés côtières. «Mon rôle est de fournir les meilleures informations scientifiques et de décrire la situation pour que le Ministère puisse prendre une décision rapide, souligne-t-il. Le golfe du Saint-Laurent est en changement, en transformation. Il y a des espèces gagnantes et d’autres qui sont perdantes, comme la crevette nordique. Il va falloir que, dans le futur, l’industrie puisse s’adapter à ces changements pour exploiter des espèces qui vont bien et diminuer la pression de la pêche sur celles qui sont défavorisées.»

Par ailleurs, les stocks de crevette nordique sont listés dans la loi C-68. «Cette loi dit que lorsqu’un stock est dans la zone critique, comme dans Sept-Îles, Anticosti et Esquiman, on se doit de mettre en place un plan de rétablissement, c’est-à-dire de prendre des actions pour essayer d’améliorer la situation, précise Hugo Bourdages. On a deux ans pour le mettre en place, selon la loi.» À son avis, les quatre scénarios proposés à la baisse auront déjà pour effet d’améliorer la situation.

ABSENCE DE PROJECTIONS POUR L’ESTUAIRE

La zone Estuaire n’est pas incluse dans les projections. «Cette année, on a malheureusement manqué de temps durant notre relevé et on n’a pas été en mesure d’échantillonner l’Estuaire, se désole le biologiste. Une semaine après avoir débuté notre relevé scientifique, on savait qu’on allait manquer de journées. Donc, on a priorisé les stocks d’Esquiman, Anticosti et Sept-Îles. C’est pour ça que, dans l’Estuaire, on donne un statut incertain. On va y retourner en 2024 et on va être capable d’avoir une mesure pour le qualifier.»

Chose certaine, la situation dans  l’Estuaire n’est pas meilleure qu’ailleurs. «Ces stocks sont aussi affectés par le réchauffement et la perte d’oxygène, explique l’expert. Dans la pêche commerciale aussi, il y a eu une diminution des rendements. Dans l’Estuaire, les pêcheurs ont vu leurs prises de crevette diminuer de 49% en 2023. Donc, on doit être prudent avec les stocks dans l’Estuaire.»

Le phénomène de la prédation de la crevette par le sébaste n’a pas été pris en considération et retenu dans le développement de la nouvelle approche de précaution proposée, alors qu’il s’agit de l’un des principaux facteurs ayant contribué fortement au déclin des stocks de crevette depuis plusieurs années. «On n’a pas été capable de modéliser toutes les interactions entre le sébaste, la crevette et la pêche dans l’échéance que l’on avait pour prévoir notre approche de précaution», justifie le biologiste du MPO.

INQUIÉTUDE ET ESPOIR

Une diminution de la productivité observée dans les stocks de crevette sème de l’inquiétude relativement au renouvellement des cohortes. «Il y a une faible abondance de petites crevettes», signale Hugo Bourdages. De plus, les scientifiques constatent une perte de l’habitat du petit crustacé en raison du réchauffement des eaux profondes.

«L’espoir, pour la crevette du golfe, c’est qu’elle puisse retrouver localement des conditions de température et d’oxygène qui vont lui être favorables, souhaite l’expert. La distribution de la crevette dans le golfe est dans de plus faibles profondeurs de son aire de distribution habituelle. Donc, l’habitat du futur de la crevette sera de superficie moindre, ce qui va nous amener à avoir des stocks de plus faible abondance et moins productifs. Mais, il va rester de la crevette dans le golfe.»

BIOLOGIE – page 02 – Volume 36,5 Décembre 2023-Janvier 2024

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