La biomasse de crabes adultes de taille commerciale disponible pour la pêcherie en 2024 dans l’ensemble du sud du golfe Saint-Laurent est estimée à 67 703 tonnes métriques, en chute de 20,84 % par rapport aux 85 532 tonnes en 2023.
Pour cette partie du golfe, la revue scientifique déposée les 23 et 24 janvier a établi que 65 % de la ressource commerciale disponible à la pêcherie en 2024, un volume de 44 484 tonnes, est composée de recrues. Pour sa part, la biomasse résiduelle, des mâles adultes de taille commerciale n’ayant pas été pêchés en 2023, a augmenté de 40,3 % pour être estimée à 24 393 tonnes, soit environ 8 000 tonnes de plus qu’il y a un an. Ça correspond à 35 % de la biomasse totale de 67 703 tonnes.
«Si le total obtenu par l’addition du recrutement et de la biomasse résiduelle dépasse 67 703 tonnes, c’est en raison de légères différences méthodologiques. Certains aspects sont mesurés différemment et ça ne donne pas le total exact», précise le biologiste Tobie Surette, responsable de l’évaluation du stock de crabe des neiges du sud du golfe Saint-Laurent pour Pêches et Océans Canada. Le dépassement est de 1 174 tonnes cette année, plus que la différence habituelle.
La répartition de la biomasse commerciale disponible en 2024 dans les quatre zones, selon le relevé 2023, atteint 58 385 tonnes dans la zone 12, soit 86,8 % de la biomasse totale, 3 702 tonnes dans la zone 19, ce qui représentent 5,5 % de la biomasse, 509 tonnes dans la zone 12E, ou 0,8 % de la biomasse et 4 675 tonnes dans la zone 12F, c’est-à-dire 6,9 % de la biomasse totale.
Qui dit baisse de la biomasse commerciale disponible à la pêcherie dit aussi baisse du contingent alloué aux pêcheurs du sud du golfe.
BAISSE GLOBALE DE 26 % DU TAC
Le total autorisé de captures pour les quatre zones du sud du golfe en 2024, selon la règle de décision acceptée de l’approche de précaution, atteindrait 26 126 tonnes et ce, avec un taux d’exploitation de 38,59 %. Il s’agirait d’une baisse de 26,24 % du contingent global de 2023, alors qu’il s’élevait à 35 422 tonnes.
Un calcul de proportions suggérerait un contingent de 22 625,9 tonnes dans la zone 12 en 2024, soit une baisse de 28,9 % par rapport au quota révisé de 31 730 tonnes de cette même zone en 2023. Il faut toutefois enlever 450 tonnes pour le relevé scientifique. Tobie Surette ne s’avance pas au sujet des quotas dans les trois autres zones.
Lors du relevé 2023, les principales concentrations locales des crabes de taille commerciale ont été observées au banc Bradelle, dans les parties sud et ouest du canal des Îles-de-la-Madeleine et une concentration modérée dans la vallée de Shédiac.
Tobie Surette n’était pas surpris outre mesure par la baisse de biomasse disponible à la pêche découlant des 355 traits de chalut réalisés entre la mi-juillet et la mi-septembre 2023.
«Ça faisait cinq années que la biomasse commerciale flottait autour de 80 000 tonnes, par exemple 85 532 tonnes l’an passé. Un déclin de 21 % (précisément 20,84 %) de la biomasse commerciale est donc assez normal, parce que 80 000 tonnes, c’est abondant. On parle de cycles dans le crabe des neiges. Quand on regarde l’histoire, il y a eu des pics d’abondance dans les années 1980, de nouveau dans les années 1994-1995, et encore en 2005. Depuis 2012, on a vu moins de cycles. C’est plutôt stable depuis cette année-là. Un déclin de 21 %, c’est assez fort mais ce n’est pas surprenant quand on regarde les séries temporelles», analyse M. Surette.
UN STOCK EN BONNE SANTÉ
Il souligne comme point rassurant que le stock de crabe des neiges demeure dans la zone saine et il mentionne aussi l’observation de plusieurs classes d’âge lors du relevé de 2023.
«On capture des crabes de 30 à 40 millimètres (de carapace) dans le relevé. Ce sont les plus petits. On ne voit pas les crabes des quatre premières années du cycle benthique. On voit bien sûr aussi les crabes de taille commerciale de 95 millimètres et plus. On a vu des chiffres similaires. La biomasse record a été observée en 2016, avec près de 100 000 tonnes, précisément 98 394 tonnes. Elle avait baissé à 65 700 en 2017. On est dans ces niveaux-là. Quand on regarde les années 2013, 2014 et 2015, on voit des biomasses de 66 000, 68 000 et 57 000 tonnes respectivement. Si on retourne en 2009, la biomasse se situait à 31 000 tonnes, et à 36 000 tonnes en 2010», précise Tobie Surette.
Il pourrait y avoir d’autres baisses de biomasse au cours des prochaines années, mais ce n’est pas une certitude.
«L’opinion qui circule chez les scientifiques, c’est qu’il pourrait y avoir une baisse l’an prochain. Il y a une mue (de carapace) annuelle chez le crabe des neiges, en général. On a observé chez une certaine proportion de crabe de taille sous-commerciale un saut de mue. Le pourcentage pourrait être de 56 % chez une classe d’âge. Il y a donc un retard des recrues dans la pêche de cette année. Ça peut engendrer un retour (de quantité plus élevée) l’année prochaine. On a quand même vu une décroissance des pré-recrues depuis trois ans. Elles sont à la baisse, mais on a aussi vu que le recrutement dans la pêche était resté au même niveau. On voit une baisse de recrutement d’après le relevé de 2023, mais depuis quatre à cinq ans, le recrutement a été maintenu malgré ça», observe Tobie Surette.
Le recrutement annuel s’est maintenu à environ 60 000 tonnes par an de 2018 à 2021, avant de grimper à 68 000 tonnes lors du relevé de 2022.
«On parle vraiment d’une pêche de recrutement dans le crabe des neiges. Le recrutement représente de 70 % à 80 % de la biomasse commerciale. L’âge du crabe se situe à huit ou neuf ans quand il entre dans la pêche», précise le biologiste.
DEUX SOURCES D’INQUIÉTUDE
La situation des pré-recrues et le réchauffement de l’eau constituent deux inquiétudes pour Tobie Surette à court et à moyen termes.
«À moyen terme, la diminution qu’on voit chez les pré-recrues à la pêche est une inquiétude, mais leur quantité est grande. Ça contrebalance l’inquiétude. Les crabes qui vont arriver dans la pêche dans quatre ans devraient générer un gros recrutement. En ce qui concerne le réchauffement de la température de l’eau, on fait du monitorage à tous les ans. Il y a beaucoup d’attention portée sur ce facteur. On ne le suit pas aux cinq ans comme dans certaines espèces. Les femelles des crabes des neiges ne sont pas touchées par la pêche du tout. On voit de bonnes quantités. La ponte des œufs est bonne. On suit le travail des collègues dans le détroit de Béring. Ils sont à reconstruire leur stock à cause d’une grosse mortalité naturelle à une échelle d’un an et deux ans. Il faut comprendre qu’à certains seuils de température, il (le crabe) ne peut avoir assez de calories pour se maintenir en santé. On voit qu’on se situe dans des années d’eau chaude», souligne M. Surette.
Quand on lui demande si le réchauffement climatique peut affecter les taux de reproduction et de capture, le biologiste précise que des perturbations majeures n’ont pas encore été observées dans le sud du golfe Saint-Laurent.
«L’habitat du crabe des neiges est borné par les eaux chaudes peu profondes, des eaux côtières. Il vit toujours à plus de 40 mètres de profondeur. Il y a aussi des eaux chaudes plus profondes dans le sud du golfe. Le crabe évolue dans un chenal très profond, mais froid. S’il y avait un influx venant du Gulf Stream de 7-8 degrés, ce ne serait pas bon parce que le crabe ne peut bien tolérer ces températures. Il y a au large du Cap Breton, un chenal situé dans la partie de la zone 19 où on voit ça», note Tobie Surette.
Les femelles préfèrent une température d’incubation froide, note-t-il. «Il y a dans le sud du golfe, une grande étendue où la température de l’eau est à 2-3 degrés. On vérifie l’étendue de cette aire à chaque année. C’est «chaud», à 1,3 ou 1,4 degré Celsius. À partir de 2 ou 3 degrés, c’est moins confortable pour le crabe des neiges, qui peut tolérer une température de 6-7 degrés, mais ce n’est vraiment pas l’idéal pour lui», observe M. Surette.
Jusqu’à maintenant, le crabe des neiges n’a pas bougé de ses fonds traditionnels.
«Les prises par unité d’effort (par casier) ont été très bonnes l’an passé. Il y a eu une augmentation de 40 % du taux moyen par casier dans la zone 12 et à l’échelle du golfe; les prises ont été parmi les plus hautes des séries temporelles. Dans la zone 19, c’est toujours beau et c’est là qu’on retrouve les prises les plus hautes avec 140 kg par casier. Dans la zone 12, on a observé 72,2 kg par casier levé», conclut Tobie Surette.
LE SUD DU GOLFE – pages 08-09 – Volume 37,1 Février-Mars 2024