Le turbot continue d’être de plus en plus rare dans les eaux de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. À peine une dizaine de pêcheurs du côté nord de la Gaspésie ont effectué de rares sorties en mer pour tenter de capturer le turbot. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, seulement 2 ou 3 tonnes de ce poisson ont été capturées sur un total autorisé de captures (TAC) de 2 000 tonnes et une limite de captures de 823 tonnes pour la présente saison.
C’est ce que révélaient certaines données disponibles le 25 juin. La situation est de plus en plus critique pour cette espèce. Les quatre usines de transformation du côté nord de la Gaspésie sont aussi grandement affectées par la quasi absence de prélèvements de la ressource.
SITUATION INQUIÉTANTE POUR LES TURBOTIERS
Pour le directeur du Regroupement des pêcheurs professionnels du nord de la Gaspésie (RPPNG), la situation est inquiétante. «Les résultats ne sont pas au rendez-vous», confirme Jean-René Boucher. Selon lui, des pêcheurs étaient confiants, il y a quelques mois, de pouvoir trouver du poisson. «Les quelques voyages qui ont été faits par des pêcheurs qui gardent un fond d’espoir sont très inquiétants, se résout-il néanmoins à constater. Mais, plus ça va, moins ils en ont.»
Pierre-Nicolas Tanguay-Lévesque est l’un des turbotiers qui participent à une pêche d’essai au large de Matane. «Ça me permet d’essayer un endroit qui n’a pas été essayé cette année et pendant la moitié de la saison l’an passé.»
Mais, le pêcheur de Sainte-Anne-des-Monts ne nourrit pas de grandes attentes. «On a été déçu ces dernières années, indique le capitaine du TITAN. Si je me fie à l’an passé et à ceux qui sont allés pêcher en début de saison, les captures sont pires que l’an passé. Mais, j’aime quand même rester positif parce que quand on n’a plus d’espoir, on n’est pas un pêcheur.»
Un moratoire complet est-il envisageable en raison de la disparition de plus en plus évidente de la ressource et de la difficulté qu’elle a à se reproduire? «Pour qu’il y ait un moratoire, ça dépend toujours de l’état de la biomasse, répond Jean-René Boucher. Selon l’approche de précaution, si la biomasse pêchable devait descendre en deça de 10 000 tonnes, il y aura arrêt de la pêche commerciale. À la lumière de ce qu’on voit, ce n’est pas impossible qu’on en arrive là.»
LA PÊCHE EXPLORATOIRE AU HOMARD COMME PLANCHE DE SALUT ?
L’émission de nouveaux permis de pêche exploratoire au homard pour la zone 19 du côté nord de la Gaspésie dès le printemps prochain suscite des attentes auprès des turbotiers. «Il y a déjà quatre permis qui ont été émis entre Rivière-à-Claude et la rivière Tartigou, à l’ouest de Matane, précise le directeur du Regroupement. Les captures ont été en augmentation fulgurante dans certains secteurs. Donc les pêcheurs aimeraient pouvoir bénéficier de ces nouveaux permis.»
M. Boucher n’est pas certain qu’il y aura assez de permis pour sauver toute la flottille. «Mais si tout le monde travaille ensemble, il y a certainement assez de permis pour qu’un grand nombre de pêcheurs puissent en profiter pour aller chercher le revenu qui leur manque. Même si on ne s’attend pas à avoir des permis de 250 à 300 casiers comme les homardiers traditionnels, on aimerait qu’il y ait plus de permis et que tout le monde puisse avoir sa part du gâteau.»
Par ailleurs, il serait difficile, selon lui, de ne pas faire de distinction entre les pêcheurs qui dépendent exclusivement du turbot et qui n’ont aucune allocation de crabe des neiges de ceux qui en possèdent dans les zones 12 et 17. «Il y aurait moyen de donner un coup de main à ceux qui ont des allocations de crabe parce que les dernières années n’ont pas été exceptionnelles non plus dans la pêche au crabe.» M. Boucher croit que cela aiderait les jeunes pêcheurs qui ont fait l’acquisition de leur entreprise récemment.
Situation désastreuse pour les transformateurs
Le directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP) juge la situation désastreuse pour ses quatre usines membres.
«C’était si faible comme captures que certains pêcheurs les ont gardées pour leur consommation personnelle et avec raison, mentionne Jean-Paul Gagné. Des usines ne peuvent pas organiser la transformation pour quelques livres!»
La diminution de la ressource est telle qu’une demande a été formulée pour abolir le plan conjoint du turbot. L’AQIP a aussi suspendu sa certification de la Marine Stewardship Council (MSC).
AIDE FINANCIÈRE NÉCESSAIRE POUR L’IMPORTATION DE TURBOT
Selon M. Gagné, une aide financière sera nécessaire pour transformer du turbot de la Norvège. Mais les discussions entre l’AQIP et le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, n’ont pas été encourageantes. «L’argument du ministre est qu’on ne veut pas subventionner l’achat de turbot qui va être transformé par des travailleurs étrangers temporaires. Pourtant dans le cas du turbot, il n’y a pas de travailleurs étrangers temporaires.»
Le sébaste représente une solution pour plusieurs entreprises. «Il faut reprendre le marché, soulève toutefois le porte-parole des quatre usines membres de l’AQIP situées du côté nord de la Gaspésie. Il y a de l’investissement à faire de ce côté.» Selon les quantités débarquées, l’AQIP vise ensuite l’exportation.
Investissement Québec et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) soutiendront un programme pour que les industriels puissent se rendre en Europe pour explorer les procédés de transformation du sébaste dans un objectif d’économie circulaire, notamment en pouvant extraire les huiles riches en Omega 3.
Par ailleurs, les usines demandent du soutien financier pour les aider à s’adapter à la transition. «Quand la morue est tombée il y a 32 ans, il a fallu avoir de l’aide et on avait transformé de la morue russe, rappelle M. Gagné. On avait réussi à passer au travers et à diversifier nos opérations.»
Le directeur général de l’AQIP pense notamment à de l’aide à l’emploi. «La formation peut se faire à l’usine en transformant.» Pour Jean-Paul Gagné, cette aide consiste aussi à sauver l’économie des régions concernées. Il mentionne notamment le cas de Rivière-au-Renard qui est fortement affectée par les faibles débarquements de crevette et de turbot.
LES POISSONS DE FOND – page 08 – Volume 37,3 Juin-Juillet-Août 2024