jeudi, décembre 12, 2024
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Relevé du homard au chalut en Gaspésie : une première année fructueuse

L’équipe scientifique de l’Institut Maurice-Lamontagne considère la première année de relevés de homard au chalut comme un vif succès. L’équipe a réalisé quinze traits de chalut entre Carleton et le cap Gaspé à la fin de l’été et au début de l’automne et elle est satisfaite de la constance des résultats.

Le défi consistait d’abord à concevoir un chalut n’exerçant pas trop de pression sur le fond marin, caractérisé par la forte présence de rochers en Gaspésie. Il fallait donc concevoir un chalut différent de celui utilisé aux Îles-de-la-Madeleine, où des relevés de ce genre sont réalisés depuis 1995.

En Gaspésie, la biologiste Louise Gendron, maintenant retraitée de l’Institut Maurice-Lamontagne, a longtemps voulu utiliser un chalut pour des relevés de homard, mais les premiers essais ont été  infructueux, explique Daniel Munro, biologiste au même endroit.

«Le sentiment en Gaspésie, c’est qu’il n’y avait pas une couverture scientifique équivalente dans la région. Lors de ses premiers relevés en Gaspésie, l’équipe de Louise a déchiré le chalut à plusieurs reprises. C’était avant 2015. C’était le même chalut benthique, à portes, qu’on utilise encore aux Îles», raconte M. Munro, qui a fait partie du groupe dirigé par Benoit Bruneau.

Un contexte historique

C’est ce groupe qui a eu pour mission de revenir à la charge afin d’implanter des relevés de homard au chalut en Gaspésie.

La loi C-68, qui est entrée en vigueur le 28 août 2019, a ajouté à l’approche de précaution une approche écosystémique, découlant de directives du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH).

«Louise Gendron était arrivée avec    des cibles en 2012, en fonction de l’approche de précaution. Puis, sous Benoît (Bruneau), on y a ajouté l’approche écosystémique. Ça prend des indicateurs sur la biomasse, mais aussi des indicateurs sur l’environnement au sens large, la température de l’eau, les prédateurs, les proies. L’approche écosystémique ne détermine pas les paramètres. C’est au biologiste de le faire. Pour être cohérent avec ces demandes d’évaluation de stock de homard, le MPO (ministère des Pêches et des Océans) a débloqué des fonds pour implanter les relevés au chalut dans le cas du homard en Gaspésie», précise M. Munro, comme rappel historique.

Benoit Bruneau a donc pris contact avec le Regroupement des pêcheurs professionnels de la Gaspésie après l’adoption de la loi C-68, à la fin de 2019, mais la pandémie de Covid-19 prend alors tout le monde à contrepied en mars 2020. Les chercheurs rentrent d’abord chez eux, puis reviennent graduellement dans leur lieu de travail.

Daniel Munro assure que le défi de fabrication d’un nouveau chalut adapté au fond marin gaspésien était considérable, notamment en raison de sa différence avec celui des Îles-de-la-Madeleine, où le fond est essentiellement sablonneux.

L’utilisation du chalut ne fait d’autre part pas l’unanimité, loin de là, au sein des homardiers. Les biologistes voient, par contre, plusieurs avantages à cet outil de capture.

«On récolte de l’information qu’on ne va pas chercher avec les casiers lors de l’évaluation post-saison effectuée par des pêcheurs. Tout ce qui se fait au casier se fie sur l’appât pour capturer le homard. Il y a un biais. Les petits en croissance seront peut-être hésitants à entrer dans le casier. Si on a un gros homard, ça peut repousser les petits homards. Il y a du cannibalisme à l’intérieur du casier. Mais les casiers nous apportent d’autres données, sur les homards en recherche de nourriture, sur leur répartition spatiale, sur les captures en région rocheuse ou sur fond sablonneux, ce que le chalut n’abordera pas. Le chalut donne une proportion exacte de la biomasse à un endroit précis, parce qu’il capture aussi les concombres de mer, les crabes communs et aussi de très petits homards. Ce sont des approches complémentaires», explique M. Munro.

La pandémie a compliqué la tâche de l’équipe parce qu’il était plus difficile de trouver les soudeurs et les matériaux pour fabriquer le concept ayant fait l’objet d’un design sur papier, note le biologiste.

«Le moment de l’année où on fait le relevé est important. On entre en septembre, où ils (les homards) vont se répartir sur des fonds sablonneux. Aucun chalut ne peut donner l’heure juste sur un fond rocheux. Il fallait travailler sur les patchs (surfaces) de sable adjacentes aux roches. Il n’y a pas de gros secteurs sablonneux tout le long de la Gaspésie. Il faut faire un chalut qui fonctionne sur les secteurs proches des roches. Tôt ou tard, on va frapper une roche, Avec le chalut conventionnel, quand on le brise, ça fait neuf personnes à quai qui ne travaillent pas pendant qu’on répare. Il faut être plus efficace. En réalité, ça nous prend un nouvel engin, résistant s’il frappe un récif. Les membres du RPPSG (Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie) avaient fait de gros efforts pour retirer les dragues hydrauliques», poursuit Daniel Munro, décrivant en détails ce que les concepteurs du nouveau chalut devaient abattre comme contraintes.

Le défi

Les chercheurs se retrouvent donc devant un défi technique considérable. «Il faut que le nouveau chalut allie robustesse et délicatesse, l’inverse des dragues hydrauliques avec des dents qui piquent pour aller peigner le fond et extraire les palourdes et les pétoncles. Ça perturbe le benthos (la vie marine). On voulait un engin avec moins d’impact sur le fond, tout en allant chercher le homard», décrit M. Munro.

Un essai est réalisé en 2023 à Rivière-au-Renard, pour tester le comportement de l’engin développé par des pêcheurs, des chercheurs et des ingénieurs.

«Notre chalut est presque indestructible quand il frappe un récif. Les tests sont concluants en 2023. On capture du homard au-delà de nos attentes. On l’a fait chaluter avec des caméras. Le homard a le comportement de tenir son territoire jusqu’à ce que les dents du chalut arrivent proche de lui. Avec l’arrivée du boudin, il réagit et tombe dans le filet sans toucher, presque, au boudin. On a été agréablement surpris. Le crabe commun va chercher à fuir. On allait donc chercher d’assez jeunes classes de tailles qu’on ne voyait pas sur la caméra», évoque M. Munro, en référence aux essais de 2023.

En septembre 2024, l’équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne est passée à l’action du côté sud de la Gaspésie, pour des relevés authentiques, en utilisant le même chalut qu’une année plus tôt à Rivière-au-Renard. La vitesse de circulation du bateau et du chalut a été réglée à 1,5 nœud.

«À 2,5 nœuds, la pression sur le fond est zéro. Il faut descendre à 1,5 nœud pour que la structure de métal se pose sur le fond. Le patin de métal (qui touche au fond) est recouvert de caoutchouc et de téflon. Le poids est réparti sur la surface du patin. Il y a tellement de surface qu’il n’y a quasiment pas d’enfoncement. En mouvement, on est capable de voir le caoutchouc (avec la caméra qui capte l’action). On a l’extrême opposé d’une drague hydraulique, faite pour râteler le fond. C’est le jour et la nuit sur l’impact au fond», rapporte Daniel Munro.

Les équipes ont quantifié le nombre de homards endommagés par le chalut. «Il y a entre 4 à 8% de homards qui ont perdu une pince, à faire recroître. Ils seront trois ou quatre ans sans intérêt pour la pêche commerciale, mais ils se reproduisent», note le biologiste.

Le chalut spécifique à la Gaspésie ne porte pas encore de nom. «On ne réussit pas à en trouver un officiel. Pour le moment, c’est Gentle Giant», ajoute-t-il.

L’équipe de l’Institut Maurice-Lamontagne a accueilli pendant deux jours le biologiste Jean Côté, du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie, afin qu’il observe la technique utilisée pour capturer du homard. Accueillir un chercheur employé par un organisme privé constitue une pratique rare sur un bateau de recherche gouvernemental «mais nous avons obtenu une dérogation parce que c’est un partenaire», dit Daniel Munro.

Quinze traits de chalut

En raison de la dominance des fonds rocheux du côté sud de la Gaspésie, donc de la difficulté de trouver d’assez grandes étendues sablonneuses dans les profondeurs où évoluent les homards, l’équipe de recherche a choisi avec soin 15 stations d’échantillonnage où des traits de chalut ont été réalisés. Ces stations consistent en des lignes de 350 mètres où il y a peu de grosses roches.

«On devait travailler avec une contrainte de profondeur de 8 à 20 mètres, et ça descend très vite en plusieurs endroits, au point de faire une diagonale. Il faudra revenir aux mêmes endroits à l’avenir», spécifie Daniel Munro.

«On a commencé à pêcher du homard et on est très satisfaits des résultats. C’est le minimum dont on a besoin pour un pouvoir statistique, afin d’arriver à l’évaluation des stocks. Il était temps qu’on arrive avec ça», affirme M. Munro, convaincu que sans pandémie, les relevés auraient pu être réalisés trois ans plus tôt, et en tenant les homardiers gaspésiens davantage dans le coup.

Les traits de chalut effectués en Gaspésie ont donné des indices d’abondance inférieurs à ceux des Îles-de-la-Madeleine.

«Nous avions à peu près 150 homards par trait en Gaspésie cette année. Ceci comprend toutes les classes de tailles, de la taille de l’écrevisse au homard jumbo dont la partie thoracique de la carapace mesure plus de 127 millimètres», signale Daniel Munro.

Il note qu’aux Îles-de-la-Madeleine, les captures au chalut sont généralement deux fois supérieures. En outre, en Gaspésie, en raison de la nature rocheuse du fond marin, ce que nous avons capturé n’est pas représentatif de la pêche commerciale. On ramasse les homards de la taille d’une écrevisse», insiste-t-il.

Il serait utopique de penser que les relevés au chalut en Gaspésie constitueront un indice pour évaluer la biomasse dans un avenir prévisible.

«Pour la biomasse, ça n’arrivera pas à court terme. Aux Îles-de-la-Madeleine, on va l’avoir (…) Le homard évolue sur tellement de types de fond en Gaspésie. C’est très difficile à évaluer. Aux Îles, on a un fond de sable. On peut faire une technique statistique. On peut faire une estimation sur l’ensemble du fond sablonneux. Ce n’est pas le cas en Gaspésie, où la densité sur les fonds rocheux est peut-être trois fois plus élevée. Par contre, ça va nous donner un indice sensible de variations de densité sur les fonds sablonneux. Ça fait nous donner l’effet combiné des variations post-saison aux casiers et de l’évaluation au chalut, et la répartition du homard sur le fond sablonneux quand la densité est très élevée. C’est un plus», analyse Daniel Munro.

En 2025, «Gentle Giant» changera de terrain de relevés. «On effectuera le même exercice, mais au nord de la Gaspésie. On prend un bateau de recherche côtière, mais il n’est pas équipé pour les faibles profondeurs. On utilise un sonar de très bonne qualité pour la pêche sportive et une caméra câblée. On peut se faire une idée précise de ce qu’on voit avec le sonar», conclut le biologiste.

BIOLOGIE – pages 8-9 – Volume 37,5 Décembre 2024 – Janvier 2025

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Gilles Gagné
Gilles Gagné, né à Matane, le 26 mars 1960. J'ai fait mes études universitaires à Ottawa où j'ai obtenu un baccalauréat avec spécialisation en économie et concentration en politique. À l'occasion d'une offre d'emploi d'été en 1983, j'ai travaillé pour Pêches et Océans Canada comme observateur sur deux bateaux basés à Newport, deux morutiers de 65 pieds. Le programme visait l'amélioration des conditions d'entreposage des produits marins dans les cales des bateaux et de leur traitement à l'usine. Cet emploi m'a ouvert des horizons qui me servent encore tous les jours aujourd'hui. En 1989, après avoir travaillé en tourisme et dans l'édition maritime à Québec, je suis revenu vivre en région côtière et rurale, d'abord comme journaliste à l'Acadie nouvelle à Campbellton. C'est à cet endroit que j'ai rédigé mes premiers textes pour Pêche Impact, à l'été 1992. Je connaissais déjà ce journal que je lisais depuis sa fondation. En octobre 1993, j'ai déménagé à Carleton, pour travailler à temps presque complet comme pigiste pour le Soleil. J'ai, du même coup, intensifié mes participations à Pêche Impact. Je travaille également en anglais, depuis près de 15 ans, pour l'hebdomadaire anglophone The Gaspé SPEC et je rédige l'éditorial du journal Graffici depuis 2007.
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