Les pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine ont enregistré un nouveau record des captures, cette saison, avec des débarquements qui ont franchi le cap des 16 000 000 de livres ! Le total de 16 144 572 livres représente une hausse de 6,6 % par rapport à l’an dernier. Quant au prix moyen pondéré de 7,09 $ la livre, selon les données de l’Office des pêcheurs de homard des Îles (OPHÎM), il est en baisse de 7,6 % comparé aux 7,67 $ la livre versés à quai en 2023.
En fait, une surabondance des prises de homard partout dans l’Est canadien a forcé les prix à la baisse sur plus de la moitié de la saison 2024. Malgré tout, James Derpak, directeur général de Fruits de mer Madeleine de L’Étang-du-Nord, se réjouit de ce que son entreprise ait su tirer son épingle du jeu. «Le marché a été moins facile cette année et la baisse des prix, ce n’est jamais le scénario idéal. Mais on a quand même réussi à tout écouler avec succès», commente-t-il.
Ruth Taker, directrice générale de la Coopérative des pêcheurs de Cap Dauphin à Grosse-Île, note pour sa part que chaque saison de pêche est différente. Celle-ci a tout particulièrement été marquée par une forte résistance venant d’Asie et des États-Unis lorsque la valeur du produit a été propulsée à 20 $US la livre en cours d’hiver dernier, en raison de faibles rendements de pêche au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. «Même si le produit se faisait rare, l’appétit des consommateurs a été freiné par ce prix jugé trop élevé, dit-elle. Et la faillite de la chaine de restauration Red Lobster n’a certainement pas aidé à stimuler la demande. Comme avec n’importe quelle annonce négative, les gens se sont dit que le homard était trop cher.»
Se sont ajoutées à cela des prises printanières exceptionnelles au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, où elles sont habituellement beaucoup plus faibles qu’en hiver. Avec de surcroît des débarquements record à Terre-Neuve et ailleurs dans les Maritimes, tant les marchés que les viviers sont rapidement devenus saturés. «À Terre-Neuve, ils n’ont jamais vécu ça!, soutient Mme Taker. Quelqu’un qui a l’habitude de pêcher 200 à 400 livres par jour à bord d’un petit dory, un petit canotte, se ramassait avec 5 000 livres de homard par jour! Et comme ils n’étaient pas équipés pour ça, ils ont eu beaucoup de pertes.»
Quant au président des Pêcheries LéoMar, Christian Vigneau, il rapporte avoir transformé les deux tiers de ses approvisionnements à l’usine de Gros Cap, incluant ceux de son entreprise apparentée Poissons Frais des Îles. Environ 200 travailleurs, dont la moitié provenant du Mexique, y étaient affectés.
«On a eu une belle saison malgré une mise en marché éprouvante pour le homard vivant, assure M. Vigneau. La transformation nous permet d’en réguler l’offre. Ça nous permet d’aller chercher le meilleur des deux mondes. Quand le marché est meilleur sur le homard vivant, on va préférer le vendre vivant, et inversement, on va transformer davantage si le marché est meilleur pour le homard transformé. Mais est-ce que les Îles-de-la-Madeleine, qui n’offrent que 3 % à 4% du homard de tout le nord-est Atlantique, viennent faire une différence sur le prix? Je ne crois pas.»
SEUIL DE RENTABILITÉ
De son côté, le président de l’OPHÎM, Rolland Turbide, se déclare déçu des prix payés à quai en cours de saison. Il signale que le prix final moyen est de 0,40 $ inférieur au seuil de rentabilité de la flottille, établi dans le cadre d’une étude sur les coûts d’exploitation des pêcheurs de homard de l’archipel, réalisée pour le compte de son organisation par la firme comptable Cyr, Landry, Lapierre et le Centre d’études sur les coûts de production en agriculture (CECPA).
Le capitaine du DAUPHIN BLEU de la Pointe-Basse ne comprend surtout pas pourquoi le prix à quai était par moment sous l’indice de référence américaine du Seafood Price Current, faisant en sorte que les pêcheurs néo-brunswickois et de l’Île-du-Prince-Édouard recevaient davantage que les Madelinots. «C’était du jamais vu, soutient-il. Et curieusement, comme par miracle, le prix est remonté au-dessus du Seafood en fin de saison. Il va falloir qu’on ait une bonne discussion avec l’AQIP (Association québécoise de l’industrie de la pêche) pour éclaircir ça et voir ce qu’on peut faire pour améliorer notre mise en marché.»
Néanmoins, M. Turbide reconnaît qu’il est somme toute satisfait de la saison 2024. Une saison que son confrère Bertrand Aucoin de l’Étang-du-Nord va jusqu’à qualifier de formidable. «Avec la brume qui était aussi constante à tous les jours du printemps, c’était un peu plus compliqué en matière de sécurité parce qu’on avait toujours les yeux sur le radar, pour vérifier les autres bateaux aux alentours. Mais question de température, il a vraiment fait beau. Il n’a pas venté», se félicite le capitaine du KEVIN NICK.
M. Aucoin, qui est capitaine-propriétaire depuis 8 ans, admet aussi que malgré une légère diminution de son rendement personnel des captures et la baisse généralisée des prix, son bilan est en bout de piste positif. «Oui, c’est une année rentable, affirme-t-il. C’est sûr que pour moi, pour quelqu’un qui est capitaine depuis plusieurs années, la baisse des prix n’est pas aussi tragique que pour les jeunes qui viennent de commencer. Je n’ai pas des paiements aussi faramineux qu’eux autres.»
Nicolas Chevarie, capitaine du LOUZACK de la Pointe-Basse, abonde dans le même sens. «C’est sûr qu’on voudrait toujours un prix plus élevé mais, tout compte fait, pour moi la saison est profitable parce quand j’ai acheté [mon permis et mon bateau] en 2017, les prix n’avaient pas encore explosé. Mais c’est sûr qu’un jeune qui vient de se gréer à 1,5 M$, par exemple, je comprends que sa situation n’est clairement pas la même que la mienne.»
FAIRE MIEUX
Selon l’étude de Cyr, Landry, Lapierre et du CECPA, un volume saisonnier de 40 000 livres à un prix moyen de 7,49 $ est nécessaire pour dégager un profit en fin d’année. Le président de l’organisme qui applique le Plan conjoint du homard des Îles croit qu’un plus grand nombre d’acheteurs inscrits à sa convention de mise en marché favoriserait de meilleurs prix par une plus forte concurrence. Rolland Turbide se déclare d’ailleurs frustré que le ministre du MAPAQ, André Lamontagne, n’ait toujours pas dévoilé les conclusions de l’étude indépendante commandée l’hiver dernier sur la pertinence d’émettre de nouveaux permis d’acquéreurs.
«Si on avait deux ou trois acheteurs de plus, ça augmenterait d’autant la capacité de contention du homard, expose M. Turbide. Et on aurait une mise en marché plus ordonnée, parce que chacun serait moins pressé d’écouler ses volumes. La concurrence n’a jamais fait de tort, bien au contraire!»
À ce propos, le directeur de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), Jean-Paul Gagné, rétorque que la commercialisation du homard n’a rien de simple. «Ça ne se fait pas en un tour de main, dit-il. Quand bien même qu’on aurait un, deux, trois acheteurs de plus, ça ne signifie pas que le consommateur va vouloir payer plus cher! C’est le consommateur qui décide du prix qu’il peut se permettre de payer. Alors j’ai de la misère à voir ce que des acheteurs additionnels apporteraient comme résultat sur le prix au pêcheur. Si le homard ne sort pas, ça ne nous avancerait pas plus.»
Cela dit, l’OPHÎM va jusqu’à proposer de revoir le partage du prix payé à quai pour que le pourcentage perçu par les acheteurs au-delà d’un certain prix du marché leur soit plus avantageux. «Ça les inciterait peut-être à faire un effort supplémentaire pour aller chercher les meilleurs prix possibles», avance Rolland Turbide.
L’Office suggère également de relancer le programme de traçabilité des captures de la mer à l’assiette. On se rappellera qu’un projet pilote mis sur pied en 2011 permettait aux consommateurs de se renseigner sur la provenance de leur repas. Grâce au code électronique imprimé sur des étiquettes rattachées à l’élastique de pince des crustacés, les gens pouvaient en voir le pêcheur et lire à son sujet sur le site Internet homardsdesilesdelamadeleine.com. Malheureusement, il n’y avait pas eu de suites à cette initiative, à laquelle avaient participé une soixantaine de Madelinots, en raison d’un problème de financement.
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 02 – Volume 37,3 Juin-Juillet-Août 2024