Malgré l’absence de mortalité de baleines noires en eaux canadiennes l’an dernier, l’industrie du crabe du Québec et du Nouveau-Brunswick maintient, en 2021, sa suspension volontaire de la certification du Marine Stewardship Council sur la pêcherie de la zone 12.
On se rappellera que le sceau de pêche durable du crabe des neiges du sud du golfe a été suspendu en 2018, en raison du haut taux de décès des mammifères menacés de disparition enregistré l’année précédente et imputé à leur empêtrement dans les cordages de pêche. Depuis, l’industrie s’est plutôt engagée dans une démarche proactive d’amélioration de la pêcherie communément appelée un FIP, c’est-à-dire un Fishery Improvement Plan, pour démontrer que la multiplication des mesures de détection des baleines et la mise en œuvre de nouvelles pratiques de pêche pour les protéger portent fruit.
«Même si on démontrait qu’on fait tous ces efforts-là et que la saison prochaine une seule baleine serait morte pour des raisons d’empêtrement, ce serait tout à recommencer, explique le président de Transformateurs de crabe du Nouveau-Brunswick (TCNB), Gilles Thériault. Mais si après un an, après deux ans, après trois ans, on est capables de démontrer qu’elles continuent de venir dans le golfe Saint-Laurent et qu’elles continuent à se nourrir et qu’il n’y a pas de dommages causés aux baleines, là on aurait la preuve que nos mesures fonctionnent.»
C’est l’avocate montréalaise spécialisée dans le secteur agroalimentaire des pêches, Katherine Morissette de la firme MKM Global, qui supervise l’initiative. Elle prévient qu’elle pourrait s’étendre sur cinq ans, avant qu’on ne demande un nouvel audit de certification du MSC. «Il est d’autant plus compliqué de rencontrer les critères de la certification MSC du fait que la baleine noire ait changé de statut, en juillet dernier, pour être désormais considérée en danger critique d’extinction», fait-elle remarquer.
Selon Mme Morissette, le plan d’action du FIP devra être rendu public au plus tard en juin. Pour Jean-Paul Gagné, directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), un début hâtif de la pêche au crabe en sera un des éléments prioritaires. «La baleine noire nous nuit énormément et le moyen numéro 1 à prendre pour se donner un coup de main pour récupérer la certification de pêche durable, c’est d’avoir un début de saison hâtif, dès le premier avril, avant l’arrivée des baleines dans le golfe», insiste-t-il
Le président de TCNB affirme qu’il y a unanimité sur cette question de la date d’ouverture et que le report de deux semaines l’an dernier, dû aux craintes liées à la COVID-19, est chose du passé. «Absolument tout le monde souhaite commencer le plus tôt possible et on est vraiment confiant qu’on va commencer beaucoup plus tôt cette année, indique Gilles Thériault. D’abord parce qu’on a un hiver très doux et qu’il y a très peu de glace. Et deuxièmement, on a mis en place, grâce au ministère des Pêches et des Océans (MPO), les infrastructures nécessaires pour déglacer les régions de Shippagan et Caraquet qui causaient jusque-là problème; ce nouveau système de déglaçage a bien fonctionné l’an dernier et on aurait pu commencer deux semaines plus tôt si ça n’avait pas été de la COVID. Alors, si on peut commencer le 1er avril, ce printemps, tant mieux! »
À ce sujet, d’ailleurs, la ministre des Pêches et des Océans, Bernadette Jordan, rejette les appels répétés des crabiers québécois pour que la pêche ouvre à date fixe, dès le début avril avant l’arrivée des baleines dans le golfe et ce peu importe que tous les pêcheurs soient prêts ou non, sous prétexte que chacun bénéficie d’un quota individuel. «Ce que je dis c’est que si les pêcheurs pêchent dans une même zone, ils doivent avoir une même date de départ, énonce-t-elle. C’est le cas pour les pêcheurs de crabe des neiges de la zone 12 et c’est le cas pour toutes les zones; peu importe la zone, tous les pêcheurs sortent en même temps.»
Cela dit, Mme Jordan promet que son ministère continuera d’investir, dans le futur, dans le déglaçage des havres de pêche de la péninsule acadienne, pour éviter tout report indu du début de saison. «C’est quelque chose que notre gouvernement a pris très au sérieux et depuis que je suis ministre, c’est quelque chose dans laquelle nous sommes engagés. On ne voit pas autant de glace cette année, ce qui s’annonce bien pour la saison, mais nous allons nous assurer, aussi longtemps que je serai là, à tout le moins, que nous répondions aux préoccupations entourant la glace et que les pêcheurs soient capables de sortir en toute sécurité le plus tôt possible.»
APPUIS
Les crabiers eux-mêmes participent activement à l’élaboration du plan d’action pour améliorer leur pêcherie afin de rencontrer les critères de durabilité exigés par les marchés. Les expériences en cours depuis trois ans pour mettre au point des casiers sans cordage, de même que des cordages à faible résistance entre autres, en sont les éléments clés, fait valoir Robert Haché, directeur général de l’Association des crabiers acadiens (ACA). «Tous les éléments qui ont permis au FIP d’avoir ses lettres de noblesse auprès des importateurs internationaux sont venus des expériences qui ont été faites dans le cadre de notre programme Crabiers pour les Baleines, financé par le Fonds des pêches de l’Atlantique», soutient-il.
De plus, les clients des transformateurs de crabe du Québec et du Nouveau-Brunswick, incluant les courtiers et les chaînes de supermarchés, de même que des organismes non gouvernementaux tels que le New England Aquarium de Boston, appuient également le FIP, souligne Gilles Thériault. Le président de TCNB précise que de 80 à 90 % des débarquements des deux provinces sont écoulés aux États-Unis. «D’ici à ce qu’on rétablisse la certification MSC, c’est important que les clients soient conscients de tout ce qu’on fait, qu’ils soient partenaires de la démarche pour nous assurer qu’ils ne vont pas chercher à nous boycotter; pour qu’il n’y ait pas d’inquiétude à cet effet-là.»
Selon Katherine Morissette, le FIP est également appuyé par l’organisation européenne sans but lucratif Sustainable Fisheries Partnership (SFP) qui regroupe les géants de la distribution alimentaire tels que McDonald, Nestlé et Walmart. «Les grands distributeurs de ce monde ont des exigences, des cahiers de charge auprès de leurs fournisseurs, expose-t-elle. Et leurs fournisseurs, eux, veulent des garanties que leur approvisionnement est durable. Alors, lorsque les pêcheurs ne sont pas capables tout de suite d’obtenir la certification MSC et, ou, un autre référentiel reconnu par le Global Sustainable Seafood Initiative (GSSI), on leur demande de s’engager dans un programme de renforcement des capacités pour démontrer leurs avancées. Autrement dit, les grands de ce monde disent : «je vais t’acheter pareil, mais en autant que je te vois avancer; ne me reviens pas dans 15 ans encore assis sur ton FIP»», relève l’avocate.
Entre temps, l’industrie est confiante que la ressource sera au rendez-vous cette année. La direction régionale du MPO à Moncton lui a fait une présentation de la plus récente évaluation des stocks revue par les pairs, le 24 février, à la réunion annuelle du comité consultatif du crabe des neiges du sud du golfe Saint-Laurent. «On a une très bonne compréhension de la biomasse du crabe des neiges, peut-être plus que pour n’importe quelle autre espèce, soutient Gilles Thériault. D’après moi, c’est une pêche qui est excessivement bien gérée du point de vue de la conservation.»
PÊCHE DURABLE – pages 16-17 – Volume 34,1 Février-Mars 2021