L’industrie de la capture doit presser le pas pour trouver des solutions d’adaptation aux changements climatiques. C’est le message qu’a lancé le ministère des Pêches et des Océans (MPO) aux pêcheurs québécois lors de la réunion annuelle de son Comité de liaison, tenue dans la Vieille capitale les 6 et 7 décembre dernier. Jean Picard, directeur régional de la gestion de la ressource, aquaculture et affaires autochtones, précise que le MPO a ainsi voulu amorcer une réflexion sur l’avenir des pêches au Québec.
«Il y a des changements, on les voit, souligne-t-il. [L’effondrement de] la crevette, les changements climatiques, le changement écosystémique, l’ordre du jour a été bâti pour mener l’industrie à se poser des questions et à y réfléchir. C’était ça le signal : commençons à réfléchir à la façon dont on fait la gestion, dont on opère nos pêcheries. On n’a pas de solutions, nous [au ministère]. On est tous dans le même bateau.»
Outre les changements dans les conditions d’océanographique physiques et biologiques de l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent qui affectent les ressources halieutiques, l’explosion des populations de phoques a tout particulièrement été identifiée comme étant un des plus graves problèmes à surmonter. À cet effet, le président de l’Association des pêcheurs propriétaires des Îles (APPIM), Mario Déraspe, déplore que le MPO n’ait lui-même pas agi prestement lorsque la prédation des pinnipèdes a été ciblée comme étant la cause du non rétablissement de la morue il y a une plus d’une trentaine d’années.
«C’est spécial. Le défunt CCRH (Conseil pour la conservation des ressources halieutiques) avait bien écrit dans son dernier rapport qu’il faillait diminuer les troupeaux de phoques, surtout le phoque gris, rappelle-t-il. […] Il faudrait qu’il y ait des incitatifs pour que s’ouvrent les marchés et que les quotas de chasse soient atteints. Le gouvernement a beau dire que ce n’est pas son rôle, qu’il faut laisser libre cours au marché, il est rendu qu’il ferme la pêche au maquereau, la pêche au hareng, la pêche à la plie. C’est un danger pour l’avenir.»
Le président du Rassemblement des pêcheurs et des pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI), Charles Poirier, croit lui aussi que la balle est dans le camp du MPO. «La problématique du phoque dans le Golfe est hors du contrôle des pêcheurs, ou des chasseurs plutôt, parce qu’on sait qu’il faut contrôler ce troupeau-là, dit-il. D’après nous, il faut que le Canada s’affiche [pro-chasse]. Le ministère reconnaît la problématique, mais il n’aide pas au [développement] du marché. C’est là qu’il faut que le Canada mette ses culottes et dise : ‘‘On a une problématique, il faut chasser et il faut promouvoir la chasse’’. Et la manière de faire c’est de mettre le marché sur la map, parce qu’on peut dire aux chasseurs d’aller chasser, mais on ne peut pas aller chasser s’il n’y a pas de marché!»
LEADERSHIP
Le président du RPPCI mise d’ailleurs sur les communautés autochtones, également représentées au sein du Comité de liaison du MPO, pour faire pression sur les deux paliers de gouvernement afin de propulser l’industrie de la chasse aux loups-marins. Charles Poirier croit, entre autres, que l’entreprise Reconseal Inuksiuti basée aux Îles-de-la-Madeleine pourrait servir d’élément moteur. «Les Autochtones ont plus de pouvoir que le gouvernement, soutient-il. Tout ce qui va être développé de ce côté-là va aller de l’avant.»
Le directeur régional de la gestion de la ressource, aquaculture et affaires autochtones relève également que la vingtaine de représentants d’associations de pêcheurs et de Premières nations présents à la réunion du début décembre ont exprimé une très nette volonté de collaboration pour poursuivre la réflexion sur l’avenir. Il admet aussi que le MPO n’a pas de plan de match précis à leur proposer. «Notre but était de débuter la réflexion, de semer la graine pour que l’industrie se prenne en main, explique Jean Picard. Et on a senti l’engagement collectif de poursuivre entre eux. Ils sont conscients de la force du nombre, de l’importance de parler d’une même voix.»
L’idée d’une aile québécoise à la Fédération canadienne des pêcheurs professionnels basée dans les Maritimes a notamment été évoquée pour favoriser cette concertation, mentionne pour sa part le président de l’APPIM. «Il y a urgence d’agir face aux changements climatiques, aux changements des océans, mais il faut aussi comprendre qu’il y a beaucoup d’incertain, indique Mario Déraspe. On ne sait pas comment ça va se jouer. Il va y avoir des espèces gagnantes et des espèces perdantes. […] Les pêcheurs devront être très vigilants et être prêts à réagir. Est-ce qu’ils vont se fédérer ensemble pour toutes les revendications de l’industrie, ou se réunir par espèce? La réflexion est lancée.»
Selon nos informations, le MPO a appointé son ex-directeur régional Patrick Vincent, pour accompagner l’industrie de la capture et l’aider à se structurer, afin de faire le suivi de cette réflexion. De l’avis du directeur général de l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie (ACPG), Claudio Bernatchez, qui animait l’atelier sur l’avenir des pêches lors de la réunion annuelle du Comité de liaison, ce sera un des sujets les plus importants de l’année 2024.
«Il faut repenser l’industrie pour voir venir les coups, soutient-il. Pour la première fois de son histoire, de l’ère du Canada, elle devra changer le regard qu’elle pose sur la ressource. Parce que la ressource – les ressources – nous disent depuis quelques années ‘‘vous ne pouvez plus continuer d’opérer avec le même modèle que vous avez depuis 500 ans’’. […] Oui, il y a eu des évolutions technologiques à bord des bateaux, dans les usines de transformation, mais la culture à proprement parler du monde des pêches est toujours la même. C’est toujours une culture de quantité. Donc, il faut commencer à penser à ça, se coller aux sciences, et il faut surtout que l’industrie de la capture au Québec se tienne», soutient M. Bernatchez.
PENSER GLOBAL
Fait intéressant, c’était la deuxième année consécutive que le MPO tenait la réunion annuelle du Comité de liaison sous la forme d’un dialogue avec les pêcheurs, plutôt qu’en dispensant des informations sur les dossiers et priorités ministériels par de traditionnelles présentations magistrales. Cette nouvelle approche donne du crédit à la promotion que fait inlassablement la scientifique Lyne Morissette de la valorisation du savoir des pêcheurs.
Conférencière invitée au Rendez-vous annuel de l’industrie de la pêche et de la mariculture des Îles-de-la-Madeleine, qui s’est tenu à Cap-aux-Meules le 13 décembre dernier (Pêche Impact, décembre 2023), la chercheure spécialisée en mammifères marins, conservation, biodiversité et fonctionnement des écosystèmes, a eu l’occasion de réitérer son propos, en exposant les divers enjeux liés aux changements climatiques, tels que le réchauffement des eaux, la migration des espèces et la décarbonation de l’industrie.
«Les gens qui, chaque matin, se lèvent pour aller sur l’eau, ont une connaissance que moi, je n’aurai jamais avec mon doctorat et mes deux post-doctorats, a-t-elle déclaré. Ça ne s’apprend pas dans les livres. Mais ce n’est pas assez pris en compte et on n’a pas le luxe, à l’heure actuelle, de se dire que ce ne sont que les doctorats qui vont trouver des solutions. On est dans une urgence climatique et on n’a pas le luxe de se passer du savoir de personne. […] Il faut que les pêcheurs soient entendus. C’est notre meilleure chance de passer au travers de toute la crise environnementale qu’on a à l’heure actuelle.»
Et pour vanter les mérites de l’approche collaborative, Mme Morissette fait un rapprochement avec la cohésion des bancs de poisson, par opposition au travail en silo. «Les bancs de poisson ont compris ça depuis longtemps : travailler ensemble, ça nous donne une meilleure chance de survie, fait-elle valoir. Un banc de poisson, c’est ça : c’est chacun des poissons qui s’organisent pour se coordonner avec les autres. […] Il faut que les ONG, les scientifiques, les pêcheurs et nos gouvernements travaillent ensemble pour trouver des solutions.»
La dirigeante de l’entreprise M – Exper-tise Marine prévient aussi que tous ne sont pas égaux face à la crise climatique et que certains devront faire des sacrifices pour assurer la survie du groupe. «On est tous dans la même tempête en lien avec la crise climatique, mais on n’est pas tous dans le même bateau, insiste Lyne Morissette. Il y a des bateaux qui sont plus efficaces que d’autres. C’est la réalité au niveau mondial. Et d’un point de vue global, travailler ensemble, ça permet de donner les meilleures opportunités possibles à un maximum de personnes. […] C’est ça la coexistence. […] C’est faire un peu de sacrifices pour s’assurer que tout le monde puisse survivre.»
ENVIRONNEMENT – page 26 – Volume 37,1 Février-Mars 2024