Des travaux visant à maîtriser la production de larves de homard en milieu contrôlé, menés aux Îles-de-la-Madeleine depuis deux ans, donnent des résultats encourageants. C’est ce qu’affirme Tristan Reesör, un étudiant en sciences marines de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) qui travaille à titre de stagiaire pour le compte du Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI). Au cours de ces deux derniers étés, il s’est concentré sur la diète de larves nées en écloserie de femelles prélevées en milieu naturel, afin de comparer les coûts et avantages de deux approches.
L’une consiste à les nourrir d’artémies, un aliment vivant spécialisé qu’on doit acheter, tandis que la seconde méthode consiste à leur procurer le seston riche en matières minérales qu’on retrouve naturellement en suspension dans l’eau de mer. «On a eu un taux de survie optimal de 4 % avec les artémies, indique M. Reesör. Mais pour le seston, je préfère ne pas avancer de chiffres à ce moment-ci parce qu’il y a encore d’autres tests à faire, des améliorations à apporter sur le système, avant de conclure.»
Depuis le mois de juin, le stagiaire qui entamera bientôt sa maîtrise à l’UQAR est accompagné du biologiste Jean-François Laplante, que le RPPCI a embauché pour coordonner ses différents projets scientifiques. À l’époque où il était chercheur industriel chez Merinov, M. Laplante a déjà travaillé en étroite collaboration avec l’organisation de pêcheurs sur son Projet Bouée, pour la mise au point d’un outil d’aide à la décision visant à cibler le moment le plus propice pour débuter la saison de pêche au homard dans la zone 22 de l’archipel madelinot, en fonction de la température de l’eau et du taux de protéine des crustacés.
«Vous savez que les connaissances sur la pêcherie du homard sont de plus en plus pointues, et donc, ça devenait assez lourd pour nous de tout suivre ça et de tout comprendre ça, fait valoir à ce propos le président du RPPCI, Charles Poirier. Ça fait qu’on s’est dit qu’on allait s’auto-suffire en s’entourant de notre propre équipe scientifique, pour nous aider à assimiler le langage des chercheurs qui discutent entre eux dans les nombreuses rencontres auxquelles on participe.»
Ainsi, ces deux dernières années dans le cadre du Projet Écloserie, le RPPCI a respectivement prélevé 12, puis 60 homards femelles pour les faire pondre en bassin et étudier les facteurs qui optimisent et accélèrent la croissance des larves, tels que la nourriture, la température d’eau et ses paramètres de filtration. Jean-François Laplante, qui précise que les génitrices ont toutes été relâchées en mer une fois qu’elles avaient pondu, dit qu’on en recueillera une centaine en 2024 pour une production pilote de 10 000 post-larves à des fins d’ensemencement. L’objectif sera de procéder à la production de trois cohortes qui seront ensemencées entre le début juin et la mi-août.
«Entre le moment de la ponte des femelles et le stade optimal pour l’ensemencement des post-larves, il s’écoule généralement une période de 20 à 21 jours, expose le chercheur du RPPCI. Dès l’année prochaine, on vise à maîtriser la technique commerciale de production et on progressera encore davantage en 2025.»
DÉCUPLER LE TAUX DE SURVIE
En allant déposer ses post-larves directement sur les fonds marins, le RPPCI est confiant d’obtenir un taux de survie de 10 %. En comparaison, moins de 1 % des larves produites en milieu naturel parviennent à survivre dans la colonne d’eau jusqu’au stade de la déposition benthique, souligne Tristan Reesör. «Ce qui est intéressant en écloserie, c’est qu’on est capable de provoquer des pontes de façons artificielle en imitant la température naturelle, puis d’élever les larves jusqu’au stade benthique qui les rend potentiellement moins à la découverte des prédateurs dans la colonne d’eau, parce qu’elles sont assez lourdes pour se déposer sur le fond.»
Des travaux sont d’ailleurs en cours afin d’identifier les pouponnières de homard de l’archipel pour y faire les éventuels ensemencements. «On veut aller déposer les post-larves directement dans leur habitat pour que les petits homards se cachent tout de suite», commente à ce sujet Charles Poirier. Vingt collecteurs par site potentiel étudié ont été placés sur les fonds de la mi-juillet à la troisième semaine de septembre. «Le but est de mieux connaître le recrutement larvaire autour des Îles et ce qu’on aimerait, à terme, c’est d’avoir un réseau de pouponnière, enchaîne Jean-François Laplante. On connaît déjà celles des Demoiselles et de la Pierre de l’Église, et les nouveaux sites de cette année sont l’Île Boudreau, L’Étang-des-Caps, le Cap de l’Hôpital et l’Île Shag. Ultimement, on aurait aussi peut-être un site à la Grosse-Île [pour que l’ensemble des pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine en profitent].»
Cela dit, le président du RPPCI se désole de ce qu’une demande de financement logée dans le cadre du Fonds des pêches du Québec il y plus de six mois, n’ait toujours pas obtenu de réponse. «On nous a dit de garder nos factures, mais le volet écloserie n’a pas l’air d’intéresser les fonctionnaires parce qu’ils disent qu’on a déjà du homard en masse sur le fond, relève M. Poirier. Ça fait que là, présentement, on est en discussions avec eux et on attend des nouvelles d’ici Noël pour savoir ce qui va être accepté.»
AUTRE PROJETS
D’autre part, le RPPCI mise sur son nouveau coordonnateur de travaux scientifiques pour parfaire ses connaissances sur le crabe commun, un stock en déclin selon le MPO et dont se nourrissent principalement les homards, de même que sur le hareng et le maquereau, deux espèces pélagiques sous moratoire qui servaient traditionnellement d’appât pour les homardiers. «Et ce qui est intéressant, c’est que la flotte côtière des Îles est sur l’eau au moins six mois par année, fait remarquer M. Laplante. Donc on souhaite que le MPO profite de cette présence pour prendre en compte les observations des pêcheurs et que leur collaboration devienne une routine. Et non seulement on veut alimenter le MPO, on veut le consulter à chaque fois qu’on monte un projet, pour s’assurer que ça leur convienne.»
De plus, Jean-François Laplante sera mis à contribution pour peaufiner la proposition que le RPPCI a présenté au MPO en mars 2022 afin d’assouplir le protocole de fermeture des zones de pêche côtière comme mesure de protection des baleines noires menacées d’extinction. Le rassemblement présidé par Charles Poirier travaillera en collaboration avec la chercheure Lyne Morissette spécialisée en mammifères marins, conservation, biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. Il entend ainsi revenir à la charge pour que ses solutions étayées dans le document intitulé L’avenir de la pêche côtière en milieu insulaire et les baleines noires dans le Golfe St-Laurent… des moyens d’adaptation et de co-habitation soient prises au sérieux par le nouvelle ministre des Pêches et des Océans, Diane Lebouthillier.
«On va faire une nouvelle proposition au ministère en janvier, février en espérant qu’on aille de l’avant avec ça dès la saison 2024, insiste M. Poirier. On voit que les baleines noires sont en train de migrer à l’ouest de nos côtes. Elles ont changé leur pattern de migration et la majorité des baleines ne sont pas loin d’ici. Ça s’en vient dangereux pour les Îles-de-la-Madeleine. Déjà c’était dangereux parce qu’on est situé le long du couloir des baleines [quand elles entrent dans le Golfe], mais là, si elles viennent se nourrir autour des Îles, c’est encore une autre problématique pour l’industrie. Il y a une crise économique qui s’en vient et si on nous empêche de pêcher en plus, bien, ça va taper dur.»
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 28 – Volume 36,4 Septembre – Octobre – Novembre 2023