La transformation de crabe des neiges venant du sud du golfe Saint-Laurent a pris une courbe ascendante accentuée depuis l’ouverture de cette pêche, le 5 avril. Douze jours plus tard, plusieurs crabiers traditionnels avaient capturé entre 40 et 45 % de leur quota individuel, et les usines livraient vers les marchés à un rythme très soutenu.
Bill Sheehan, vice-président de la firme E. Gagnon et Fils, de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, précise que le rythme des captures est pratiquement le même qu’en 2024, en dépit d’une réduction de quota de 33 % pour la zone 12 du sud du golfe Saint-Laurent en 2025. Ce quota s’établit à 14 550 tonnes métriques et les données préliminaires compilées par Pêches et Océans Canada en date du 17 avril indiquaient des débarquements à quai de l’ordre 8 712 tonnes métriques.
« Le rythme des prises est fort. C’est une surprise qu’il soit aussi fort. Dans deux jours, on arrivera à la moitié du volume anticipé de transformation, ou très proche, même avec un tiers de moins de quota et avec une tempête. Ça a baissé un peu depuis quelques jours, mais il y a des gens qui sont rendus à 75 % de leur quota de pris (capturé). Les pêcheurs qui ont des petits quotas, comme 20 000 livres, ont déjà terminé», explique M. Sheehan.
« On roule avec moins d’employés. J’ai réduit mon équipe d’environ 60 personnes. On transforme 275 000 livres de crabe par jour. C’était 330 000 livres l’an passé. J’ai fermé une ligne de (transformation de) nuit, l’équivalent de 33 % de perte de quota », précise-t-il.
L’usine E. Gagnon et Fils devrait transformer entre 5 et 6 millions de livres de crabe des neiges en 2025, comparativement à 8 millions en 2024.
« Le challenge, ce sera de se rendre à 18-19 semaines avec ce groupe de travailleurs (pour les qualifier à l’assurance-chômage). On a un peu moins de travailleurs étrangers et des départs à la retraite. Personne n’a été mis à la porte », assure Bill Sheehan, ajoutant que c’est la transformation du homard à compter de mai qui étirera la période d’emploi de la main-d’œuvre.
Le complexe de Sainte-Thérèse-de-Gaspé accueille 550 travailleurs en 2025, dont une centaine de Mexicains. Environ 350 d’entre eux sont assignés à la production proprement dite, alors que les autres évoluent à l’administration, au débardage des cargaisons à quai et au transport.
Un marché encore gourmand
Les débouchés de crabe sont nombreux et gourmands depuis le début de la pêche, parce qu’il ne restait aucun inventaire de produits de 2024. Conséquemment, le prix au pêcheur est passé de 4,25 $ en moyenne en 2024 à un seuil plancher de 7 $ en 2025, et même 7,25 $ pour les propriétaires de bateaux munis de cales à eau. C’est 25 cents de plus que les crabiers dont les bateaux sont équipés de cales à glace.
En gros, la hausse du prix payé aux crabiers gaspésiens a grimpé de 70 % en 2025 par rapport à 2024. Certains crabiers du Nouveau-Brunswick auraient reçu près de 8$ la livre à la mi-avril.
« Les marchés sont encore forts. Il y a eu une entente de plan conjoint à Terre-Neuve et le prix négocié est de 4,97 $ la livre (aux pêcheurs). J’ai hâte de voir comment ça va affecter les prix (de produits transformés) sur les marchés. Le produit de Terre-Neuve commence à arriver aux États-Unis. Jusqu’à maintenant, le prix (versé aux crabiers gaspésiens) tient. Il y aura peut-être une petite baisse, mais ce n’est pas certain. Si ça terminait maintenant, notre saison, le prix serait de 7,25 $ et 7,50 $ (pour les cales à glace et à eau, respectivement), incluant le bonus de fin de saison », analyse M. Sheehan.
La forte différence entre le prix de Terre-Neuve ne veut pas nécessairement dire que le prix offert par les usines de cette province aux acheteurs américains sera très différent de celui offert par les usines québécoises.
« À Terre-Neuve, c’est du monde d’affaires. Le plan conjoint peut inclure des ristournes qui seront payées plus tard. Et 4,79 $, c’est un prix plancher. Il peut monter. Avec le quota qu’ils ont, 160 millions de livres alors que nous en avons 40 millions dans tout le sud du golfe, si les transformateurs ne veulent pas rester avec des produits, leur prix doit être raisonnable. Leur transport est plus compliqué et il y a des frais », analyse M. Sheehan.
Le crabe du sud du golfe attire invariablement un meilleur prix que celui des autres zones, même si ça n’explique pas une différence de 2 $ la livre au débarquement.
« C’est la même espèce, mais le crabe de la zone 12 rapporte toujours un meilleur prix. Il est plus rare. C’est difficile à dire, combien il rapporte de plus, mais on pourrait dire 25 cents de différence. Les Japonais, ce qu’ils veulent, c’est la zone 12. Il est plus beau. », note Bill Sheehan.
Il serait surpris que le prix payé aux crabiers gaspésiens passe sous la barre des 7 $.
« Le prix plancher, c’est 7 $. On ne peut pas demander aux crabiers de nous rembourser. Pour la ristourne qu’on verse, ça dépend des prix de départ. Parfois, elle est incorporée dans le prix de départ », ajoute-t-il.
Bill Sheehan n’exclut pas un crash du prix, dans un contexte d’incertitude lié aux décisions intempestives du président américain Donald Trump, mais il serait bien surpris que ça survienne au cours de la saison courante de transformation du crabe. « La demande est encore très soutenue » insiste-t-il.
Le taux de change
L’absence de tarifs américains sur les produits marins a empêché le dollar canadien de chuter depuis le début de la saison de transformation, ce qui aurait avantagé les exportations canadiennes vers le sud de la frontière. Toutefois, le contexte actuel favorise quand même ces exportations, les transactions étant réalisées en dollars américains.
« Il était à 1,42 $ (canadien par dollar américain) il y a une semaine. Là, il est à 1,38 $-1,39 $. Quand le gouvernement Trump décide de négocier, ça a un impact sur la devise. C’est difficile à suivre. Les cambistes sont des experts et ils arrivent à peine à suivre eux aussi. Disons que personne ne met (gage) sa maison là-dessus! Si on avait un dollar américain à 1,45 $ canadiens, la devise nous amènerait à une équivalence de 8 $. Ça reste avantageux d’exporter, à 1,38 $ », assure Bill Sheehan.
La crainte des tarifs américains n’a pas forcé les exportateurs comme E. Gagnon et Fils à entreposer d’avance leurs produits aux États-Unis, pour éviter lesdits tarifs.
« On livre quand le crabe est vendu. Avec l’entrepôt que j’ai à Rivière-au-Renard, et avec le prix d’entreposer aux États-Unis, ce ne serait pas avantageux. Si j’avais à en mettre de côté, je le mettrais à Rivière-au-Renard », dit-il en faisant référence aux installations de Pêcheries Marinard.
Les débouchés pour le crabe des neiges sont diversifiés. « On en vend un peu dans les casinos et sur les navires de croisières. Les distributeurs ne nous disent pas beaucoup où ils vont. Les restaurants tirent pas mal de notre côté. Il y a aux États-Unis du crabe 365 jours par année dans les épiceries », assure M. Sheehan.
La proportion du crabe des neiges de l’usine E. Gagnon et Fils prenant la route des États-Unis atteint de 75 à 80 %. Les ventes au Japon ont augmenté à 20 % cette année, mais avec une limite. Le marché intérieur s’établit à environ 5 %.
« Avec la menace des tarifs, on a essayé de pousser vers le Japon, mais l’économie n’est pas la plus forte là-bas. Ils (les Japonais) ont de la difficulté à suivre. Les Américains représentent encore le meilleur marché. Même avec un tarif de 25 %, ce ne serait pas une bonne nouvelle, mais on vendrait plus aux États-Unis », affirme Bill Sheehan.
Il reconnaît que l’insistance des acheteurs japonais au Boston Seafood Show en mars a contribué à apaiser les craintes des transformateurs de crabe des neiges du Québec.
« À Boston, les Japonais étaient dans le siège du conducteur. En Europe, les gens ne sont pas des consommateurs de crabe et il y a 200 millions de livres à écouler venant du Canada. En Chine, avec des années comme cette année, et un prix élevé, ça ne fonctionne pas. C’est correct d’essayer de trouver des avenues. Il y a un risque d’avoir un unique partenaire. », conclut Bill Sheehan.