Une nouvelle publication scientifique de Pêches et Océans Canada démontre que la population de morue du sud du golfe du Saint-Laurent disparaîtra complètement d’ici 2050 si on n’en diminue pas la prédation par les phoques gris. C’est la première fois qu’une recherche incorpore cette prédation dans le modèle démographique de la morue de la zone 4T autour des Îles-de-la-Madeleine, explique son coauteur, Mike Hammill, de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), de Mont-Joli.
Il en ressort que la population de poisson, effondrée par la surpêche il y a une trentaine d’année, n’arrive pas à se rétablir sous la pression des mammifères qui sont eux-mêmes en croissance exponentielle. «Avec cette étude, on a confirmé notre hypothèse que la morue ne se rétablit pas si le taux de mortalité des grosses morues continue, souligne M. Hammill. Puis, la deuxième chose, c’est la prédation par le phoque qui est responsable d’au moins 50 % de cette mortalité naturelle.»
WILKINSON CONSCIENT DU PROBLÈME
Passée de 8 000 à 500 000 individus, au cours des 60 dernières années, la population de phoques gris de l’Est du Canada croît au rythme de 4 % par année. Selon Mike Hammill, il faudrait réduire le troupeau des trois-quarts pour avoir un impact positif sur la morue du sud du golfe. «C’est vraiment énorme, si on veut avoir une bonne probabilité d’aider la morue, dit-il. Donc, ça prend beaucoup d’efforts à faire pour y arriver, si on veut faire ça tout de suite. Ou, on peut faire ça pendant plusieurs années; c’est une autre approche.»
En réaction, le ministre des Pêches et des Océans, Jonathan Wilkinson, se déclare conscient du problème. Il souligne qu’un groupe de travail gouvernemental et industriel a été créé pour promouvoir et faire progresser le développement durable et humain de la chasse aux phoques gris. Le ministre Wilkinson, qui assure que la protection de la biodiversité et des stocks de poisson est une priorité, dit aussi aider au rétablissement de la morue en fermant des zones si elle se reproduit, en restreignant les engins et en investissant dans la recherche scientifique.
Le ministre fédéral des Pêches affirme également qu’il se fie aux sciences existantes et émergentes pour des prises de décisions appropriées. «Je crois que la science est plus forte, ici, (aux Îles-de-la-Madeleine) qu’aux autres endroits, dit-il. Nous avons la science qui dit que les phoques ont un grand impact sur la morue, et nous devons trouver une solution.»
SCEPTICISME
L’Association des chasseurs de phoques intra-Québec ne fonde toutefois pas grand espoir sur le suivi qui sera accordé à cette nouvelle étude, qui confirme la difficulté du stock de morue du sud du golfe à se rétablir à cause du phoque gris, et ce, malgré le moratoire sur la pêche commerciale depuis une tren-taine d’années.
Cela fait des décennies que les pêcheurs et chasseurs madelinots sonnent en vain l’alarme en ce sens, fait remarquer son directeur, Gil Thériault. «Quand il n’y a pas de volonté d’aller de l’avant, bien là : «Ah! Bien, on n’est pas trop certain; ça nous prendrait plus d’études», pour être certain de reporter ça aux calendes grecques. Donc, c’est un peu dans la veine de ce qu’on voit tout le temps», déplore-t-il.
À cet effet, M. Thériault rappelle qu’aucune action concrète n’a suivi la recommandation, en 2012, du comité sénatorial permanent des pêches et des océans, d’abattre au moins 70 000 phoques gris par année, pendant quatre ans, pour favoriser le rétablissement des stocks de poisson de fond du golfe. «Encore une fois, les études, les rapports, etcetera; oui, bravo! Mais tant qu’il n’y aura pas de volonté gouvernementale, ça n’ira pas plus loin.»
Chaque phoque gris adulte mange une tonne et demie à deux tonnes de poisson par année. Il consomme non seulement la morue, mais aussi le lançon, le capelan, le hareng, la raie et le sébaste.
LES POISSONS DE FOND – page 25 – Volume 32,1 Février-Mars 2019