Les eaux du golfe du Saint-Laurent continuent de se réchauffer, selon la plus récente mise à jour des conditions physiques de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. À une profondeur de 200 mètres et plus, la température la plus chaude atteignait 7,2 degrés Celsius en 2015; un record en 100 ans de suivi.
Or, dans le cadre de sa mission scientifique à bord du TELEOST, au mois d’août dernier, l’océanographe physicien Peter Galbraith, de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), a enregistré un mercure de 7,8. «On a atteint une moyenne qui dépasse maintenant le 6 degrés Celsius, au maximum des températures sur tout le golfe Saint-Laurent. On n’a jamais vu ça avant!», affirme le scientifique.
À l’extérieur du Golfe, à l’entrée du chenal laurentien où se mélangent les eaux froides du Labrador et le courant chaud du Gulf Stream, la température en eau profonde est plus importante encore. Selon monsieur Galbraith, c’est parce que l’apport du Gulf Stream est désormais plus important que par le passé, sous l’effet des changements climatiques. «Le réchauffement est à nos portes, souligne-t-il. Et ça occasionne aussi les changements en oxygène dissout et les conditions d’hypoxie qu’on voit dans l’estuaire du Saint-Laurent, parce les eaux du Gulf Stream sont, en partant, plus pauvres en oxygène. Alors, on crée un mélange d’eau qui est de plus en plus chaud, de plus en plus pauvre en oxygène dissout. Et, c’est un constat qui est assez inquiétant.»
IMPACT SUR LES MÉDUSES ET LES PIEUVRES
D’aucuns pensent que ce réchauffement de l’eau entraînera une prolifération incontrôlée des méduses et des pieuvres dans les océans de la planète, qui entreront en compétition avec les autres espèces commerciales. Mais qu’en est-il vraiment? La menace est-elle réelle pour cette partie-ci du globe?
En ce qui concerne les méduses, on remarque d’une part que les hypothèses sont contradictoires. Par exemple, selon une étude australienne publiée dans la revue Scientific Reports, les populations d’Australie diminuent avec le réchauffement de l’eau, tandis que d’autres observent plutôt que ces animaux prolifèrent massivement en eau chaude, comme en mer du Japon. Le chercheur scientifique Stéphane Plourde, de l’Institut Maurice-Lamontagne, explique cette contradiction du fait qu’il existe plusieurs espèces de méduses appartenant à la famille des planctons. «Il peut y avoir des espèces d’eau froide et d’eau chaude au même endroit, dit-il. Et, selon les conditions environnementales, certaines de ces espèces-là peuvent être favorisées lorsqu’il fait plus chaud, et d’autres défavorisées.»
Les méduses dérivent au gré des vents et des courants et se nourrissent de zooplanctons et de larves de poissons et de crustacés qui se trouvent dans la colonne d’eau, poursuit monsieur Plourde. Cependant, il précise que le scénario catastrophe d’un envahissement des océans par ces carnivores est remis en question par la communauté scientifique. «En analysant les données, les séries à long terme de données sur les méduses, ils se rendent compte que c’est peut-être plus, par exemple, une observation de cycle à plus long terme qu’on ferait. Dans le passé, il y a déjà eu énormément de méduses. Donc, on passe plus de grands cycles à long terme», conclut le spécialiste des zooplanctons. Pour ce qui est du golfe du Saint- Laurent, il assure que les méduses ne donnent aucun signal d’une augmentation de la fréquence de bloom, c’est-à-dire du phénomène de multiplication massive.
IMPACT SUR LES PIEUVRES
D’autre part, toujours selon une étude australienne, publiée cette fois dans Current Biology, les populations de pieuvres ne cessent de croître depuis 50 ans et sont une menace pour les stocks de homard, entre autres. Le chercheur terre-neuvien Earl Dawe, que nous avons interviewé sur cette question, dit que leur explosion de par le monde s’expliquerait par la combinaison du réchauffement climatique et de la baisse de la prédation par les poissons de fond, en particulier.
Scientifique émérite à la retraite du ministère des Pêches et des Océans, monsieur Dawe note toutefois que l’important stock de pieuvres qu’on retrouvait sur la côte sud de Terre-Neuve de 1975 à 1982 n’a jamais repris sa vigueur après un déclin dû à la vague de froid qui a suivi cette période. Monsieur Dawe croit que c’est peut-être parce les courants du Gulf Stream, qui favorisent leur migration depuis la Floride, ont eux-mêmes subi des variations sous l’effet des changements climatiques. «Je crois que le lien a été brisé entre les conditions pour la distribution des pieuvres par le Gulf Stream et les conditions pour leur alimentation sur les côtes», avance-t-il.
Selon Earl Dawe, deux autres facteurs, soit l’abondance de nourriture et la température de l’eau qui favorise leur production d’oeufs, doivent aussi être en conjonction avec le courant chaud du Gulf Stream pour que les calmars puissent migrer depuis leur aire de reproduction, en Floride, jusque sur les côtes de Terre-Neuve. Or, advenant une combinaison favorable, le scientifique émérite assure qu’il n’y aurait pas lieu de craindre pour les populations de homard dont se nourrissent les pieuvres, parce que ces deux espèces du golfe du Saint-Laurent ne partagent pas le même habitat. «La plus grande partie de la mortalité du homard survient très tôt au printemps, lorsque nos pieuvres ne sont même pas disponibles pour les manger», souligne-t-il.
La population de pieuvres du sud de Terre-Neuve est surtout constituée de céphalopodes à courtes nageoires. Son cycle de vie ne dure que 12 mois. Quant aux méduses, il est intéressant de savoir qu’il y a une demande pour cette espèce marine en Asie, où on en fait tant la récolte que l’élevage.
ENVIRONNEMENT – page 27 – Volume 30,1 – Février-Mars 2017