Un premier cas d’empêtrement de baleine noire dans du cordage de pêche a été attribué à la pêcherie canadienne du homard. L’incident est survenu dans la zone 33, au large de la côte sud de la Nouvelle-Écosse, à la fin janvier. C’est la première fois qu’on identifiait l’origine d’un cordage dans lequel une baleine noire s’est emmêlée, depuis l’instauration du marquage obligatoire en 2018.
On se rappellera que les identifiants d’une couleur distincte pour chaque zone de pêche avaient d’abord été exigés des crabiers du golfe du Saint-Laurent, puis étendus en 2020 à tous les engins fixes non surveillés du Canada atlantique.
Heureusement, la baleine empêtrée, un mâle adulte connu sous le nom d’Argo, a été secourue avec succès par des intervenants en sauvetage de mammifères marins aux États-Unis. «Pêches et Océans Canada (MPO) travaille en étroite collaboration avec ses homologues de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis pour étudier l’engin de pêche en question, et déterminer son origine, avait déclaré le ministère par voie de communiqué. […] Dans ce cas particulier, le pêcheur avait signalé au MPO la perte de son engin de pêche, comme l’exigent ses conditions de permis.»
DEUX POIDS, DEUX MESURES?
Le Canada a rendu obligatoires le marquage des cordages pour identifier ceux responsables des empêtrements des baleines, de même que la déclaration des engins perdus en mer, afin de se conformer au resserrement des exigences américaines en matière de protection des mammifères marins. En vertu du Marine Mammal Protection Act (MMPA), tous les pays exportateurs de produits marins devront, à compter de janvier 2024, obtenir un certificat attestant de la comparabilité de leurs mesures de gestion par rapport aux standards américains.
Or, comment se fait-il qu’avant le cas Argo, on n’avait encore jamais déterminé la provenance du cordage responsable d’un empêtrement? Selon les données de la NOAA, 19 cas de baleines emmêlées ont pourtant été signalés du début 2018 à la fin 2022, au Canada et aux États-Unis. Selon Adam Burns, sous-ministre de la gestion des pêches du MPO, c’est en partie parce que tous les pêcheurs américains ne sont eux-mêmes pas tenus d’identifier leurs cordages de pêche.
«Les pêcheries américaines n’ont pas une complète mise en place de cette mesure, nous a-t-il déclaré dans le cadre d’une entrevue exclusive accordée en décembre dernier. Mais aussi, le marquage dans les cordages n’est pas inséré sur toute leur longueur. Donc, c’est possible que c’étaient des portions de cordage non marquées qui ont causé les empêtrements passés.»
DIVERGENCES
Le Canada et les États-Unis ne s’entendent d’ailleurs pas sur le nombre de mortalités de baleines noires de l’Atlantique Nord dues aux empêtrements dans les cordages de pêche canadienne au crabe, considérée comme ayant le plus fort risque d’interaction avec les mammifères, en regard du MMPA. Le décompte américain fait état de six mortalités pour les années 2015-2019, alors que le MPO n’en confirme que trois.
«Pour nous, c’est plus important d’utiliser des informations confirmées, souligne M. Burns, et non pas seulement des informations devinées [sur la base] de quelques petites informations. Alors il ne faut pas mettre en place des mesures informées par des faits non prouvés. Pour nous, il y a danger de décider que telle ou telle pêcherie est la cause d’un empêtrement si ce n’est pas prouvé, parce que ça veut dire qu’on ne met pas l’emphase sur les autres pêcheries. Et c’est pour cette raison qu’on utilise un processus assez strict pour identifier la cause d’un empêtrement.»
«Mais ça ne veut pas dire qu’on ne met pas en place des mesures de protection, poursuit le sous-ministre. En réalité, on met en place des mesures exceptionnelles pour protéger les mammifères marins dans toutes nos pêcheries et non pas seulement sur celles perçues par les Américains comme étant la cause possible d’un empêtrement.»
Aussi Adam Burns ne se formalise-t-il pas du puissant lobby américain pro-baleine, que plusieurs qualifient de plus agressif encore que celui ayant mené à l’abolition de la chasse aux blanchons (Pêche Impact décembre 2022). «Le lobby américain n’est pas vraiment une chose qu’on prend en considération pour prendre nos mesures, dit-il. C’est la Loi canadienne sur les espèces en péril qui nous guide, indique-t-il, et bien sûr, aussi, nos politiques concernant la gestion durable des pêcheries. […] Nos mesures sont mises en place pour éviter les empêtrements et non seulement réduire l’impact des empêtrements. Et c’est vraiment ça la différence, entre nos mesures et celles des États-Unis.»
Notons que la NOAA rapportait 12 naissances de baleines noires en date du début février, soit à mi-saison de mise bas qui s’étend de la mi-novembre à la mi-avril. La population désormais inférieure à 350 individus, dont moins de 70 femelles reproductrices, aurait besoin de 50 naissances ou plus par année pour cesser de décliner et se rétablir, selon l’agence américaine.
GESTION – page 26 – Février-Mars 2023
