Plusieurs groupes d’intérêt sont sur les rangs pour relancer dès ce printemps les activités de transformation du crabe des neiges et du homard de LA Renaissance des Îles (LRDI), officiellement en faillite depuis le jeudi 9 février. Une majorité des 66 pêcheurs de l’entreprise ayant appartenu à la néo-brunswickoise Lynn Albert se sont notamment regroupés pour se constituer une coopérative, afin d’en acquérir l’ensemble des actifs. Ils semblent avoir le gros bout du bâton, compte tenu que le succès de la reprise des opérations des usines de Grande-Entrée et de Gros Cap sera largement tributaire de leurs approvisionnements.
«Nous sommes encouragés par les informations et les commentaires qu’on reçoit de nos discussions avec les représentants d’Investissements Québec, du ministère de l’Économie et du MAPAQ, affirme leur porte-parole Olivier Renaud, capitaine du GULF FISHER III. Les gens ont de l’admiration pour notre projet et en perçoivent très bien l’intérêt tant pour l’industrie que pour la communauté des Îles.»
La nouvelle Coopérative des pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine, qui bénéficie du soutien d’une chargée de projet et autres professionnels qui connaissent très bien l’industrie de la transformation et de la commercialisation des produits marins, a reçu ses lettres patentes en un temps record, seulement deux semaines après l’assemblée de faillite. «Selon ce que nous dit le directeur régional de la Coopérative de développement régional du Québec, c’est la constitution la plus rapide de l’histoire!, se félicite M. Renaud. Ça roule et ça regarde bien.»
De leur côté, Fruits de Mer Madeleine (FMM) et Poisson Frais des Îles confirment leur intérêt respectif à déposer une offre sur les actifs de LRDI en liquidation. Au moment d’aller sous presse, chacune de son côté était à analyser le cahier de charges afin de déterminer si elle fera une proposition de rachat sur la totalité ou une partie des lots inscrits à l’appel de soumissions.
Le président de Fruits de Mer Madeleine, Eudore Aucoin, souligne notamment que la visite des installations, les discussions avec les différents paliers de gouvernement ainsi qu’avec des partenaires potentiels du milieu vont aider à la prise de décision de l’entreprise de L’Étang-du-Nord. «Avant de formuler une offre, c’est important pour notre groupe d’être très confortables avec le niveau de risque que représente un tel achat, indique-t-il. Avec plus de 30 ans d’expérience dans ce domaine, nous voulons assurer la pérennité de l’entreprise et continuer d’atteindre un niveau d’excellence et d’indépendance qui crée une belle confiance avec les clients, les partenaires et les fournisseurs. Il est primordial pour nous de valider que des acquisitions de cette envergure soient faites sur des bases solides, pour une relance durable.»
Le président de Poissons Frais des Îles, Christian Vigneau, se déclare quant à lui motivé par la perspective d’accroître sa capacité de transformation, grâce à une reprise de LRDI. «On a déjà une petite production dans notre usine de Millerand; on fait avec les infrastructures qu’on a, dit-il. Et ce qu’on veut, c’est augmenter considérablement notre quantité de produits transformés dans les prochaines années.»
GASPÉSIENS INTÉRESSÉS
Selon nos informations au moins deux entreprises gaspésiennes, dont E. Gagnon et Fils, sont également intéressés par les actifs de LRDI en liquidation. Bill Sheehan, vice-président et co-propriétaire de cette dernière y voit une belle opportunité pour prendre de l’expansion. «Ses activités concordent pas mal en tous points avec les nôtres et ça nous permettrait d’agrandir notre territoire», signale-t-il.
D’ailleurs, avant même la création de LA Renaissance des Îles en 2014, l’entreprise basée à Sainte-Thérèse-de-Gaspé avait proposé plus de quatre millions de dollars pour la relance des activités de Cap sur Mer alors en difficulté financière, raconte M. Sheehan. Le gouvernement du Québec, qui avait englouti 32 M$ dans cette entreprise issue de la fusion des Pêcheries Gros Cap et de Madelimer en 2009, avait finalement retenu la proposition de L.A. Trading de Caraquet. Sa dirigeante, Lynn Albert, aurait eu l’affaire pour une bouchée de pain. «Je n’ai pas compris et je ne comprends pas encore, laisse tomber l’industriel gaspésien. Mais bon, on est convaincu qu’on a un plan de match gagnant, comme on l’avait en 2013-14. On est prêt à faire un deuxième essai.»
De plus, le Groupe Unipêche de Paspébiac figure aussi parmi les intéressés par les actifs de l’entreprise madelinienne en faillite. Son directeur général, Gino Lebrasseur, fait valoir son expertise dans le domaine de la transformation des produits de la mer. «Si le Groupe Unipêche peut aider à la relance des installations, on est ouvert à regarder si un partenariat est possible, confie-t-il. La porte est ouverte aux discussions pour voir ce qu’on pourrait faire pour l’économie des Îles.»
DÉLAI TROP COURT?
Cependant, les espoirs de relance des opérations de l’usine de crabe de Grande-Entrée à temps pour le début de la saison de pêche dans le sud du Golfe apparaissent plutôt minces. C’est que les partis intéressés par les actifs de LRDI ont jusqu’au jeudi 23 mars, à 16 h 00, heure des Îles, pour présenter une soumission au syndic Roy, Métivier, Roberge. À ce délai de 19 jours ouvrables depuis le lancement de l’appel d’offres le lundi 27 février, il faut aussi ajouter la période d’analyse des propositions et de finalisation des éventuelles ententes de transfert de propriété.
«Ça va prendre un certain délai pour choisir le vainqueur et je pense que commencer à opérer à peine une semaine plus tard, compte tenu qu’avec la météo – à moins que ça change – on anticipe un départ dès le début avril pour ce qui est de la zone 12, ça commence à être difficilement jouable, commente Bill Sheehan. Même si ce n’est pas sorcier quand on connait ça, démarrer une usine de production, ce n’est pas comme démarrer une voiture.»
Pour sa part, la Coopérative des pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine qualifie d’inadmissible le délai de près de trois semaines avant l’ouverture des soumissions, pour le compte de Financement agricole Canada, seul créancier privilégié de l’entreprise en faillite. Son porte-parole croit qu’il met en péril la relance des activités de transformation de l’usine de l’extrémité est de l’archipel. «Dans le cadre de cet appel d’offre, le délai met à risque la valeur des actifs et les activités essentielles de l’usine au sein de la communauté, insiste Olivier Renaud. Et il y a des solutions pour palier à ça, pour ne pas créer de préjudices aussi importants qu’une fermeture d’une usine de transformation à Grande-Entrée, en raison de délais juridiques et administratifs trop longs!»
MOBILISATION GOUVERNEMENTALE
Au cabinet du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), André Lamontagne, on nous dit qu’il y a actuellement une très grande mobilisation de la part du gouvernement du Québec dans ce dossier et qu’aucun effort n’est négligé. «L’essentiel du message est l’urgence d’agir dans l’intérêt de la pêche et des Madelinots», nous a-t-on écrit par courriel. «Le message a été bien entendu. Au cabinet, nous avons eu des échanges avec l’équipe de la ministre fédérale responsable de Financement agricole Canada pour partager cette urgence.»
Le cabinet Lamontagne nous informe en outre que sur le plan administratif, tant le MAPAQ que le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE) et Investissement Québec multiplient les rencontres avec les divers intervenants et les repreneurs potentiels. «Plusieurs scénarios sont sur la table, incluant un opérateur à court terme pour la reprise des activités pour la saison actuelle, relate-t-on. Le gouvernement du Québec sera présent pour appuyer les scénarios déposés.»
Dans son appel d’offres public, Roy, Métivier, Roberge mentionne cependant qu’en sa qualité de syndic de faillite et de mandataire pour Financement agricole Canada (FAC), il ne s’engage à accepter ni la plus haute ni aucune des soumissions. De surcroît, FAC prévient qu’il n’en changera pas la date d’échéance. «Il est important d’assurer que toutes entreprises/ personnes désirant faire une offre sur les actifs mis en vente, aient la possibilité de le faire. Le mandataire de FAC a déjà mis en place un calendrier avec des délais réduits, donc il n’y aura pas de changement de date», nous écrit sa conseillère principale en relations avec les médias, Éva Larouche.
CAUTION
Enfin, signalons que la faillite de LA Renaissance des Îles a mis en lumière la nécessité de mettre à jour la caution bancaire de 100 000 $ que doivent offrir individuellement les acheteurs inscrits à la convention locale de mise en marché du homard, afin de garantir aux pêcheurs le paiement de leurs débarquements à quai. Ce montant n’a pas été ajusté depuis plus de 20 ans, indique Rolland Turbide, président de l’Office des pêcheurs de homard des Îles (OPHÎM), dont 66 membres ont perdu 3,7 millions dans la foulée des déboires financiers de l’entreprise de transformation appartenant à Mme Albert. «On s’est fait prendre, parce que le cautionnement pour la garantie des pêcheurs n’était pas assez haute, déplore-t-il. Il faut protéger le pêcheur pour que ça n’arrive plus jamais!»
Selon M. Turbide, deux options sont discutées avec l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), la première voulant que les pêcheurs souscrivent à une assurance collective pour protéger la valeur de leurs débarquements sur une période d’une ou deux semaines. Il faut savoir que les acheteurs eux-mêmes ont une protection d’assurance sur le paiement de leurs envois à l’étranger. «Une semaine de pêche c’est 2,3 M$ et on a calculé 4 M$ sur deux semaines, expose Rolland Turbide. On a appelé plusieurs assureurs et on va voir si on peut négocier pour une semaine. Ce serait au moins ça. Et si les pêcheurs prennent une assurance collective, la caution des acheteurs resterait la même.»
La seconde option consisterait en une mise à jour de cette caution au prorata des volumes d’achat de chacun. «C’est sûr qu’un acheteur ne paiera pas pour un autre et c’est normal de moduler selon chacun parce qu’ils n’ont pas tous le même volume, fait remarquer le DG de l’AQIP, Jean-Paul Gagné. On ne peut plus établir un prix unitaire pour chacun, comme à l’époque. Les 100 000 $, dans le temps, il était acceptable. Mais aujourd’hui il faut garantir des volumes beaucoup plus élevés; on ne parle plus de la même affaire.»
LRDI croulait sous une dette de 20 millions $, dont près de la moitié était due à des créanciers ordinaires qui ne reverront pas la couleur de leur argent. La créance de FAC, unique créancier garanti, dépasse les 9,3 M$.
ACTUALITÉ – page 7 – Février-Mars 2023