Les homards appâtés avec du maquereau dégradé ont une concentration d’histamine de trois à quatre fois supérieure à la normale dans leur hémolymphe, soit l’équivalent du sang. C’est ce qui ressort des biotests réalisés l’été dernier dans le cadre du projet de recherche HOMADIAG (Pêche Impact juin 2022), visant à développer de nouveaux outils pour diagnostiquer la qualité du homard vivant des Îles avant son envoi sur les marchés. L’histamine, une toxine responsable d’allergies alimentaires chez l’humain, se développe dans les tissus du maquereau entre 24 et 48 heures d’exposition au soleil ou entre 48 et 72 heures en glacière.
On se rappellera que le projet HOMADIAG a été initié par Merinov et l’Université du Québec à Rimouski, auquel s’est jointe l’entreprise Fruits de Mer Madeleine de L’Étang-du-Nord. Cette dernière enregistre bon an mal an des pertes inexpliquées de plusieurs dizaines de milliers de livres de homard vivant, en cours de transit par camion-remorque entre l’archipel et le marché de Boston. Pour tenter de cerner les causes de ce problème de qualité, les soupçons se sont d’abord tournés vers une contamination par la boëtte de maquereau mal conservée, indique le chercheur principal et porteur du projet, Nicolas Toupoint. «Et là on peut dire que oui, lorsque le homard mange de ce maquereau-là, il y a un transfert trophique de cette contamination», affirme-t-il.
Or, bien que les travaux en laboratoire démontrent que l’histamine se transfère du maquereau pourri à l’hémolymphe du homard, on ne sait pas si elle affecte pour autant la vitalité du crustacé lors de son transport. La question n’a pas été étudiée, explique le chercheur industriel jusqu’alors rattaché à Merinov. «Aucun signe évident de perte de vitalité n’a d’ailleurs été noté sur les homards de l’expérimentation menée en salle des bassins à Havre-aux-Maisons, dit-il. C’est typiquement un aspect qui pourrait être abordé dans une suite de la recherche.»
D’ailleurs, on ne sait pas non plus si la toxine présente dans l’hémolymphe du homard se transfère aussi à sa chair. Nicolas Toupoint indique toutefois qu’il y a un phénomène d’atténuation lors des transferts trophiques, ce qui signifie qu’il y a plus d’histamine dans le maquereau que dans l’hémolymphe du crustacé, et qu’on en retrouverait probablement moins dans sa chair. «Pour pouvoir dire à quel niveau on aurait un seuil de contamination dommageable pour le consommateur, il faudrait mener une recherche complémentaire sur la relation entre la concentration de l’histamine dans l’hémolymphe et les tissus habituellement consommés, comme la queue et les pinces, mais également l’hépatopancréas parce que le fard de homard est aussi mangé et il est davantage un concentrateur de toxine que la chair.»
D’autre part, les travaux de recherche menés en bassin démontrent que le homard ne fait pas de distinction entre une boëtte de maquereau bien conservée ou contaminée. «Aucune différence comportementale évidente n’a été observée en fonction du degré de contamination du maquereau», rapporte le chercheur industriel.
TAUX DE LACTATE
HOMADIAG s’est aussi intéressé au taux de lactate dans le sang du homard, comme source potentielle de stress métabolique pouvant influencer la qualité du produit vivant. Le lactate est sécrété dans l’hémolymphe lorsque le crustacé est surexposé à l’air libre et reçoit trop d’oxygène. Les résultats démontrent une augmentation de son indice de lactate entre la sortie du casier et l’arrivée en vivier, selon ce que constate Nicolas Toupoint.
Néanmoins, après 24 heures en vivier de dégorgement, les concentrations en lactate diminuent pour atteindre les valeurs observées à la sortie du casier, et ce même en fin de saison, poursuit le chercheur de Merinov. «Cette étape de première transformation semble donc suffisante pour annuler les effets de l’exposition à l’air sur la ressource», conclut-il.
Et, comme la chaine logistique entre les quais et les usines n’est finalement pas susceptible d’affaiblir les organismes en autant qu’ils soient baignés au moins une journée en vivier, les usines n’ont pas à se poser la question à savoir s’il est préférable de transformer le homard plutôt que de l’expédier vivant sur les marchés. «Globalement, oui, il y a une augmentation du lactate parce que l’exposition à l’air affecte le homard, mais finalement le homard est suffisamment résilient que, lorsqu’il retrouve des conditions aquatiques appropriées, quand il se fait immerger, il se rétablit», assure M. Toupoint.
RECOMMANDATIONS
Cela dit, le chercheur principal du projet HOMADIAG n’en croit pas moins que la lecture des taux de lactate dans l’hémolymphe du homard peut s’avérer pertinente à intégrer dans les pratiques de contrôle de la qualité de l’industrie. Comme elle prélève déjà des échantillons sanguins pour mesurer l’indice de BRIX indicateur du taux de protéine des crustacés, pour répondre à une exigence du marché, elle peut tout à la fois s’en servir pour un biotest de lactate. «Pour ceux qui veulent optimiser leurs pratiques, ça peut être un bon outil pour documenter leur propre chaine de traitement de la ressource, commente M. Toupoint. Parce que chaque usine a ses pratiques, ses types de camions, ses durées de transports, etcetera. Et donc, ça leur permet de détecter quelles sont les pratiques qui vont avoir le plus de stress sur le homard, en termes d’expédition à l’air, versus d’autres, sachant qu’il y a le vivier de dégorgement derrière.»
Cependant, avant de recommander aux acheteurs de homard de s’équiper également d’un lecteur du taux d’histamine, M. Toupoint recommande une phase II au projet HOMADIAG. «Dans ce cas, il faudrait d’abord pousser plus loin la recherche pour voir s’il y a transfert de l’hémolymphe jusqu’à la chair, dit-il. Pour ça, on n’aurait pas le choix d’aller en laboratoire de chimie. Mais en bout de piste, ça pourrait être pertinent pour l’industrie d’acheter le kit d’analyse si on voit qu’il y a un transfert suffisamment important, puisque ça permettrait à l’industrie d’avoir une gestion plus éclairée de la qualité du homard et d’établir un plan d’action, comme la contention prolongée en vivier pour éliminer l’histamine. Ce serait tout à l’avantage de l’industrie et des consommateurs.»
Pour sa part, le président de Fruits de Mer Madeleine, Eudore Aucoin, n’exclut pas de demander effectivement la poursuite du projet de recherche. «Tout ce qui touche la qualité des produits et lorsqu’il est question d’améliorer les choses, ça nous intéresse, soutient-il. On va de l’avant et on fait ce qui est possible pour nous. Ça fait qu’on va se faire expliquer le rapport final et il est probable qu’on passe à une phase II».
RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT – page 37 – Volume 35,5 – Décembre 2022 – Janvier 2023