Madelipêche s’inquiète d’une déclaration du ministre Dominic LeBlanc datant de février et voulant qu’il soit ouvert à octroyer des permis de pêche au sébaste aux crevettiers gaspésiens en difficulté. Son gestionnaire, Paul Boudreau, se demande sur la base de quels quotas ces permis seraient délivrés. Il appelle au respect de la part historique de l’entreprise des Îles-de-la-Madeleine, qui compte pour le quart du contingent global du golfe.
«Il n’y a pas de garantie, dit-il. C’est à nous de défendre nos droits et nos parts. La pêche a toujours été gérée par des historiques. Si le ministre vise à modifier cela, bien on va être obligés de s’engager dans une bataille importante.»
En fait, la pêche à la crevette a connu son essor en Gaspésie quand les stocks de ses principaux prédateurs, le sébaste et la morue, se sont effondrés. Or, les Madelinots n’ont jamais eu accès à cette espèce pour compenser les effets de la crise du poisson de fond, rappelle Paul Boudreau. «Madelipêche avait demandé un accès à la crevette à au moins trois reprises, et ça a toujours été refusé. On trouve complètement injuste qu’on veuille aujourd’hui piger dans les quotas des Îles-de-la-Madeleine pour les réémettre ailleurs.»
CONVOITISE DES GASPÉSIENS
D’ailleurs, le respect de la part historique de sébaste de Madelipêche soulève un débat chez les Gaspésiens. Le conseiller municipal de Rivière-au-Renard à la ville de Gaspé et ex-capitaine, Réginald Cotton, qui a cédé son permis de pêche à la crevette à son fils Dan, questionne les prétentions de l’entreprise de Cap-aux-Meules sur la ressource puisqu’elle n’a plus ni flotte ni usine. «Ça prend des infrastructures, ça prend des bateaux pour aller à la pêche, souligne monsieur Cotton. S’ils n’ont pas ça, je ne sais pas comment ils vont faire pour réclamer leur soi-disant pourcentage!»
De son côté, l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie appuie Madelipêche dans les démarches entamées pour préserver ses acquis. Son directeur général, Jean-Pierre Couillard, explique que des discussions sont en cours entre les deux parties pour une entente d’approvisionnement. «Nous voulons négocier un protocole qui va servir autant à l’économie des Îles-de-la-Madeleine – au respect des parts de Madelipêche – puis, moi de mon côté, dans notre cas ici à l’ACPG, c’est de faire travailler nos bateaux pour faciliter, pour assurer leur rentabilité.»
À ce propos, Paul Boudreau confirme qu’il aura la flotte et les usines nécessaires quand la pêche commerciale au sébaste reprendra. Il précise toutefois que son entreprise s’associera en priorité à des usines et pêcheurs madelinots, par contrat. «Madelipêche ne renoncera pas à sa raison sociale, précise-t-il, ni ne vendra son entité. Ses contingents sont rattachés à Gestion Madelipêche, qui est l’entité qui détient des contingents d’entreprise. Madelipêche ne pourra pas vendre ses contingents.»
DOULOUREUX SOUVENIRS
Cela dit, M. Boudreau n’exclut pas la possibilité éventuelle, pour Madelipêche, de renouveler sa flotte hauturière. Il rappelle que, lors de l’effondrement du stock de sébaste, c’est l’opposition des Gaspésiens à lui donner accès à la crevette qui a forcé son entreprise à se départir de ses sept bateaux. Réginald Cotton rétorque que c’est parce que la zone 4T, autour des Îles-de-la-Madeleine, n’est pas contigüe aux secteurs de pêche à la crevette et que, «de toute façon, les Madelinots ont été compensés par un accès accru à la ressource crabe».
Cette dernière déclaration en fait bondir plus d’un aux Îles-de-la-Madeleine, dont Armand Cormier, ex-capitaine du Rali, un des sept anciens navires madelinots de pêche hauturière au sébaste. Il a vu sa carrière anéantie, lors du moratoire de 1995, parce que son entreprise n’a pas eu accès à la crevette. M. Cormier s’indigne de la remarque de M. Cotton voulant qu’un octroi accru au crabe ait, à l’époque, suffi comme compensation. «La pêche du crabe c’était plutôt une pêche semi-hauturière, fait remarquer le vieux loup de mer. Nous autres, on n’était pas là-dedans. Ça fait que, on s’est aperçu que tout le monde avait du crabe et nous autres on n’en avait pas! La compagnie a appelé pour nous dire d’aller chercher notre stock qui était sur les bateaux; nos affaires personnelles. Puis, on a donné les clés pour qu’on barre les portes, et ça a été fini pour nous autres.»
Monsieur Cormier, de Havre-aux-Maisons, est également d’avis que l’absence de contigüité entre les zones de pêche à la crevette et celles au sébaste était un prétexte pour refuser l’accès des Madelinots au petit crustacé rose. Il explique que la crevette était déjà abondante sur les fonds de pêche de Madelipêche, il y a 23 ans, ce qui aurait justifié la création d’une nouvelle zone d’exploitation.
MOBILISATION AUX ÎLES
Pour sa part, le pêcheur semi-hauturier Bruno-Pierre Bourque lance un appel à la mobilisation pour contrer le lobby des Gaspésiens qui remettent en question la part historique de Madelipêche dans la pêche au sébaste. Dans un appel lancé sur les ondes de CFIM, la radio communautaire des Îles, le capitaine du Boréas VII presse les élus madelinots de faire entendre leur voix pour défendre les intérêts de la collectivité. «On ne revendique rien; au contraire, dit-il. On veut juste défendre les parts de Madelipêche pour qu’il reste des quotas aux Îles-de-la-Madeleine. Et bien, que tous les politiciens de tous les niveaux se lèvent et sortent pour défendre ce qu’on tente de nous soutirer.»
L’appel de M. Bourque a d’ailleurs trouvé écho chez le maire, Jonathan Lapierre, et le député provincial Germain Chevarie. M. Lapierre qualifie de guerre de mots les pressions exercées par ceux qui souhaitent s’approprier une portion du contingent de Madelipêche, comptant traditionnellement pour le quart des prises admissibles du golfe. Il précise que la communauté maritime est à organiser une rencontre de travail avec les représentants de l’industrie pour préparer le retour de la pêcherie. «Nous voulons regarder avec eux quels sont les besoins, les embûches, indique le maire. Parce qu’on sait que les enjeux vont être énormes tantôt, et ce qu’on veut, évidemment, c’est de s’assurer, lorsqu’il y aura une reprise de la pêche au sébaste dans le golfe, que les Madelinots auront leur juste part.»
Le député des Îles-de-la-Madeleine à l’Assemblée nationale ajoute que cela fait déjà deux ans qu’il sensibilise ses collègues aux perspectives de relance de la pêche au poisson rouge dans l’archipel. Il dit aussi avoir déjà discuté avec le ministre fédéral, Dominique LeBlanc, de l’importance du respect de la répartition historique de la ressource. «Je ne pense pas qu’on comprendrait qu’il y ait une diminution des quotas de Madelipêche pour donner un avantage à d’autres flottilles ailleurs qu’aux Îles-de-la-Madeleine», prévient M. Chevarie.
Quant au ministre LeBlanc, il a décliné notre demande d’entrevue parce qu’il est trop tôt, nous dit-on, pour commenter la question des allocations de sébaste. Cela dit, son cabinet assure que le ministre reconnait l’importance de cette pêcherie pour les Îles-de-la-Madeleine, tout en précisant que toutes les options de partage de la ressource sont encore à l’étude.
La députée-ministre fédérale, Diane LeBouthillier, préfère également ne pas commenter les échanges qu’ont, par la voie des médias, les Gaspésiens et Madelinots sur ce dossier.
LES POISSONS DE FOND – page 20 – Volume 31,2 – Avril-Mai 2018