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La faible épaisseur de la banquise de glace provoque une hausse du taux de mortalité des jeunes phoques du Groenland

Le taux de mortalité des jeunes phoques du Groenland nés dans le Golfe cet hiver pourrait être de 10 % à 20 % supérieur à la normale, à cause de la faiblesse de la banquise. C’est l’estimation qu’en a fait le chercheur Mike Hammill, de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), dans le cadre de ses travaux de suivi scientifique au cours de la première semaine de mars.

«La glace n’était pas extraordinaire cette année, dit-il. Quand on a fait nos sorties à partir de l’Île-du-Prince-Édouard, on cherchait de la glace d’une épaisseur de 50 centimètres pour atterrir l’hélicoptère. Mais on avait de la misère à en trouver en quantité suffisante et les banquises n’étaient pas très larges.»

Le scientifique précise que le taux de mortalité de base des mammifères est de 32 %. Il s’agit d’une moyenne des années 1952 à 2019 qu’il ajoute à son modèle  d’évaluation de la population pour tenir compte des conditions de la banquise. «C’est que le modèle ne peut pas prendre en compte les fluctuations de la glace»,  explique M. Hammill.

De plus, le taux de mortalité des phoques juvéniles est également lié à  l’ampleur du troupeau. «Plus il y a de phoques, plus il y a de compétition entre eux pour la nourriture. Et comme les jeunes sont plus naïfs, ils souffrent d’un plus haut taux de mortalité quand la    population est plus élevée.» Par exemple, selon les données de l’IML, le taux de mortalité du troupeau était de 32 % en 1971, quand sa population n’était que de 1,2 million d’individus, alors qu’il était estimé à 55 % lors du dernier recensement de 2017, à cause de son encombrement.

FORTE REPRODUCTIVITÉ

Malgré tout, selon le dernier décompte des phoques du Groenland du Canada atlantique mis à jour par extrapolation à l’automne 2019, la population croît au rythme moyen de 900 000 à un million d’individus par année depuis 10 ans. «Il y a beaucoup de reproductivité dans le troupeau ; beaucoup de femelles en gestation parce qu’il y a beaucoup moins de chasse, commente M. Hammill. Après 2008, il y a eu une chute importante des captures, ce qui a  résulté en un plus grand nombre d’animaux qui survivent et qui atteignent la  maturité, d’où la croissance de la reproductivité.»

Le chercheur calcule que la population totale des phoques du Groenland du Canada atlantique était passée de 7,4 millions en 2012 à 6,4 millions en 2017, à cause du haut taux de mortalité des jeunes en 2010 et 2011. «On a eu deux, trois années de très mauvaise glace : en 2010 et 2011 c’était épouvantable et en 2006, ce n’était pas fort non plus. Et, comme un phoque devient sexuellement mature à 5 ans et que la femelle atteint sa productivité maximale vers l’âge de 7 ans, c’est ce qui explique la baisse d’un million d’individus entre les recensements 2012 et 2017.»

D’autre part, tandis que le taux de reproduction des femelles en gestation a été de 75 % ces deux dernières années, il n’était que de 60 % en 2017, en raison de la faiblesse de la banquise. «On attendait 100 000 nouveau-nés autour des Îles-de-la-Madeleine en 2017, mais on en a eu seulement 18 000, indique Mike Hammill. On estime que 80 % des chiots se sont noyés dans le Golfe, cette année-là.»

Cela dit, bien que Pêches et Océans Canada ne dispose d’aucune étude récente de la consommation de poisson par les phoques du Groenland, le chercheur de l’IML l’estime entre 1 et 1,5 tonnes par individu par année. «Il faut dire que les phoques du Groenland passent la moitié de l’année en Arctique, où il n’y a pas de pêche commerciale, fait-il remarquer. Et quand ils se trouvent dans la portion sud du Golfe, de la mi-février à la mi-mars, pendant la période de mise-bas, ils se nourrissent très peu. C’est quand ils arrivent dans le nord du Golfe et dans   l’Estuaire, à la fin novembre, et qu’ils y remontent après la mise-bas, qu’ils sont des prédateurs actifs.»

Le prochain recensement de la population de phoque du Groenland est prévu pour 2022.

PHOQUES GRIS

Par ailleurs, près des trois-quarts des phoques gris dénombrés dans le Golfe l’été dernier étaient échoués sur l’Île Brion. Mike Hammill y a compté 10 739 individus sur un total de 14 803 pris en photo par vol d’hélicoptère. Le ministère rapporte aussi un total de 5 768 phoques communs dans le Golfe, dont 23 près de Grande-Entrée.

«Ces chiffres restent à être corrigés, indique-t-il, pour tenir compte des animaux qui étaient à l’eau quand nous avons fait le recensement à la fin juin 2019.»

En comparaison, lors de sa dernière compilation de la population de l’Est du Canada réalisée à l’hiver 2016, le MPO évaluait le nombre de nouveaux nés de la colonie de phoques gris de l’île Brion à 4 389 têtes. «Pour obtenir le nombre total des animaux présents, on n’a qu’à faire une correction sommaire en multipliant par trois, afin d’inclure les géniteurs. Alors ça nous donne un total hivernal de 13 167 animaux sur l’île Brion.»

RENFORCEMENT DU MMPA

Un tel recensement mené durant la saison d’été était d’ailleurs une première, selon le chercheur de l’IML. Il s’inscrit dans le cadre du renforcement de l’application du Marine Mammal Protection Act (MMPA) adopté aux États-Unis en 1972, et dont les nouvelles exigences entreront en vigueur en janvier 2021.

En fait, il sera interdit d’exporter les produits marins canadiens aux États-Unis, si les mesures de mitigation mises en place pour réduire les prises accidentelles de mammifères, tels que les baleines noires et les phoques, ne sont pas comparables aux efforts déployés par les Américains.

«Nous faisons donc un suivi plus assidu des populations, raconte M. Hammill; c’est une partie de nos responsabilités pour rencontrer les exigences des Américains. Cependant, comme c’était la première fois qu’on faisait un recensement à l’île Brion en été – habituellement on fait le décompte lors de la mise-bas en janvier – on n’a pas de données comparatives. Et en ce qui concerne le phoque commun, on n’avait aucune estimation canadienne à ce jour.»

Également, pour mieux comprendre la saison des naissances des phoques gris, l’IML mène depuis l’an dernier un nouveau projet de recherche à l’île Brion. Une équipe est allée sur place en janvier 2019 et janvier 2020, pour prendre des photos des différents stades de la mise-bas. «On veut savoir si les naissances arrivent plus tôt ou plus tard qu’à l’habitude en lien avec les conditions de la glace», fait valoir M. Hammill.

RECENSEMENTS À VENIR

Selon le chercheur scientifique de l’IML, le prochain recensement complet des phoques gris du Canada atlantique est planifié pour janvier 2021. Parallèlement, il poursuivra son inventaire estival des phoques gris et communs du côté des Maritimes cette année, puis à Terre-Neuve en 2021. « Pour juin 2020, ça inclut la côte est de la Nouvelle-Écosse et les côtes néo-écossaise et néo-brunswickoise de la Baie de Fundy, tandis que l’année suivante on survolera les côtes sud et est de Terre-Neuve et sud-ouest du Labrador.»

On se rappellera que lors de son recensement de l’hiver 2016, le ministère fédéral des Pêches et des Océans estimait la population de phoques gris à 424 000 individus, en baisse par rapport à l’évaluation précédente de 500 000 têtes. La différence s’explique par une révision du sexe ratio de la population, expose Mike Hammill. «On a changé le facteur du modèle d’un mâle pour chaque femelle par un sexe ratio de 0,7 mâle par femelle parce qu’on a remarqué un taux de mortalité plus élevé chez les mâles de l’île de Sable. C’est probablement parce qu’ils sont plus agressifs entre eux.»

Or, malgré cette diminution de la population de phoques gris, le scientifique croit qu’elle continue de croître au rythme d’environ 4 % par année dans l’Est du Canada. Ces mammifères consomment de 1,5 à 2 tonnes de poisson par année. Et, selon les données du MPO, leur diète est à 75 % composée de morue. Il est d’ailleurs prévu qu’à moins d’une réduction significative d’au moins 65 % du troupeau, cette prédation de la morue par les phoques gris mènera à l’extinction de ce poisson de fond d’ici le milieu du siècle.

REPÈRE – pages 24-25 – Volume 33,2 Avril-Mai 2020

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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