Le lobby environnementaliste américain en faveur de la protection des baleines noires menacées d’extinction est aussi puissant que celui qui a mené à l’abolition de la chasse aux blanchons et à l’interdiction des produits du phoque sur le marché des États-Unis. C’est ce qu’affirme la chercheure Lyne Morissette, de M-Expertise Marine qui était conférencière invitée à la réunion annuelle du North Atlantic Right Whale Consortium (NARWC) qui s’est tenue à New Bedford, au sud de Boston, les 25 et 26 octobre derniers. Elle note que ce consortium regroupe des scientifiques gouvernementaux, des chercheurs indépendants, des universitaires et des représentants de groupes environnementaux pour qui les baleines sont la vache à lait.
«Quand tu protèges une espèce en voie de disparition et qui tu as basé toute ta carrière là-dessus, de dire que ça va mal, ça te permet de te faire financer ta recherche parce que ça va mal et que c’est une espèce fragile, dit-elle. Mais le jour que ça va bien, tu ne peux pas dire que ça va bien, sinon tu ne pourras plus te faire financer.»
Pour chaque défenseur des intérêts des pêcheurs présent à la rencontre, Mme Morissette estime qu’on y comptait 10 protecteurs des baleines. Elle déplore le message négatif qui émanait des discussions, sur les différentes mesures de gestion et avancées technologiques, telles que les casiers sans cordage, pour diminuer les interactions entre les pêcheries et les mammifères en voie d’extinction. «Leur job c’est de travailler sur les baleines, et non pas de travailler sur les pêcheries. La pêcherie, pour eux autres, c’est une source de mortalité.»
DÉCLIN DE LA POPULATION
Ainsi, le Canada a beau faire valoir qu’il n’y a pas eu de mortalité de baleines noires par empêtrement dans les cordages de pêche en eaux canadiennes depuis trois ans, il ressort de la dernière évaluation de la NOAA, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, que la population de mammifères s’est détériorée au cours de la dernière année. Mme Morissette rapporte qu’elle est passée de 348 individus en 2021 à 340 individus en 2022, alors qu’on croyait initialement qu’elle était montée de 336 à 340 animaux.
«Les estimations sont basées sur des milliers d’observations et de traitement d’images et on a continué de recevoir des images après la réunion de l’année passé, quand on pensait avoir 336 baleines, explique-t-elle. On a donc continué les analyses, et finalement, avec la nouvelle information, ça fait que ça continue à aller mal.»
La biologiste se désole que ce déclin fasse ombrage à l’évolution des travaux de recherche et développement pour réduire les risques d’empêtrement des baleines dans les cordages. Le Canada fait pourtant figure de leader dans la mise au point des casiers sans cordage, qu’on appelle désormais «engins sur demande», fait-elle valoir.
«Pour la science, les engins sur demande sont la solution pour laquelle on a le plus d’espoir parce que c’est la seule façon de pêcher sans avoir d’impact là où il y a des baleines. Mais selon mon opinion personnelle, les membres du NARWC ont raté une belle opportunité de garder espoir, sur les efforts qui sont faits en ce sens. Parce que là, c’est comme si tout ce qu’on fait ce n’est pas assez. Le message de base c’est « it’s not enough, it’s not enough, it’s not enough »; ils disent toujours ça. Et moi, j’ai vraiment peur, parce que c’est colossal les efforts qu’on a faits dans les pêcheries canadiennes. J’ai peur qu’un moment donné le monde baisse les bras.»
AGRESSIVITÉ AMÉRICAINE
Pour sa part, le directeur général de l’Association des crabiers acadiens (ACA) admet que le lobby pro-baleines est aussi puissant que le lobby anti-chasse aux phoques. «C’est le même genre de lobby qui a mené à la fin de la chasse aux blanchons aux Îles-de-la-Madeleine et c’est un lobby probablement plus puissant encore, affirme Robert Haché. Mais la flexibilité de l’industrie de la chasse de l’époque, à vouloir accommoder la coexistence, n’était pas la même. En comparaison, depuis 2017-2018, tout le monde est activement impliqué pour essayer de trouver des moyens d’avoir des engins qui ne nuisent pas aux baleines, de pêcher quand les baleines ne sont pas là, et tout ça.»
Or, selon une étude menée par le Conseil canadien de la Faune pour le compte du ministère des Pêches et des Océans, les mesures de gestion de la pêche au crabe des neiges pour réduire les risques d’interaction avec les baleines, en particulier les fermetures de zones, n’atteignent leur cible qu’à 62 % contre un objectif américain de 90 %. «Mais les Américains eux-mêmes n’atteignent pas cette cible», temporise Robert Haché.
Cela fait néanmoins dire à Jean-Paul Gagné, directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), qu’il y a «de l’agressivité» aux États-Unis, où les pêcheurs de homard du Maine viennent notamment de perdre leur certification du Marine Stewardship Council (MSC). «Il pourrait même y avoir une fermetures de zone de pêche avec ça, dit-il. Est-ce que ça va les mener à bouder notre homard du Canada? Les gens sont craintifs et avec raison.»
M. Gagné précise que le prochain congrès annuel de son organisation se penchera justement sur le développement de nouveaux marchés pour réduire la dépendance de l’industrie face au marché des États-Unis. L’événement, qui aura pour thème Performance de notre industrie face aux bouleversements mondiaux, se tiendra les 24, 25 et 26 janvier à Québec.
REPÈRE – page 40 – Volume 35,5 – Décembre 2022 – Janvier 2023