Les attentes sont variables et nombreuses au lendemain du Rendez-vous des pêches 2022 du Québec, caractérisé par la présence de sept ministres fédéraux venus rencontrer les principaux acteurs régionaux de l’industrie de la capture et de la transformation. Les participants espèrent minimalement une meilleure compréhension des enjeux et des décisions qui tiennent compte des réalités du Québec maritime.
Les sept ministres fédéraux se trouvaient en Gaspésie le 2 septembre à l’occasion de la réunion du caucus québécois des députés du Parti libéral du Canada, duquel la députée de Gaspésie-Les-Îles-de-la-Madeleine, Diane Lebouthillier, aussi ministre de l’Agence de revenu du Canada, était hôte. Cette réunion du caucus a rassemblé 25 des 35 députés libéraux québécois entre Rivière-au-Renard, lieu du Rendez-vous des pêches 2022, et Percé.
Les acteurs du milieu québécois des pêches ne peuvent se souvenir d’une pareille rencontre de ministres fédéraux dans un secteur où la capture et la transformation de produits marins représente autant pour l’économie régionale. Les retombées des pêches commerciales dans le Québec maritime tendent maintenant vers une somme approchant 1 milliard de dollars par an.
GAGNER PLUS D’ALLIÉS
Claudio Bernatchez, directeur général de l’Association des capitaines propriétaires de la Gaspésie, rappelle que le but du Rendez-vous consistait principalement à gagner plus d’alliés, des gens qui comprennent mieux la réalité des pêches.
«On veut être mieux compris dans ce qu’on fait. Quand vous n’êtes pas de la région, et qu’on parle des pêches, on peut comprendre que ce n’est pas facile. C’est un exercice qu’on aurait dû faire depuis longtemps», précise-t-il.
Ces objectifs ont-ils été atteints? «Les échos qu’on a pu recevoir sont très positifs. Alain Grenier (directeur régional du Créneau d’excellence Ressources, sciences et technologies marines) a tenu un échange après le Rendez-vous et les gens sont satisfaits. Pour la première fois dans l’histoire des pêches au Québec, on a réussi à asseoir ensemble des pêcheurs, des transformateurs, des mariculteurs, des aquaculteurs, des fournisseurs d’équipement, des scientifiques et des représentants des deux paliers de gouvernement. Le MPO (ministère fédéral des Pêches et des Océans), c’est gros, avec plusieurs milliers d’employés d’un bout à l’autre du pays. Il arrive que la main gauche ne parle pas à la main droite. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est juste une grosse machine», explique M. Bernatchez.
Même si la ministre des Pêches et des Océans Joyce Murray n’y était pas, elle était représentée par son conseiller pour le Québec, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve, ce qui rassure Claudio Bernatchez. Il a des attentes au sujet de l’amélioration des interventions de ce ministère avec les acteurs de l’industrie.
«L’angle sous lequel on a abordé les discussions, c’est surtout pour insuffler une nouvelle façon de faire, mieux gérer les pêches, enlever les silos, harmoniser les programmes au sein des flottilles, repenser la façon dont les pêches se font au Canada. Il faut commencer à se demander si on fait ça de la meilleure façon qui soit. Il faut emmener une collaboration accrue entre les différents groupes de pêcheurs», ajoute-t-il.
Claudio Bernatchez assure que des suites seront données rapidement au Rendez-vous des pêches 2022. «Il faut partir sur ce momentum, garder les gens en mouvance. On peut faire mieux pour maximiser les retombées des pêches dans nos régions.»
TROP DE POUVOIR À OTTAWA ET PEU DANS LES RÉGIONS
S’il y a une personne qui souhaite une amélioration des communications entre Pêches et Océans Canada et les pêcheurs, c’est bien O’Neil Cloutier, directeur général du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie. Il a profité du Rendez-vous de Rivière-au-Renard pour passer quelques messages en ce sens.
«Le problème relève du fait que le MPO à Ottawa veut tout contrôler. Il enlève les pouvoirs de gestion au régional qui, lui, était habitué à communiquer avec nous», déclare-t-il.
M. Cloutier est notamment démonté du fait que les homardiers gaspésiens, qui constituent l’épine dorsale du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie, soient visés par de potentielles sanctions économiques occasionnées par l’organisme américain Sea Watch, une menace qui découle, dit-il, de la mollesse de Pêches et Océans Canada dans les pourparlers entre les deux pays. Les gens de Sea Watch sont d’avis que le Canada en fait trop peu pour protéger les baleines noires.
Avec les éléments négociés jusqu’à maintenant, le homard pêché en Gaspésie, uniquement capturé en eaux côtières peu profondes, n’est pas reconnu comme singulièrement différent de celui d’autres secteurs de l’est du Canada, où il est souvent pêché de façon semi-hauturière, plus proches des lieux fréquentés par les baleines noires.
Le gouvernement canadien devrait être capable de négocier mieux que ça. Il n’y a pas de baleine noire inventoriée en eau peu profonde (…) On a une équipe approuvée par le MPO, qui patrouille six semaines au cours de la saison, tous les jours. Il y a deux observateurs indépendants de l’organisation à bord. Cette équipe n’a pas inventorié une seule baleine à 25 brasses de profondeur. On pêche à 15 brasses. Au cours des dernières années, une seule baleine a été vue, à 39 brasses de profondeur, au large de Gaspé. On serait placés sur une liste noire? C’est un peu radical. On joue avec les économies régionales et on risque de paralyser l’ensemble de la pêche. Au gouvernement canadien, je dis : réveillez-vous!», souhaite O’Neil Cloutier.
De son côté, le président de l’AQIP, l’Association québécoise de l’industrie de la pêche, Bill Sheehan, croit que la présence de plusieurs membres du cabinet fédéral en Gaspésie pourrait déboucher sur une meilleure compréhension des problèmes de l’industrie.
«C’était bien, d’avoir ces ministres dans ton coin de pays. Avoir l’oreille et l’attention de ces ministres peut être utile dans la suite des choses. C’était une journée chargée, de la conception de bateaux, à la vente de produits marins, à la pêche, à la transformation, en passant par l’aquaculture et la mariculture. Ils en ont entendu beaucoup! Il y a beaucoup de demandes et de messages qui ont été exprimés en peu de temps, souvent à des ministres jamais venus dans le coin. On parle de nos besoins, des besoins de la pêche au Québec. Une fois repartis de la Gaspésie, ils penseront peut-être à leur séjour avec nostalgie, ils démontreront de la sympathie à l’endroit de nos revendications, et ça ne peut faire de tort. Ils ont reçu un bel accueil. C’est un plus pour le secteur des pêches», explique M. Sheehan.
TROIS ENJEUX PRINCIPAUX
L’AQIP a sensibilité les ministres fédéraux à trois enjeux principaux, la nécessité d’obtenir l’appui du gouvernement dans la récupération de la certification du Marine Stewardship Council attestant de la durabilité de la pêche commerciale au crabe des neiges dans le sud du golfe Saint-Laurent, de la nécessité d’assurer un début de pêche hâtif dans cette zone, et d’un assouplissement des règles d’embauche des travailleurs étrangers.
La certification du Marine Stewardship Council a été suspendue en 2018 à la suite de la dure année 2017, au cours de laquelle des baleines noires ont été empêtrées dans des engins de pêche en eaux canadiennes. Le début de pêche hâtif est d’autre part réclamé depuis plusieurs années par les crabiers gaspésiens et madelinots du sud du golfe Saint-Laurent, mais avec plus d’insistance depuis quatre ans pour éviter les interactions entre pêcheurs et baleines noires.
Au sujet de l’enjeu des travailleurs étrangers, les transformateurs réclament d’une part un allègement de la paperasse liée à leur venue mais, aussi, une flexibilité quant à leur embauche dans plus d’un secteur bioalimentaire, alors que l’agriculture pourrait agir comme complément aux pêches. «Dans le contexte actuel, un travailleur étranger doit sortir du pays s’il veut changer de secteur d’activité, une non-sens», résume Bill Sheehan.
CONCRETATION – page 7 – Volume 35,4 Septembre-Octobre-Novembre 2022