Si la pêche à la morue est un jalon important de l’histoire du Québec, elle est intrinsèquement liée à la vie des habitants des provinces maritimes. Le moratoire sur la pêche au poisson de fond, décrété en 1993 au Québec, a creusé un gouffre au cœur de certaines communautés côtières. Après 30 ans de moratoire, où en sommes-nous? C’est ce que met en lumière le dernier documentaire de Jean Guénette, intitulé «Le silence des morues», produit par Gaspa de Carleton-sur-Mer.
Cette entaille a non seulement écorché l’économie régionale, mais aussi l’âme de certaines municipalités qui dépendaient en grande partie de cette pêche, notamment en Gaspésie. «C’est important, 30 ans après, de faire le point, estime le producteur. Comment toute cette économie s’est transformée? Le but du film est de raconter l’importance de ce poisson [la morue]. Il y a un devoir de mémoire.»
Le documentaire permet à des pêcheurs gaspésiens et madelinots de s’exprimer. Le film nous transporte aussi à Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, là où les gens avaient déjà fait part avec insistance de la situation critique auprès des scientifiques. Mais selon Jean Guénette, ceux-ci ont fait fi de leurs avertissements.
Le journaliste, qui arpente les quais et qui accompagne parfois certains pêcheurs en mer depuis plus de trois décennies, expose un état des lieux très contemporain de l’industrie de la pêche. Le documentaire, qui sera diffusé sur les chaînes 511 de MaCommunauté Telus et sur YouTube, fait un retour dans le passé et présente un portrait du présent ainsi qu’une projection d’un futur qui sera animé par une nouvelle génération de pêcheurs et de transformateurs, dont le travail sera de plus en plus teinté par les nouvelles technologies.
REPRODUIRE LES ERREURS DU PASSÉ
Pour pallier la perte de milliers d’emplois liés à la pêche et à la transformation du poisson, il a été proposé de varier la provenance des revenus. Ainsi, d’autres types de pêche sont apparus. Puis, au fil des dernières années, le documentariste en arrive au constat que la morue est de retour dans les eaux du Saint-Laurent, tout comme le sébaste, qui est une autre espèce de poisson dont la pêche fait l’objet d’un moratoire depuis 1995. Cette situation ouvre la porte à certains protagonistes qui peuvent maintenant non seulement rêver au retour de la pêche commerciale de ces espèces, mais aussi de la réclamer.
Le réalisateur est catégorique. À son avis, les erreurs du passé se reproduisent dans d’autres espèces que la morue. «Le manque de courage politique, la mauvaise gestion du gouvernement fédéral dans le domaine des pêches et le peu d’importance que les politiciens d’Ottawa et même de Québec portent aux régions maritimes font en sorte qu’on est toujours laissé pour compte. Ce laisser-aller fait en sorte que, 30 ans après, on voit des moratoires s’imposer et des déclins majeurs dans d’autres espèces halieutiques.»
Les pêcheurs ont souvent été pointés du doigt. Aujourd’hui, ils ne sont pas coupables de la situation, croit M. Guénette. «Ce sont des décisions et des actions qui ne sont pas mises de l’avant pour protéger les autres ressources en danger.»
Le cinéaste considère le comportement du ministère des Pêches et des Océans du Canada regrettable, alors qu’on s’était engagé à lui accorder des entrevues à la caméra et qu’on lui a fait faux bond. «On leur a donné des délais et ils n’ont pas été capables de nous fournir quelqu’un. On nous a même répondu, au bureau de Moncton, que la gestion des phoques et de la morue est décidée à Ottawa et non dans les bureaux des régions atlantiques, où sont généralement les morues et les phoques gris. C’est pour le moins étonnant!»
En revanche, Jean Guénette a réussi à obtenir un point de vue scientifique, soit celui d’Alain Fréchet, aujourd’hui retraité du ministère fédéral. «Maintenant, il a le droit de me parler», est-il ravi.
INDIFFÉRENCE DANS LA GESTION DU PHOQUE GRIS
Le producteur de films accuse l’indifférence du gouvernement fédéral devant la multiplication du phoque gris, dont les troupeaux ne cessent de pulluler depuis 1998. À eux s’ajoutent les impressionnantes hordes de phoques du Groenland qui séjournent dans le golfe pendant environ un mois et demi et qui se goinfrent de nombreuses espèces de poisson. Il est urgent, selon M. Guénette, de se préoccuper de la prédation par les phoques qui, depuis 30 ans, constitue la principale entrave au rétablissement des stocks de morue dans le sud du golfe.
Selon le propriétaire de la maison de production Gaspa, le phoque gris consomme quotidiennement une moyenne de 40 kg de poisson. Dans le documentaire, Jean Guénette en arrive, avec le pêcheur O’Neil Cloutier, à un total annuel de 4,5 milliards de livres de morue, qui composeraient le garde-manger du mammifère marin.
Jean Guénette conclut son film par un triste constat : l’histoire de la morue se répète avec d’autres espèces de poisson. Il déplore aussi le fait que les leaders ne semblent pas s’inquiéter de la situation. Cela découle, à son avis, du peu de souci démontré pour les régions éloignées. En d’autres termes, le silence des morues n’est rien d’autre que le miroir des gestionnaires dans le dossier des pêches.
HISTOIRE – page 27 – Volume 36,3 Juin-Juillet-Août 2023
