Dans son plus récent avis scientifique sur le hareng du sud du Golfe, la direction régionale du ministère des Pêches et des Océans (MPO) à Moncton dresse un bien sombre portrait. Le chercheur Hugues Benoît, chef de la section des poissons marins, conclut que le stock de printemps, en particulier, se trouve en situation critique.
En fait, la biomasse reproductrice du hareng de printemps, qui est inférieure à 10 000 tonnes, se trouve à un seuil critique depuis 12 ans déjà, dit-il. Le scientifique estime que la population se stabiliserait si les prises étaient inférieures à 1 000 tonnes au cours des deux prochaines années, mais le quota actuel est lui-même deux fois plus élevé. «S’il n’y avait aucune pêche, la probabilité d’une augmentation, une petite augmentation, donc d’environ 5%; s’il n’y avait aucune pêche, on prédisait qu’il y avait quand même environ 60% de chances de cette augmentation-là. Mais ça, c’est vraiment avec aucune prise, tandis qu’on sait qu’il y a toujours des prises accidentelles», signale monsieur Benoît.
NOUVEAUX PRÉDATEURS
Ironiquement, le hareng de printemps du sud du Golfe aurait dû profiter de l’effondrement du stock de morue, son principal prédateur des années 1970, poursuit le chercheur. Il note toutefois que le poisson pélagique est désormais la proie d’autres espèces, comme le phoque gris et le thon rouge. «Cette diminution de prédation par les poissons de fond semble être contrebalancée par une augmentation de consommation par le phoque gris, une légère augmentation de consommation par le cormoran, par exemple, une augmentation aussi par le fou de Bassan, et sans doute aussi une augmentation de prédation par le thon.»
De plus, Hugues Benoît rapporte une diminution du poids liée à l’âge du hareng, lequel est passé de 200 grammes en 1988 chez les poissons reproducteurs de quatre ans à 120 grammes aujourd’hui. Cela affecte le recrutement du stock parce que les plus petits poissons pondent moins d’œufs.
Quant à la biomasse reproductrice du stock de hareng d’automne, elle est en baisse depuis six ans, faute de recrutement. Selon la plus récente évaluation scientifique du MPO, elle se trouve à la frontière entre la zone saine et la zone de prudence.
LE THON PLUS ABONDANT
En contrepartie, les pêcheurs de thon notent que ce grand pélagique est plus abondant dans le golfe du Saint-Laurent qu’il ne l’était il y a plus de cinq ans. Le capitaine du Jean Mathieu de Grande-Entrée, Denis Éloquin, se réjouit d’ailleurs que le MPO ait décidé, à la fin août, de ne pas l’inscrire sur sa liste des espèces en péril. Il fait remarquer que les poissons qui font des sauts spectaculaires en pourchassant leurs proies sont devenus un phénomène usuel. «Il y a 10 ans, il n’était pas rare de revenir bredouille après une semaine sur l’eau, dit-il. Mais depuis cinq ans, on en voit tous les jours.»
Cette année, les 26 Madelinots détenteurs d’un permis de thon rouge ont capturé 35 poissons, soit la moitié des prises québécoises. Monsieur Éloquin rapporte que son compagnon de pêche et lui-même ont reçu 13 et 15 dollars la livre pour leurs captures respectives de 455 et de 585 livres. Il précise que la valeur à quai du thon rouge varie non seulement en fonction de la condition de préservation du poisson, de sa couleur et de sa teneur en gras, mais aussi en fonction de l’abondance de l’offre du jour. «Si t’as plusieurs jours de beau temps et qu’il y a 30 pêcheurs, ou 40 pêcheurs ou 50 pêcheurs à la pêche, comme ça nous est arrivé l’année passée, il est rentré quelque chose comme 90 thons à l’Île-du-Prince-Édouard sur le marché dans la même journée, ça fait que le prix n’était pas bon.»
Ce sont surtout des acheteurs Japonais et Américains qui se trouvent sur les quais, à l’Île-du-Prince-Édouard. Denis Éloquin raconte que les débarquements font l’objet d’encans silencieux. «T’arrives avec le thon et s’il y a comme quatre acheteurs, bien ils vont chacun faire un prix. Et quand c’est le temps, ils te donnent chacun un papier avec leur nom, exemple : 10 piastres, 11 piastres, 12 piastres et 13 piastres. Et là, bien, tu vends au plus cher!»
Selon Denis Éloquin, chaque capture de thon est le fruit d’une à deux heures de combat; une pêcherie qu’il qualifie d’excitante.
LES PÉLAGIQUES – page 33 – Volume 29,6 – Décembre 2016 – Janvier 2017