Le biologiste chargé du suivi scientifique du stock de homard des Îles-de-la-Madeleine, Benoît Bruneau, qualifie «d’exceptionnellement bonne» sa mission de relevés post-saison 2020. Elle s’est déroulée à bord du LEIM, le navire de recherche côtière du ministère des Pêches et des Océans, du 3 au 13 septembre. Le beau temps a contribué au succès des relevés d’échantillonnage au chalut, se réjouit le chef de mission de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML).
«Nous avons eu une belle météo, ce qui nous a permis de rapidement faire le tour de nos 70 stations d’échantillonnage, rapporte M. Bruneau. Nous avons aussi un bel arrimage avec l’équipage de la Garde côtière; nous avions le même équipage que l’an dernier, ce qui a contribué à l’efficacité des communications pour les manœuvres spécifiques aux traits de chalut. Ça été un beau travail d’équipe!»
Il faut dire également que la tenue même de la mission annuelle était encore incertaine à quelques semaines de son déploiement, étant donné la pandémie de la COVID-19. «Ça a été difficile à organiser, tant sur le plan administratif qu’organisationnel, explique le biologiste. Pour le ministère des Pêches et des Océans, c’est une mission prioritaire et ç’a été un processus de plusieurs mois à établir avec le national, mais aussi à l’interne et avec la Garde côtière, les meilleures solutions. Sur le LEIM, on applique le principe de la bulle parce qu’il n’y a pas moyen de faire de la distanciation ni de travailler à la journée longue avec un masque.»
IMPACTS DE LA TEMPÉRATURE
De ses premières observations des échantillons de homard capturés au chalut, Benoît Bruneau ne constate rien de notable. «Il y a du homard partout, mais il n’y a pas de réduction ou d’augmentation énorme», commente-t-il. Cela dit, le biologiste de l’IML constate depuis un an ou deux que la carapace des homards est plus flexible, moins rigide que par le passé, en septembre. «Est-ce dû à la capacité de support du milieu? Je ne sais pas. Assiste-t-on à un déphasage de la mue lié au réchauffement de la température de l’eau? Peut-être.»
De la même façon, les œufs catégorisés en quatre phases de développement ont désormais des yeux perceptibles, grâce à des outils spécialisés, dès le début de la phase 2 plutôt qu’à la fin. «Les homards dépendent grandement de la température de l’eau, souligne M. Bruneau. Mais l’impact est difficile à dire parce qu’il varie selon la taille des individus. Les plus petits aiment ça quand c’est chaud ; c’est pour ça qu’ils se tiennent à de plus faibles profondeurs.»
Benoît Bruneau croit même que les post-larves pourraient prendre moins de huit ans pour atteindre la taille commerciale, parce que quand l’eau est plus chaude les mues de croissance sont plus fréquentes au cours de leurs deux premières années sur le fond. «Nous sommes à étudier la question pour notre prochaine évaluation de stock», précise-t-il.
C’est à l’hiver 2022, que l’IML présentera son prochain rapport scientifique de la population de homard des Îles, dont l’évaluation revue par les pairs se fait aux trois ans. Le Rassemblement des pêcheurs et des pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI) n’attendra toutefois pas jusque-là pour discuter de l’impact du réchauffement sur la gestion de la pêcherie. Son président, Charles Poirier, veut en faire un point à l’ordre du jour de la réunion annuelle du comité consultatif de gestion qui se tiendra l’hiver prochain. «Il y a des signes qui nous disent de faire attention à ce qui s’en vient, prévient-il ; la température de l’eau augmente dangereusement, ce qui nous dit qu’il va falloir probablement regarder une possibilité de ne plus pêcher en juillet. Juillet est une saison trop chaude; l’eau est trop chaude du côté sud. Du côté nord elle est un peu moins chaude, mais c’est pour ça qu’il va y avoir discussion avec nos membres et toute l’industrie pour devancer la date d’ouverture.»
À ce propos, Benoît Bruneau note cependant que la température de l’eau dans la pouponnière des Demoiselles, entre trois et cinq mètres de profondeur dans la Baie de Plaisance, variait de 11 ˚C à 19 ˚C lors des relevés d’échantillonnage post-saison en plongée, du 10 au 21 septembre. «Les plongeurs trouvent que c’est une température similaire à celle de l’année dernière», signale-t-il.
Selon les données de l’IML, la température moyenne de surface de tout le golfe Saint-Laurent, incluant la couche mélangée d’une dizaine de mètres d’épaisseur dans laquelle baigne le homard en fin de saison, était de 1,4 ˚C supérieure à la normale climatologique des 30 dernières années en juillet. Sur le plateau madelinien, la température de surface était de 16 ˚C au début juillet, contre une normale de 13 ˚C.
Or, l’océanographe physicien Peter Galbraith fait remarquer que dès la fin août, on enregistrait plutôt une température inférieure à la moyenne des 30 dernières années aux Îles, parce que de grands vents avaient brassé l’eau et fait remonter le froid du fond. «Il a fait anormalement chaud pendant la période la plus chaude de l’année, convient le chercheur, mais c’est dû à la météo ajoutée à une tendance lourde plus faible. Attention! On ne peut pas dire que ce qui est arrivé, ça va être comme ça l’an prochain. Les années se suivent et ne se ressemblent pas.»
AJUSTEMENT DE PRIX
L’Office des pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine réclame un ajustement sur le prix des 3e, 4e et 5e semaines de la saison 2020. Sa demande totalise 2 191 679 $. Au cours de cette période, les six acheteurs inscrits au Plan conjoint du homard des Îles ont successivement versé 4,08 $, 3,90 $ et 4,26 $ la livre, alors qu’en Gaspésie les pêcheurs recevaient 4,50 $ la livre pour leurs captures. «Les acheteurs gaspésiens, qui calquaient leurs prix sur ceux des Îles, ont eux-mêmes déclaré publiquement qu’ils ne trouvaient pas que c’était raisonnable de payer moins que 4,50 $», fait valoir les président de l’Office, Pascal Chevarie.
Les acheteurs madelinots rejettent toutefois les doléances des pêcheurs. «Nous avons suivi la formule tout au long de la saison, basée sur les ventes des trois meilleurs vendeurs, explique leur porte-parole, Jean-Paul Gagné, directeur général de l’AQIP ; une formule de fixation des prix que les pêcheurs ont refusé de revoir avant le début de la saison. Nous avons même payé plus cher qu’ailleurs dans les Maritimes, alors nous n’avons aucune honte des prix payés cette année.»
Pour sa part, la nouvelle conseillère juridique de l’Office, Me Myriam Robichaud du cabinet BHLF Avocats de Longueuil et membre du service juridique de l’Union des producteurs agricoles (UPA), considère que les négociations sont toujours actives entre les deux parties, malgré le rejet de la demande d’ajustement logée par ses clients. Aussi préfère-t-elle ne pas évoquer un éventuel recours à l’arbitrage de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec en cas d’échec des pourparlers. «Les deux parties continuent de se parler ; on ne veut donc pas s’avancer sur l’issue de la demande d’ajustement», dit-elle.
ME RÉGNIER SE RETIRE
Notons que Me Robichaud succède à l’avocat Claude Régnier, qui défendait les intérêts de l’Office des pêcheurs de homard des Îles depuis 2009. À titre de secrétaire de la Régie en 1991, Me Régnier a aussi supervisé l’adoption du Plan conjoint du homard, le premier dans le secteur des pêches, et la création de l’Office. «Les chaussures sont grandes, reconnaît la nouvelle venue. Me Régnier a apporté beaucoup de ses connaissances à l’Office et il a été très généreux de son temps pendant la transition. J’ai encore beaucoup à apprendre. C’est un gros défi, parce que la pêche est un secteur économique important aux Îles-de-la-Madeleine, et je prends mes nouvelles responsabilités comme un énorme privilège.»
C’est d’ailleurs Claude Régnier qui a recommandé Myriam Robichaud à l’Office, en vue de préparer la relève l’hiver dernier, considérant qu’il allait prendre sa retraite dans un avenir prévisible. L’Office des pêcheurs de homard ayant été son plus important, il admet que ça le chagrine un peu de se retirer.
L’avocat regrette que les pêcheurs et les acheteurs aient fait du surplace ces dernières années, en ce qui concerne la mise à jour du mode de fixation du prix du homard payé au débarquement. «On a mis énormément d’énergie physique et financière dans la définition de la mise à jour des barèmes de référence des prix du marché et à établir un écart type entre le prix du marché et le prix versé aux pêcheurs qui soit acceptable pour les deux partis. Mais malgré tout, ça n’a pas réussi. C’est décevant.»
Me Régnier se félicite néanmoins de la volonté qu’ont les deux partis de développer une mise en marché commune, de sorte à cibler les marchés les plus porteurs et à y valoriser le homard tant par des campagnes de promotion que par une régularité de la qualité du produit et de ses approvisionnements. «Ça aurait pu se régler cette année, n’eût été de la COVID, parce qu’on s’entendait sur les pistes de solutions, affirme-t-il. Mais, puisque les acheteurs ne pouvaient pas s’engager à acheter pendant neuf semaines, l’avenir était trop incertain pour entrevoir des ouvertures sur de nouveaux marchés.»
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 6 – Volume 33,4 Septembre-Octobre-Novembre 2020