Le nouveau ministre fédéral des Pêches et des Océans, Jonathan Wilkinson, a été nommé à ce poste le 18 juillet, prenant la relève de l’Acadien Dominic LeBlanc. M. Wilkinson arrive à un moment où de multiples dossiers sont en suspens au Québec, dans certains cas depuis des années, sinon des décennies. Pêche Impact jette un coup d’œil sur les attentes que les secteurs de la capture, de la transformation et de la commercialisation entretiennent à l’égard du nouveau ministre.
Le Fonds de développement des pêches pour le Québec
Il est temps que ce dossier avance. La version atlantique a été annoncée en mars 2017 pour le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve. Le fonds est doté d’une enveloppe totale de 325 millions $ pour les cinq prochaines années et il débouchera sur des investissements d’au moins 400 millions $ en incluant les mises de fonds de 30 % des gouvernements provinciaux et des territoires participants.
Qu’attend le ministère des Pêches et des Océans pour lancer la version québécoise de ce fonds? Les besoins en développement égalent au moins ceux des provinces atlantiques et l’attente cause un préjudice dans la capacité du Québec de demeurer concurrentiel avec ses voisins immédiats.
Officiellement, le Fonds «vise à aider le secteur des fruits de mer du Canada à faire une transition afin de répondre aux demandes croissantes du marché à l’égard de produits de haute qualité, à valeur ajoutée (et) obtenus par des méthodes durables.»
Plusieurs acteurs du secteur des pêches ont déjà l’impression que le ministère fédéral aurait complètement oublié la Gaspésie, la Côte-Nord, les Îles-de-la-Madeleine et le Bas-Saint-Laurent, n’eut été d’un rappel insistant de leur part. Les pêches québécoises représentent en gros 10 % des pêches commerciales du côté est du pays. Un fonds de 35 à 40 millions $ pour le Québec serait dans l’ordre des choses, sinon davantage. Le produit intérieur brut des pêches québécoises avoisine un demi-milliard de dollars par an. Pourquoi ne bénéficieraient-elles pas d’un traitement égal, considérant l’importance économique relative qu’elles détiennent dans le Québec maritime?
Le ministre LeBlanc devait venir l’annoncer en juin. Il n’est plus temps de se garder une occasion de venir faire un gros «show» dans les régions québécoises ou pire, attendre la campagne électorale fédérale de 2019. Il convient d’affronter des défis importants maintenant, comme ceux du sébaste et de la crevette. L’attentisme actuel est vraiment inacceptable.
À regarder aller certains décideurs de Pêches et Océans Canada, on n’a pas toujours l’impression que des maillons importants, la transformation et la commercialisation principalement, font partie intégrante des pêches. Il y a une incompréhension à Ottawa à propos du fait que les provinces n’ont pas à être seules à s’occuper de transformation et de mise en marché. Il faut une cohésion entre tous les acteurs des pêches et de la mariculture.
Gestion de la baleine noire: minimiser l’impact sur la capture du homard et du crabe des neiges
Tout le monde souhaite un avenir prometteur pour les baleines noires. Toutefois, la gestion chaotique de la présence de ces mammifères par Pêches et Océans Canada en 2017 et 2018 pourrait bien faire perdre au ministère ses meilleurs alliés en la matière, les gens qui se trouvent en mer.
Sous Dominic LeBlanc, le ministère a accordé un quota trop élevé de crabe des neiges en 2017, multipliant les risques d’empêtrement dans des engins de pêche et, surtout, la perception que les crabiers pouvaient constituer un problème majeur, alors que seules deux baleines sur 16 ont vraisemblablement péri dans des cordages de pêcheurs.
Le ministère a failli à sa tâche de monter en 2017 son propre protocole de protection de la baleine noire, une lacune qui a découlé sur l’imposition du protocole américain en eaux canadiennes. Le ministère a également omis de déployer les moyens nécessaires pour un début de saison hâtif en 2018, en ne déglaçant pas les havres du Nouveau-Brunswick, une erreur dont les crabiers ont payé le prix. Puis, ce sont les homardiers qui ont eu à s’adapter à des normes d’un autre pays, avec le résultat que des secteurs où aucune baleine noire n’avait jamais été observée, ont été fermés.
Ce gâchis administratif a été caractérisé par un manque total de consultation de la part du ministère à l’attention des pêcheurs. Le ministre Wilkinson a le devoir de changer ce contexte, et de consulter un ensemble plus étendu de scientifiques de façon à doter le Canada d’un protocole crédible de protection de la baleine noire. On a eu l’impression que le ministre LeBlanc avait les mains liées dans ce dossier, en raison de la pression des Américains ou de mésentente à l’interne au ministère, ou les deux. Cette flexibilité devra être palpable à compter de maintenant.
Gestion de la crevette et du sébaste
Ces deux espèces sont intimement liées. Les stocks de crevette déclinent depuis quelques années et la biomasse de sébaste remonte de façon fulgurante. Deux années exceptionnelles de recrutement laissent entrevoir un retour de forts contingents de capture du «poisson rouge».
En Gaspésie, les crevettiers sont probablement les plus aptes à reprendre la pêche au sébaste, quand elle sortira du moratoire, sous peu. Aux Îles-de-la-Madeleine, la flotte semi-hauturière, mis à part celle des crabiers, a été grandement réduite suite à l’arrêt de la pêche à la morue, en 1993 et au moratoire sur le sébaste, deux ans plus tard.
Cette reprise, pour réussir, devra s’harmoniser avec une relance de la capacité de transformation et de commercialisation de l’espèce. C’est le temps d’y voir maintenant. C’est d’autant plus important qu’un équilibre reste à trouver entre les prises de sébaste et celles de crevette, dans un effort de maintenir ces deux stocks en bonne santé et pour longtemps.
Le retour de la morue et le contrôle des phoques
Le retour de la morue est lent, 25 ans après le moratoire de 1993. Un nombre grandissant de pêcheurs sont d’avis que le stock se rebâtit plus vite que les biologistes le disent. Considérant les coupes dans la recherche sous le gouvernement Harper entre 2006 et 2011, serait-il possible pour le ministre Wilkinson d’intensifier l’évaluation des stocks en accordant une attention particulière à la morue, à la période au cours de laquelle les relevés sont faits, quitte à changer les pratiques en tenant davantage compte de l’avis des pêcheurs.
Le développement de moyens durables pour assurer un meilleur contrôle des populations de phoques, en forte croissance depuis 40 ans, s’impose dans cet exercice. Le phoque renferme un potentiel significatif permettant une exploitation optimale de toutes ses composantes, de la peau à la viande en passant par les os et les cartilages. Il faut du mouvement dans ce dossier qui traîne aussi en longueur.
Considérer l’augmentation du quota de flétan atlantique
S’il y a une espèce de poisson de fond dont la biomasse est solide présentement, c’est le flétan atlantique. Les quotas sont fort limités toutefois, et les périodes de pêche se traduisent par des prises effectuées en des temps record.
Il convient de vérifier si le stock de flétan atlantique pourrait être augmenté graduellement, tout en protégeant l’équilibre de la ressource et des espèces qui gravitent autour de ce géant de nos poissons. Tout le monde convient que l’exercice doit se faire en évitant de répéter les erreurs de surpêche commises pour la morue et le sébaste.
Le respect des parts historiques du Québec
Dans pratiquement toutes les espèces caractérisées par la présence de plus d’une province dans la capture d’un stock, le Québec perd graduellement du quota, ce qu’on appelle dans le jargon ses parts historiques. C’est arrivé dans la morue, le crabe des neiges et le flétan atlantique notamment. Ne serait-il pas judicieux pour le ministre Wilkinson de se pencher sur le cas québécois et mettre fin à des tendances injustes et inéquitables?
Le principe du pêcheur indépendant
Jonathan Wilkinson est établi dans une circonscription de Colombie-Britannique. Le mode de fonctionnement des pêches commerciales dans cette province est fort différent de celui du côté atlantique. Dans l’ouest, les usines de transformation de produits marins peuvent acheter massivement des permis de capture, et les pêches y sont intégrées au point où le secteur de la transformation domine outrageusement ce secteur. Il n’y a pas d’équilibre des forces entre capture et transformation. Les communautés côtières en souffrent.
L’équilibre est bien meilleur en atlantique, où il est plutôt exceptionnel que des usines détiennent des permis de capture en eaux canadiennes. Les pêcheurs d’ici n’ont en général aucune envie de changer ce mode de fonctionnement.
Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a tenté en 2014 de créer une brèche dans le principe du pêcheur indépendant, aussi appelé l’indépendance des flottilles, et il a frappé un mur.
Si le ministre Wilkinson s’avise de vouloir copier la tentative du gouvernement Harper, il frappera lui aussi un nœud. Ce serait une retentissante perte de temps et les pêcheurs devraient de nouveau se mobiliser pour défendre une évidence, au lieu de voir à leurs affaires sans obstruction.
Une présence plus sentie sur le terrain québécois
Il faut remonter à Pierre de Bané, il y a 34 ans, pour trouver un ministre québécois à la tête de Pêches et Océans Canada. Depuis 1984, le Québec mange plus souvent qu’autrement son pain noir avec ses rapports avec ce ministère fédéral, parce que les ministres qui s’y succèdent sont obsédés par les enjeux des provinces atlantiques ou de la Colombie-Britannique.
Si Jonathan Wilkinson veut se faire remarquer pour les bonnes raisons à Ottawa, il accordera au Québec et à ses enjeux l’attention qu’ils méritent.
ANALYSE – pages 6 et 7 – Volume 31,4 – Septembre-Octobre-Novembre 2018