C’est sous la gouverne de Christian Vigneau et de son fils Gabriel, actionnaires des entreprises Poissons Frais des Îles et Cultures du Large, que renaît LA Renaissance des Îles (LRDI) en faillite. Acquise au coût de 6,6 millions $, la nouvelle entreprise familiale s’appelle Les Pêcheries LéoMar, un amalgame de Léo et Martin, les deux petits-fils de son président.
«On y a mis beaucoup de travail pour élaborer un plan d’affaires, avec des prévisions réfléchies depuis longtemps, pour assurer la pérennité de la relance, nous a déclaré Christian Vigneau. Pour nous, l’acquisition des usines de LA Renaissance est très importante pour être capable de transformer nos produits localement et de leur apporter une plus-value. Avec Poissons Frais des Îles on ne pouvait sortir qu’un produit vivant. Et avec les installations de LA Renaissance des Îles, je pense que son équipe en place a fait de très belles choses ces dernières années et on va essayer de continuer dans le même sens. On est très heureux du dénouement de tout ça!»
Ainsi le 24 mars, à l’issue d’un appel de propositions lancé à la fin février pour la liquidation des actifs ayant appartenu à la Néo-Brunswickoise Lynn Albert, MM. Vigneau ont remporté la mise au détriment d’Iceto Inc., qui avait soumissionné au montant de 7,5 millions $, et de la Coopérative des pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine (Pêche Impact mars 2023) qui en offrait 4,3 millions $. L’ensemble des lots en liquidation étaient principalement constitués de deux usines de transformation du crabe et du homard, situées respectivement à Grande-Entrée et Gros-Cap, ainsi que d’un vivier d’une capacité de contention de 600 000 livres.
À titre d’unique créancier garanti de LRDI, Financement agricole Canada (FAC) détenait des sûretés mobilières et immobilières totalisant 9,1 millions $. «Techniquement, sur papier, l’offre d’Iceto [appar- tenant à Alain Lord Mounir, le demi-frère de Mme Albert et propriétaire d’Apéri-Fruits Compton jusque-là un des principaux clients de LRDI] était supérieure, mais après analyse, FAC a considéré que la meilleure offre était celle de Poissons Frais des Îles parce qu’elle ne présentait aucune condition externe à l’appel d’offres et autres considérations», nous a expliqué son mandataire José Roberge, président et syndic associé de la firme Roy Métivier Roberge.
TOUR DE FORCE
Selon Christian Vigneau, c’est un véritable tour de force qui s’est ensuite opéré en l’espace de trois semaines, pour que l’usine de traitement du crabe des neiges de Grande-Entrée puisse entrer en production dès l’ouverture de la saison de pêche du sud du Golfe, le mardi 11 avril.
Le président des Pêcheries LéoMar se félicite de ce que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) ait réussi à lui émettre le permis de transformation nécessaire dès le lendemain des premiers arrivages à quai. Quant à la certification de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), essentielle pour l’exportation des produits marins hors-Québec, elle a suivi près d’une semaine tard plus tard. «Habituellement, on parle de délais qui peuvent prendre plusieurs mois et tous les fonctionnaires qui gravitent autour de cette histoire-là ont été capables de se virer de bord en quelques jours, fait remarquer M. Vigneau. Ce ne sont pas des choses simples à faire et je pense que tout le monde a fait preuve de bonne volonté et a travaillé très fort en concertation pour mettre les choses en place très rapidement.»
Le ministre André Lamontagne nous informe qu’il a aussi délivré en même temps le permis de l’usine de transformation du homard située à Gros-Cap. «Dès les premiers instants de l’annonce de la faillite, notre seul objectif était l’intérêt de la pêche, des travailleurs et des Madelinots, nous a-t-il écrit par courriel. Et de savoir que les permis de transformation des deux usines ont été délivrés à temps pour que les premiers crabes soient transformés [aux Îles], il s’agit vraiment d’un dénouement positif. Nous continuerons d’accompagner les pêcheurs et les entreprises de ce secteur important. Je veux remercier toute l’équipe qui a travaillé sans relâche pour permettre le début des opérations.»
Christian Vigneau salue aussi le dévouement de sa nouvelle équipe d’une centaine d’ex-employés de LRDI qui ont choisi de l’appuyer dans cette relance. «Lynn Albert avait une équipe merveilleuse, affirme l’homme d’affaires. Il y a d’anciens employés qui se sont trouvés des emplois ailleurs et c’est normal, parce qu’on était dans un printemps incertain. Mais la grande majorité sont toujours là et tout le monde, incluant l’équipe de Poissons Frais des Îles, a mis doublement l’épaule à la roue et a réalisé un tour de force incroyable pour mettre les usines en état de production. C’est grandiose!»
Cela dit, l’homme d’affaires souligne qu’il a néanmoins dû confier une partie de sa production de crabe des neiges à une usine de Matane, en raison d’une main-d’œuvre locale insuffisante pour opérer les installations de Grande-Entrée à leur pleine capacité, en début de saison. «Les quantités étaient trop grandes pour les 60-70 employés locaux qui travaillent à l’usine de Grande-Entrée, dit-il. Ordinairement on y travaille à une centaine de personnes. Et tant que les travailleurs étrangers n’étaient pas arrivés, on ne pouvait pas atteindre notre rythme de croisière.»
Soixante-dix-sept de ces travailleurs d’origine mexicaine sont graduellement arrivés dans l’archipel entre les 6 et 8 mai. Environ les deux-tiers sont affectés à l’usine de homard de Gros-Cap, tandis que l’autre tiers est allé prêter main forte au traitement du crabe.
ALLÉGANCE DES PÊCHEURS
La nouvelle entreprise de Christian Vigneau et fils compte sur les approvisionnements de crabe des neiges d’une vingtaine de détenteurs de permis de pêche côtière, tant de l’archipel que de la Gaspésie, de même que sur les débarquements provenant des allocations allouées aux associations de pêcheurs de homard. Elle a également recruté une trentaine de homardiers rattachés à LRDI l’an dernier, et qui avaient adhéré à la nouvelle Coopérative des pêcheurs des Îles dans l’espoir de se porter acquéreur de cette dernière.
D’ailleurs, auprès de ceux qui sont encore ébranlés par la perte d’un total de 3,7 millions $ dans la faillite de l’entreprise ayant appartenu à Lynn Albert, et qui veulent des garanties qui les préserveront de toute nouvelle déception, l’industriel de 47 ans se fait rassurant. «Je n’en suis pas à ma première année en affaires et tous mes pêcheurs ont été payés l’année dernière, fait-il valoir. On ne s’avancerait pas dans une histoire comme ça sans savoir si on peut les payer ou non. Toutes les caméras sont visées sur nous autres. Alors encore une fois, on n’a pas décidé de prendre la relève de La Renaissance sur un coup de tête. C’est un investissement qui a été réfléchi longtemps d’avance, une opportunité d’affaires qui a été bien calculée.»
De son côté, la nouvelle Coopérative des pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine est là pour rester, selon ce que rapporte son président Olivier Renaud et ce, bien que chacun de ses 46 membres soient libres de livrer leurs prises où bon leur semble. La jeune organisation a d’ailleurs logé une demande de permis d’acquéreur auprès du MAPAQ, à la fin mars, afin de s’inscrire à titre de septième acheteur à la convention de mise en marché du homard. Elle n’entrevoit toutefois pas débuter ses activités avant l’an prochain.
«On a une équipe très compétente pour la mise en marché et donc à ce niveau-là, on n’a pas d’inquiétudes, souligne M. Renaud. On a des démarches sur la table pour se doter d’un vivier mais il faut avoir le droit d’opérer légalement avant de monter un projet. C’est la première étape qu’on suit présentement et on est conscients que le délai est très restreint. Malgré tout, notre demande reste pertinente bien au-delà de la saison 2023», conclut-il.
DÉPART EN LION
Par ailleurs, les débarquements de crabe des neiges de ce début de saison étaient si importants – de 400 à 700 livres par cage selon les témoignages – que même l’usine Fruits de Mer Madeleine a dû en détourner vers l’Île-du-Prince-Édouard. «Ça part en lion!, a commenté le capitaine du SANBRENDOR et président de l’entreprise de L’Étang-du-Nord, Eudore Aucoin. Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu ça. Pour désengorger l’usine et pour permettre aux bateaux de profiter de la prime, comme on dit – quand il y a le plus de crabe sur le fond – on a une entente avec quelqu’un à Souris, où on livre de temps en temps.»
Cependant, en ce qui concerne le prix d’exportation sur le marché américain, M. Aucoin note qu’il avait encore fléchi dès les premiers jours de la saison. Les sections de crabe de cinq à huit onces ne valaient plus que 4,75 US$/lb, alors qu’elles se transigeaient entre 11 US$/lb et 12 US$/lb à pareille date l’an dernier. Les plus grosses sections de 10-12 onces ont même été réduites au prix de la catégorie intermédiaire des 8-10 onces. «Le 10-12 ne sort pas, relève le pêcheur-industriel. Il y a beaucoup de crabe qui rentre sur le marché. Le 2022 est encore là, en grande partie, et le 2023 rentre en grandes quantités. Ça fait que, c’est ça. Le prix est déprimé, ça ne change pas.»
Rappelons que les transformateurs du crabe du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse se sont entendus, à la fin mars, sur un prix à quai provisoire de 2,25 $-2,50 $/lb, selon que les prises soient conservées dans une cale à glace ou une cale à eau à bord des navires de pêche, avant leur débarquement. Ce prix provisoire sera ajusté à la hausse en fin de saison, si les conditions de marché le permettent et selon la capacité de chacun des acheteurs. Après l’effondrement du marché du crabe en 2022, ces derniers veulent minimiser les risques d’une seconde année d’opération déficitaire.
TRANSFORMATION – pages 12-13 – Volume 36,2 Avril-Mai 2023