Pêches et Océans Canada a, une fois de plus, ignoré l’appel de l’industrie pour une levée du moratoire sur le sébaste du golfe du Saint-Laurent. Le plan de gestion 2016-2017 maintient le statu quo d’une allocation de 2 000 tonnes pour la pêche indicatrice, alors que les pêcheurs et les transformateurs réclamaient une pêche commerciale minimale de 5 000 tonnes.
En fait, selon la dernière évaluation scientifique, la cohorte 2011 sur laquelle sont fondés les espoirs de reprise est égale, voire même supérieure à celle de 1980 qui supporte la pêcherie depuis plus de 30 ans. Cependant, le capitaine du Cap Adèle et président de la Fédération des pêcheurs semi-hauturiers du Québec, Marcel Cormier, admet qu’une réouverture hâtive de la pêcherie sous moratoire depuis 1994 pourrait être contre-productive. «Le poisson n’est pas encore mature pour la pêche, dit-il. Il manque une classe d’âge quelque part. À partir du poisson, on va dire, de quatre, cinq pouces, à aller à un poisson mature pour le commerce à neuf pouces, il en manque un «boutte».»
D’ailleurs, les équipages madelinots du Jean-Mathieu et du Cap Adèle n’ont livré à quai qu’un cumul de 26 000 livres de sébaste en six jours de pêche, à la fin juin. Selon l’estimation du capitaine Cormier, les petits poissons inférieurs à la taille commerciale de 22 centimètres comptaient pour 65% à 70% de ses prises par coup de chalut. «Faut encore donner la chance, je pense, une couple d’années; ça va venir à se rétablir. Parce que – ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi – il y a du petit poisson en masse. Il n’y a pas de problème avec ça. Il y a du petit poisson en quantité effarante.»
PRESSÉS MALGRÉ TOUT
Pour sa part, le président de Madelipêche, Paul Delaney, n’est pas surpris lui non plus de la décision du ministère des Pêches et des Océans de repousser encore la levée du moratoire sur le sébaste, malgré les indices positifs de la reconstruction du stock. «Le délai était trop court, concède-t-il, entre la plus récente demande de l’industrie formulée en mars, et le début de la saison de pêche 2016. On ne peut pas rouvrir la pêche en claquant des doigts.» M. Delaney, dont l’entreprise détient près de 30% du quota traditionnel de poisson rouge dans le golfe, prévoit néanmoins que l’industrie exercera des pressions accrues cet automne, pour une reprise à court terme.
À ce propos, le capitaine du Jean-Mathieu de Grande-Entrée, Denis Éloquin, et Allen Cotton, capitaine du Sol-Ian de Rivière-au-Renard, confirment leur empressement à reprendre la pêche commerciale au sébaste après 22 ans d’attente. Ils rejettent l’appel à la prudence des biologistes du MPO, selon qui il vaut mieux attendre que les poissons nés en 2011 atteignent la taille commerciale voire même la maturité sexuelle. Selon leurs estimations, 50% de ces individus de cinq ans atteindront les 22 centimètres réglementaires en 2018 et seront en âge de se reproduire deux ans plus tard. D’ici là, les biologistes recommandent d’en éviter les prises accidentelles pour maximiser leurs chances de survie.
«C’est des histoires pour faire peur, affirme Denis Éloquin. Si tu pêches, tu ne peux pas te lancer dans le petit poisson, c’est impossible. Tu peux faire un mauvais coup, mais t’en feras pas cinq. On est assez bien équipés aujourd’hui pour savoir si ç’a d’l’allure ou pas quand on met le chalut à la mer.»
Allen Cotton assure de son côté qu’il n’a pas eu de difficulté à capturer un total de près de 150 000 livres de poisson rouge en trois voyages de pêche cet été. «La cohorte de 2011 va être pêchable [sic] à moitié en 2018. Il va y avoir les cohortes de 2012, 2013, 2014; du petit poisson il va toujours y en avoir. C’est naturel, hein? Il faut qu’il y en ait du petit», fait-il valoir.
Cela dit, Allen Cotton croit que la reprise du stock de sébaste du Golfe a un effet sur les débarquements de crevette, en Gaspésie. La production de crevette de l’entreprise Marinard de Rivière-au-Renard était notamment en baisse de 35% à la mi-juillet, par rapport à la même période de 2015, selon ce que nous confirme son président-directeur général, Pascal Noël. Ce dernier préfère toutefois attendre les données scientifiques du prochain comité consultatif de gestion, en février 2017, avant de se prononcer sur un possible lien avec la prédation par les poissons de fond. Il admet néanmoins que c’est la première fois en 20 ans que sa saison de production de crevette est si ralentie.
Enfin, notons que chez les Pêcheries Gaspésiennes, où le capitaine du Sol-Ian livre son sébaste, on compte sur une équipe d’une douzaine de fileteurs capables de traiter 30 000 livres de sébaste par jour. Ces travailleurs spécialisés qui se font très rares à cause des moratoires sur la morue et le sébaste ont en moyenne 55 ans, précise le directeur de l’entreprise, Luc Reeves. «Idéalement, avec de plus gros volumes, ça nous prendrait deux équipes de 15 fileteurs chacune, dit-il; une pour le jour et l’autre pour la nuit.» Aussi, l’industriel reconnaît qu’une mécanisation de ses équipements sera justifiée si la reprise de la pêche commerciale devait être aussi importante qu’anticipée.
Réf.: GESTION – page 5 – Volume 29,4 – Aout – Septembre 2016