Sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité depuis le 19 août dernier, LA Renaissance des Îles (LRDI) a obtenu un troisième report de délai, jusqu’au lundi 16 janvier 2023, pour présenter une proposition concordataire à ses plus de 360 créanciers ordinaires. Le juge Bernard Tremblay, de la chambre commerciale de la Cour supérieure, a donné son accord à la requête de l’entreprise, le vendredi 2 décembre, en l’absence de contestation. Le juge a rendu sa décision sur le banc, au terme d’une demi-journée d’audience tenue au Palais de justice Havre-Aubert.
Le syndic José Roberge, qui représente LRDI, a su faire la démonstration que ce nouveau délai de 45 jours permettra entre autres de payer le solde de 3 M$ dû au premier créancier garanti au dossier, la Banque Royale du Canada (RBC), d’ici la mi-janvier. Cela sera rendu possible par la perception prochaine de 5 M$ en comptes à recevoir.
La RBC, représentée par visioconférence par l’avocat Daniel Séguin, a aussi confirmé que trois séances d’interrogatoire tenues ces dernières semaines avec le syndic et la présidente-directrice générale et unique actionnaire de LRDI, Lynn Albert, ont permis de dissiper ses craintes face à des allégations de virements suspects et de détournement d’inventaire. «Nous n’avons pas de réserve à supporter la prorogation, a déclaré Me Séguin. Et, selon toute probabilité, la banque ne sera plus dans le portrait le 16 janvier.»
Ces allégations dissipées paveraient la voie à la conclusion d’un partenariat financier avec Apéri-Fruits et Meridian, les deux principaux clients québécois et américain de LRDI intéressés à soutenir sa relance, selon ce que rapporte le syndic de la firme Roy, Métivier Roberge. «Quand on va voir des investisseurs et qu’il y a des allégations de malversations, ça regarde mal», dit-il.
Apéri-Fruits, qui appartient notamment à l’homme d’affaires Alain Lord Mounir, le demi-frère de Mme Albert, approvisionne de grandes chaines d’alimentation et de commerce au détail du Québec. José Roberge espère que leur partenariat saura à son tour convaincre les gouvernements fédéral et provincial de participer à la relance, à défaut de quoi LRDI n’aura d’autre choix que de liquider ses actifs de 30 M$ dès le mois de janvier. «Mais ce n’est pas une option envisagée, a-t-il souligné devant le tribunal. Et LA Renaissance des Îles ne veut pas de prêts gouvernementaux. Elle veut des garanties de prêt afin de rassurer les investisseurs. C’est le nerf de la guerre.»
PLAN DE RELANCE
Si tout va bien, donc, LRDI présenterait sa proposition de relance le 16 janvier et convoquerait une assemblée des créanciers pour le jeudi 9 février, afin de la faire approuver. Cette proposition prévoirait le paiement intégral des sommes dues aux pêcheurs, totalisant 3,5 M$, dont 2,4 M$ dus à 66 membres de l’Office des pêcheurs de homard des Îles, et ce, afin de s’assurer qu’ils restent fidèles à l’entreprise. «Je sais que j’ai la confiance des pêcheurs, affirme Lynn Albert. Mais j’ai tellement été en interrogatoire – ça fait près de quatre mois que je fais constamment face à des allégations de fraude – que je n’ai pas le temps de parler aux gens. On travaille toujours [à se défendre]!»
À ce propos, José Roberge souligne qu’une analyse de la firme comptable KPMG réalisée pour le compte d’Investissement Québec, conclut que c’est la conjoncture économique, qui a surtout provoqué l’effondrement du prix du crabe sur les marchés, de même que des délais de production en usine en raison d’un problème d’approvisionnement en cartons et plastiques d’emballage, qui sont à l’origine des difficultés financières de LA Renaissance des Îles. «Il ne faut pas oublier que c’est une entreprise qui faisait deux millions de profit par année, fait valoir le syndic. Et on a fait un tableau très clair de ce qui s’est passé avec les sommes du 2 mai jusqu’au 19 août – les entrées et sorties de fonds – et il n’y a pas d’appropriation de fonds par Mme Albert. Ce n’est pas elle qui est partie avec l’argent.»
Les autres créanciers ordinaires se verraient offrir 70 cents pour chaque dollar dû, c’est-à-dire un total de 3 M$ sur une dette initiale de 4,3 M$. José Roberge prévient qu’une faillite réduirait à zéro les versements aux pêcheurs et autres fournisseurs de LRDI, tout comme les espoirs de relance de ses activités en 2023, puisque les permis de transformation de l’entreprise ne sont pas transférables.
Le syndic nous apprend aussi qu’en cas de faillite de LRDI, l’usine de Grande-Entrée passerait aux mains du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) du Québec qui est propriétaire du terrain. C’est que la cession de ce terrain à LRDI lors de sa reprise de la faillite de Cap sur Mer en 2014, était conditionnelle à ce que le lot adjacent, offert en échange, soit décontaminé; ce qui n’a jamais été fait. Ce lot adjacent a été contaminé par l’incendie qui a rasé l’usine précédente en 2007, et qui fut reconstruite sur le terrain du MRNF au coût de 22 M$ en 2011.
PLAN CONJOINT DU HOMARD
Notons qu’en 2022, LRDI a procuré de l’emploi à 300 travailleurs dont les deux tiers sont d’origine Mexicaine. Une somme de 104 000 $ est déjà dépensée pour assurer leur retour l’an prochain. De plus, l’entreprise participe activement aux négociations de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP) et de l’Office des pêcheurs de homard en vue de mettre à jour la convention de mise en marché pour la saison de pêche 2023.
Selon le directeur général de l’AQIP, Jean-Paul Gagné, l’un des principaux points de discussion porte sur la caution que doivent verser les six acheteurs inscrits au plan conjoint auprès de l’Office, afin de protéger les pêcheurs contre un défaut de paiement. C’est que cette caution n’est actuellement que de 100 000 $ par acheteur alors que le préjudice dû aux déboires de LRDI se compte par millions. «Cent mille dollars, dans le temps, c’était correct, expose M. Gagné. Mais là, c’est sûr que s’est insuffisant. Une des hypothèses à l’étude serait d’établir un bon de garanti au prorata du volume de chacun des acheteurs.»
Le président de l’Office, Rolland Turbide, se félicite d’ailleurs de ce que tous les acheteurs étaient présents pour la première ronde de négociation, qui s’est tenue dans l’archipel le mardi 29 novembre. La PDG de LA Renaissance était représentée par le syndic Éric Métivier. «On aime mieux que ça reste à six acheteurs autour de la table, commente-t-il. Parce que ça prend de la compétition. Si ça tombe à cinq, on perdrait un compétiteur et ça peut faire baisser les prix et chambarder la convention. On n’a pas intérêt à ce que LA Renaissance parte.»
TRANSFORMATION – page 33 – Volume 35,5 – Décembre 2022 – Janvier 2023