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Octroi éventuel de permis de homard du côté nord de la Gaspésie : un partage à déterminer

L’annonce du 6 juin par la ministre des Pêches et des Océans, Diane Lebouthillier, à l’effet d’entreprendre une vaste évaluation du stock de homard du côté nord de la Gaspésie et dans l’est du Bas-Saint-Laurent crée beaucoup d’attentes. Le milieu de la capture prend toutefois conscience que ce crustacé ne sauvera pas tout le monde.

Cette annonce vise à «évaluer le potentiel de croissance de la pêche commerciale du homard dans certains secteurs jusqu’à maintenant sous-exploités du Québec et ce, toujours dans le but de soutenir ces économies locales».

L’exercice reste à préparer. Cinq semaines après l’annonce, les équipes du ministère en sont toujours à l’élaboration d’un plan d’acquisition de données pour la zone de pêche 19. Cette zone couvre non seulement le côté nord de la Gaspésie, mais tout le Bas-Saint-Laurent. Théoriquement, la zone 19 s’étend jusqu’à l’île d’Orléans.

DES GROUPES DE PÊCHEURS DÉJÀ CIBLÉS

La remarquable ascension des volumes de capture de homard au cours des dernières années au Québec donne donc de l’espoir à des pêcheurs de différentes flottilles, notamment les crevettiers, les turbotiers, certains crabiers et des pêcheurs autochtones.

Claudio Bernatchez, directeur de l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie, confirme qu’il y a des attentes des crevettiers en rapport avec les éventuels permis de homard.

«En fait, le homard entretient un espoir chez beaucoup de pêcheurs venant de plusieurs flottilles. Il y a les crevettiers, mais il y a les pêcheurs de crabe de la zone 12A, qui disposent de très petites quantités, et ceux de la zone 12B, en moratoire, et aussi les pêcheurs qui ont le turbot comme revenu principal. L’attrait pour le homard est rendu à un point ridicule où des gens retraités de la pêche veulent obtenir des permis», aborde M. Bernatchez.

Sur les 42 permis de capture de crevette rattachés au Québec, six appartiennent aux Premières Nations et les 36 autres permis sont détenus par 30 personnes. Claudio Bernatchez estime que le tiers de ces 30 personnes ont trouvé une solution de rechange qui leur permet de s’en tirer correctement.

«Un autre tiers se retirera des pêches sans pouvoir vendre son permis. Le dernier tiers est carrément en situation potentielle de faillite. On n’a pas d’information à l’effet que les prochaines émissions de permis de homard dans cette zone-là (la zone 19, du côté nord de la Gaspésie) vont avoir un effet positif pour les crevettiers. On espère que les plus précaires pourront obtenir un accès au homard», souligne-t-il.

LA ZONE 17 À ANTICOSTI : UNE AUTRE ALTERNATIVE ?

Certains crevettiers pourraient-ils trouver une voie de salut en obtenant d’éventuels permis de homard à l’île d’Anticosti, où un déblocage pourrait survenir, considérant que le potentiel de ses côtes excède les permis qui y sont déjà accordés, c’est-à-dire un permis dans la zone 17A et 15 dans 17B. Il est admis que les bateaux de pêche au homard à Anticosti sont plus imposants que les homardiers sillonnant les côtes gaspésiennes.

«Ça prend un bateau plus gros à Anticosti, mais pas un gros bateau de type crevettier, avec les gréements. Ça prend un homardier de taille plus grande que ceux de la baie des Chaleurs, mais ça reste un homardier. Ça peut aussi être un palangrier, comme on le voit à l’île. Il faudra de nouveaux bateaux pour les crevettiers qui voudront pêcher le homard à Anticosti», signale M. Bernatchez

«Il faut se souvenir que l’île d’Anticosti est gérée par la Côte-Nord et qu’elle est considérée comme un territoire un peu neutre entre la Côte-Nord, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. Il y a 250 kilomètres au sud de l’île», note-t-il aussi.

Claudio Bernatchez est parfaitement conscient qu’il ne sera pas facile pour les crevettiers d’obtenir des permis dans la zone 19.

«Rien n’est dans la poche. Les nouvelles émissions suscitent énormément d’inquiétudes chez les détenteurs de permis actuels de la zone 19. On prône de cibler les pêcheurs en difficulté, peu importe la flottille et au lieu de donner un plein permis à ces pêcheurs, de donner un certain nombre de casiers à deux pêcheurs, s’ils peuvent faire un revenu d’appoint suffisant. Ça ne prend pas 150 000 livres de homard par année pour bien vivre quand c’est une pêche d’appoint», analyse-t-il.

L’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie a développé une orientation bien arrêtée pour ces permis d’avenir.

«On propose que toute nouvelle émission de permis ne soit pas permanente pour éviter des crises venant du prix de ces permis. Quand les pêcheurs se retirent, ils doivent retourner les permis au ministère (des Pêches et des Océans) et que ces permis reviennent à une autre cohorte de pêcheurs sans la contrainte de l’endettement liée à la dette du permis. Deux permis de homard ont été achetés entre 9 et 10 M$ récemment. Ça va prendre de bonnes pêches pour payer cette dette», conclut-il.

Claudio Bernatchez sait bien qu’il ne sera pas facile de faire accepter par ces homardiers de la zone 19 le principe d’intercaler de nouveaux joueurs n’ayant pas payé très cher leur permis. Il rappelle toutefois un autre principe, celui selon lequel les ressources halieutiques doivent servir l’intérêt public.

L’INTÉRÊT MANIFESTÉ PAR DES PÊCHEURS DE TURBOT

Jean-René Boucher, directeur du Regroupement des pêcheurs professionnels du nord de la Gaspésie, une association qui réunit principalement des pêcheurs de turbot, abonde dans le même sens que Claudio Bernatchez en ce qui a trait à la taille des éventuels permis de homard et à la non-transférabilité des permis lors de la retraite de leurs détenteurs.

«Les pêcheurs voudraient qu’il y ait plus de permis, et moins de casiers par permis, afin de faire une pêche d’appoint, qui jouerait le rôle d’une compensation de revenus pour la baisse drastique des quotas et des prises dans le turbot (…) On voit aussi le fort prix des permis dans la zone 19. On souhaite donc qu’il n’y ait pas de réassignation d’un nouveau permis par sa vente à un autre individu pour éviter la surenchère», note M. Boucher.

Son groupe a tenu de bonnes discussions sur l’endettement par rapport à un permis presque gratuit, et Jean-René Boucher souhaite ardemment que ces discussions s’étendent en prévision de l’allocation de futurs permis de homard.

M. Boucher rappelle qu’il n’y a que huit détenteurs de permis dans la partie de la zone 19 qui est exploitée en vertu de permis commerciaux de homard, de Rivière-à-Claude à Cap-Gaspé, et quatre permis exploratoires entre Rivière-à-Claude et la rivière Tartigou, entre Saint-Ulric et Baie-des-Sables.

«De Rivière-à-Claude à Cap Gaspé, il y a de la place pour davantage de permis. Huit permis, c’est peu pour un grand territoire. Il y a beaucoup de pêcheurs de turbot historiquement dans ce secteur, beaucoup de pêcheurs qui voient cette pêche comme une bouée de sauvetage. Peu d’entre eux ont du crabe et du flétan, mais quelqu’un qui a une quantité raisonnable de crabe et de flétan, et qui n’arrive pas, pourrait compléter avec une certaine quantité de homard», observe M. Boucher.

Il souhaite que ses membres soient consultés tout au long du processus d’évaluation du homard dans le nord de la Gaspésie.

«On croit comprendre que pour la collecte de données, les gens de Pêches et Océans Canada trouvent que s’il y a moins de bateaux, ce sera plus facile. Ce n’est pas certain», signale M. Boucher d’entrée de jeu.

Il précise en outre qu’il n’a pas statué sur le nombre souhaitable de membres de son regroupement qui pourraient bénéficier éventuellement d’un permis de homard. Il a toutefois en tête une idée de la forme qu’un déploiement de nouveaux permis pourrait prendre.

«On a une vague idée de combien de permis on voudrait voir émettre. On aimerait participer à la collecte de données avec les sciences. On espère un mode écoute (au bureau de Pêches et Océans Canada) à Gaspé,» conclut Jean-René Boucher.

QU’EN DISENT LES HOMARDIERS ?

Au Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie, qui représente les homardiers de la péninsule, la prudence est de mise, en se basant sur l’émission des 25 nouveaux permis annoncés en mai dernier par la ministre Diane Lebouthillier dans la zone 18 sur la Côte-Nord.

«Pour la zone 19A1 où il n’y a pas de permis commerciaux, mais des permis exploratoires (c’est la zone entre la rivière Tartigou et Rivière-à-Claude), ce qu’on dit, c’est qu’il y a des possibilités, mais il faut mettre des bémols. Si on se sert de l’exemple des 25 permis de la Côte-Nord, en 2024, la moitié des détenteurs n’ont pas pêché par manque de transformateurs», note O’Neil Cloutier.

«De plus, j’entends qu’il y a des pertes de homard importantes par manque de structure de réception dans 19A1. Il n’y a plus d’usine à Matane, par exemple. On l’a soulevé, ce point, à Pêches et Océans Canada. On attend toujours la consultation de la ministre», ajoute M. Cloutier en référence à l’engagement de Diane Lebouthillier pris lors de l’annonce du    6 juin.

Il sert une autre mise en garde, en se basant sur les grands volumes débarqués sur les marchés de l’est du Canada en 2024.

«Regardons l’impact que ça peut avoir. Les surplus de volume ne contribuent qu’à diminuer le prix. Le MPO veut-il émettre les permis pour le simple principe d’émettre les permis ou est-ce qu’il veut contribuer à baisser les prix ?» se demande O’Neil Cloutier.

«Je suis à ma 43ème année de pêche dans le homard. On a commencé à faire un peu d’argent en 2016. J’ai donc pêché 36 ans pour des grenailles. Je devais avoir deux emplois. Est-ce qu’on peut contribuer à aider quelques pêcheurs avec du homard? Je ne sais pas, mais on ne sauvera pas Rivière-au-Renard (le secteur de la crevette) avec ça. Je ne veux pas qu’on nous utilise», dit-il.

DÉVELOPPEMENT – page 10 – Volume 37,3 Juin-Juillet-Août 2024

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Gilles Gagné
Gilles Gagné, né à Matane, le 26 mars 1960. J'ai fait mes études universitaires à Ottawa où j'ai obtenu un baccalauréat avec spécialisation en économie et concentration en politique. À l'occasion d'une offre d'emploi d'été en 1983, j'ai travaillé pour Pêches et Océans Canada comme observateur sur deux bateaux basés à Newport, deux morutiers de 65 pieds. Le programme visait l'amélioration des conditions d'entreposage des produits marins dans les cales des bateaux et de leur traitement à l'usine. Cet emploi m'a ouvert des horizons qui me servent encore tous les jours aujourd'hui. En 1989, après avoir travaillé en tourisme et dans l'édition maritime à Québec, je suis revenu vivre en région côtière et rurale, d'abord comme journaliste à l'Acadie nouvelle à Campbellton. C'est à cet endroit que j'ai rédigé mes premiers textes pour Pêche Impact, à l'été 1992. Je connaissais déjà ce journal que je lisais depuis sa fondation. En octobre 1993, j'ai déménagé à Carleton, pour travailler à temps presque complet comme pigiste pour le Soleil. J'ai, du même coup, intensifié mes participations à Pêche Impact. Je travaille également en anglais, depuis près de 15 ans, pour l'hebdomadaire anglophone The Gaspé SPEC et je rédige l'éditorial du journal Graffici depuis 2007.
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