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Pêche à la crevette : bonne pour les pêcheurs, inquiétante pour les usines

Même si les totaux autorisés des captures (TACS) de crevettes ont baissé de 15 à 74 % selon les zones de pêche à cause de la prédation du petit crustacé par le sébaste, les pêcheurs de crevette réussiraient quand même à se tirer d’affaires grâce au prix qu’ils reçoivent au débarquement et à l’abondance de la ressource, qui est concentrée dans la zone Anticosti. En revanche, la diminution des TACS fait très mal aux usines de transformation.

Le 6 avril, les membres de l’Office des pêcheurs de crevettes du Grand Gaspé se sont prononcés en faveur d’une offre des usines pour fixer les prix à 1,68 $ la livre pour la grosse crevette, à 1,35 $ pour la moyenne et à 1,14 $ pour la petite. Il s’agit de prix record pour la Gaspésie; le précédent record datait de 2016. L’an dernier, les prix négociés à la livre étaient de 1,19 $ pour la grosse, de 0,99 $ pour la moyenne et de 0,85 $ pour la petite. «Ce sont les meilleurs prix qui n’ont jamais été payés au Québec», se réjouit le directeur de l’Office des pêcheurs de crevettes du Grand Gaspé (OPCGG), Patrice Element.

Cette année, les captures autorisées dans le golfe ont baissé de 35 %, pour se fixer à 17 337 tonnes. La baisse encaissée par chacun des capitaines dépend de ses zones de pêche. Les TAC dans les deux zones les plus fréquentées par les crevettiers de Rivière-au-Renard, soit Anticosti et Sept-Îles, ont respectivement été fixés à la baisse de 15 % et de 60 %, pour se chiffrer à 6 871 tonnes et à 4 267 tonnes. Pour la zone de l’Estuaire, la baisse draconienne de 74 % n’autorise que 239 tonnes, pendant que la réduction de la zone Esquiman est établie à 15 %.

PÊCHEURS SATISFAITS

«Ça va très bien», s’exclame Dan Dupuis, de Rivière-au-Renard. L’homme, qui est capitaine du navire ÉMILIEN D. avec son frère Francis, est satisfait des prix qu’il reçoit au débarquement. Comme la crevette pêchée par son équipage est cuite à bord, le prix qu’il reçoit à la livre est confidentiel. Jocelyn Beauchamp, de Newport, ne se plaint pas lui non plus, du prix reçu au débarquement. «Ça va selon la grosseur, mais le prix est bon», estime le capitaine propriétaire du JLSR, qui a concentré ses activités de pêche dans Anticosti. Le prix moyen qu’il reçoit, même s’il peut varier d’un voyage à l’autre, est de 1,40 $ la livre. «C’est dans les bonnes années, croit monsieur Beauchamp. Les prix sont plus élevés que l’année passée. Mais, la grosseur est moyenne. À comparer à il y a quatre ou cinq ans, la grosseur de la crevette a diminué.»

Selon le directeur de l’OPCGG, ces prix sont du jamais-vu au Québec. «Même si la quantité de crevettes est beaucoup moindre que les autres années, la rentabilité est quand même bonne, estime Patrice Element.    Personne ne va faire faillite, cette année.»

Alors que plusieurs appréhendaient que la saison 2018 puisse être moins fructueuse que la précédente, il appert qu’elle soit somme toute meilleure. «Dans la zone Sept-Îles, qui était historiquement là où on avait la plus grosse crevette dans le golfe, cette année, la crevette est un peu plus petite que les autres années, nuance avec prudence monsieur Element, puisqu’il disposait de peu de données. Par contre, dans Anticosti, c’est le contraire. Donc, comme les taux de captures sont bons dans Anticosti, la rentabilité est meilleure. Les gars partent pour Anticosti pendant une semaine et ils reviennent avec 60 000 livres. Quand ils partent pour Sept-Îles, ils reviennent avec   20 000 à 25 000 livres. Dans Esquiman et Estuaire, ce que j’entends, c’est que les taux de capture sont bons et que la crevette est belle.»

Même s’il a débuté ses activités un peu plus tard à cause de réparations à faire sur son bateau, Dan Dupuis et ses hommes ont remonté 400 000 livres de crevettes. «Pour si peu de voyages, c’est très bon», estime le capitaine. Jocelyn Beauchamp; il a capturé 200 000 livres. «C’est bon, même si le printemps a été désastreux pour moi», note l’ancien morutier, dont le quota est d’environ 300 000 livres de crevettes. «On arrive à faire nos frais, mais il ne faudrait pas qu’il nous arrive une autre baisse en 2019, parce que la rentabilité ne sera pas atteignable», indique-t-il.

Le copropriétaire du ÉMILIEN D. confirme lui aussi que c’est la zone Anticosti qui rapporte les meilleurs rendements. «C’est meilleur que l’année passée, indique-t-il. Ce qu’on a vu à Anticosti, c’est que c’est la zone la moins touchée par le poisson rouge. Est-ce que ça a eu un impact? C’est dur à dire.»

Même son de cloche pour Jocelyn Beauchamp: «Dans la zone Anticosti, c’est mieux que l’année passée, mais dans la zone Sept-Îles, ce printemps, ça n’a pas été fort.» Selon le pêcheur, la présence du sébaste a des conséquences sur les captures de crevette. «Depuis que les biologistes annoncent une grosse quantité de biomasse de sébastes dans le golfe, on s’est aperçu que la crevette a diminué», observe-t-il.

De l’avis de Dan Dupuis, la pêche a également été bonne dans Esquiman pour quelques pêcheurs de Terre-Neuve, du Québec et du Nouveau-Brunswick. «Même les secteurs où il y a eu les plus grosses baisses, les captures ont été meilleures que l’année passée pour les pêcheurs du Québec», évalue-t-il.

Selon les données cumulées par Pêches et Océans au 22 juin, il s’est pêché 5,5 millions de livres de crevettes dans la zone Anticosti, 3,3 millions dans la zone Sept-Îles et 353 000 livres dans les zones Esquiman et Estuaire, pour des valeurs respectives estimées à 7,5 millions $, 4,6 millions $ et 518 000 $.

Pour monsieur Dupuis, la diminution des TACS a inévitablement des répercussions sur son entreprise. «Ça a des impacts pour tout le monde, déplore-t-il. C’est toute l’industrie de la crevette qui est touchée.» Le propriétaire du JLSR corrobore: «C’est un gros impact. Le revenu brut de 2018, comparé à l’année passée, va être un peu plus bas à cause de la baisse des quotas, même si les prix ont augmenté.»

Étant donné que le ÉMILIEN D. a été mis à l’eau un peu plus tard, le capitaine s’attend à terminer sa saison un peu plus tard. Mais, il ne croit pas que ce sera le cas de l’ensemble des crevettiers, à cause de la baisse de leurs quotas. «En ayant coupé de 60 % dans Sept-Îles, les gars en ont moins à prendre», indique-t-il. Jocelyn Beauchamp a le même raisonnement: «D’après moi, ça va aller moins loin à l’automne à cause de la coupure dans Sept-Îles et Estuaire.»

«Parce que les TAC ont été revus à la baisse, on va finir plus de bonne heure confirme Patrice Element. Il y a moins de crevettes à pêcher. Donc, on va la pêcher plus vite!»

LA DIMINUTION DE LA RESSOURCE EXPLIQUÉE

Pour le biologiste de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), Hugo Bourdages, trois facteurs expliqueraient la diminution des stocks de crevettes: le réchauffement des eaux profondes où vit la crevette, l’augmentation de l’abondance du sébaste et le recrutement du petit crustacé, qui est plus faible que par les années précédentes.

Les scientifiques ne peuvent toutefois pas affirmer qu’une hypothèse a plus de prévalence qu’une autre. «Il est trop tôt pour ça», estime monsieur Bourdages. Selon le chercheur, une telle abondance du sébaste n’avait pas été vue depuis trente ans.

En août, une équipe de scientifiques du Ministère partira en mer pour son relevé   annuel. Autour de la fin janvier, les résultats devraient être connus. «On va aller échantillonner le nord du golfe du Saint-Laurent, indique Hugo Bourdages. L’automne prochain, on va avoir un nouvel état de la situation. En fonction de ces nouveaux relevés-là, l’hiver prochain, on va faire, des nouvelles recommandations concernant les prélèvements pour la prochaine saison.»

Pour sa part, le directeur de l’Office des pêcheurs de crevettes estime que la diminution de la biomasse de crevettes s’explique par la présence de sébastes ainsi que par les changements climatiques et des courants. «Quel est le facteur le plus important?, s’interroge monsieur Element. Ça fait plusieurs années que les pêcheurs maintiennent que c’est le sébaste. Considérant que la biomasse de sébastes est à un niveau presque jamais vu et qu’elle va continuer à croître, on s’inquiète de la baisse de la crevette. Mais, cette année, ça a l’air pas si pire.»

C’est ce que constate aussi le directeur de la gestion de la ressource et des pêches autochtones à Pêches et Océans Canada, Denis Gros-Louis. «Les taux de rendement sont similaires à ceux de l’année passée, a-t-il observé. On a présumé que l’impact de la prédation avait été plus grand dans le coin de Sept-Îles. L’effet de la prédation qu’on anticipait n’aurait pas été aussi grand que ce qui avait été prévu, mais c’est anecdotique; ce n’est aucunement confirmé par notre équipe de sciences. C’est uniquement basé sur des visites sur des quais, où les pêcheurs m’ont dit que ce n’était pas si pire. Après, on a regardé les débarquements et la baisse anticipée n’est pas aussi importante que prévue. L’effet à court terme, pour 2018, ne semblerait pas aussi dramatique que prévu.»

«Avec la présence accrue du sébaste, il y avait pas mal d’inquiétude chez certains pêcheurs à l’effet que ce serait pire que l’an passé, mais ce n’est pas le cas», confirme aussi le directeur de l’OPCGG.

SITUATION DIFFICILE POUR LES TRANSFORMATEURS

Du côté des transformateurs, le discours est alarmiste. D’ailleurs, l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP) interpelle le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Laurent Lessard, afin de mettre en place une mesure visant à pallier le manque d’heures de travail des employés d’usine, considérant la diminution de la ressource disponible pour les entreprises de transformation.

«Les représentants des entreprises de transformation de crevettes du Québec demandent la formation d’un comité stratégique bipartite avec des représentants du Ministère (MAPAQ) afin d’élaborer des solutions rapides aux problèmes soulevés», indique le directeur général de l’AQIP, Jean-Paul Gagné. Selon lui, la diminution de la ressource est principalement attribuable à la présence du sébaste. À cette cause s’additionnent les allocations de crevettes livrées ou louées hors du Québec, ce qui vient amplifier le problème, selon les industriels de la pêche.

Cette situation fait en sorte que les travailleurs d’usine n’arriveront pas à se qualifier à l’assurance-emploi. «Toutes les entre- prises de transformation de crevettes du Québec sont affectées, soutient monsieur Gagné. Par conséquent, tous les employés d’usine en subissent les effets.»

Le directeur de l’usine Crustacés des Monts le confirme. «Ça va mal», lance Bertrand Langlois. Depuis le début de la saison, un seul crevettier l’approvisionne. «Je ne sais pas ce qui se passe, se désole-t-il. Pourquoi les autres bateaux ne veulent pas faire affaires avec moi?» De la quarantaine d’employés que comptait l’usine de Sainte-Anne-des-Monts, il n’y en a plus que la moitié. Comme la ressource n’est pas suffisante, les arrêts de production sont fréquents.

Le transformateur se console en sachant qu’il n’est pas le seul à vivre cette situation. «Les autres usines fonctionnent à 40 %, indique-t-il. Elles sont comme moi.» À son avis, une seule usine fonctionne bien: c’est La Crevette du Nord Atlantique de l’Anse-au-Griffon.

Monsieur Langlois fonde de l’espoir sur les bateaux du Grand Nord qui pourraient lui vendre la crevette fraîche congelée. «Si on n’a pas ça au mois d’août, les employés ne se qualifieront pas à l’assurance-emploi», dit-il.

GASPÉ-NORD – pages 10 et 11 – Volume 31,3 – Juin-Juillet-Aout 2018

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