«On est conscient de la réalité et on n’a pas le choix de vivre avec», réagit le crevettier de Grande-Vallée, Vincent Dupuis, à l’issue de la dernière mise à jour de 2024 des quatre stocks de crevettes présentée lors de la rencontre de décembre du Comité consultatif de la crevette de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent tenue à Québec. Si l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie a accepté les totaux autorisés de captures (TAC), ses membres ont cependant exprimé certaines réserves.
En vertu de l’approche de précaution en vigueur, les crevettiers ont accepté les règles de décision pour fixer les quotas des quatre zones de pêche en 2025, mais avec certaines nuances. Les TAC proposés sont de 1 425 tonnes dans Estuaire, 807 tonnes dans Sept-Îles, 885 tonnes dans Anticosti et 1 171 tonnes dans Esquiman.
«On a demandé de ne pas donner le triple dans Estuaire par rapport à l’an dernier, alors que le TAC était de 473 tonnes. On a peur qu’il y ait eu des erreurs dans les données, puisqu’elles ne sont pas toujours précises. Aussi, plutôt que de baisser le quota dans Esquiman, on a demandé le statuquo avec 2024, qui était de 1 757 tonnes. On n’a pas eu beaucoup de relevés dans Esquiman. On pense qu’il y a, là aussi, une marge d’erreur.»
Sur 31 crevettiers, 14 ont obtenu un permis de pêche exploratoire au homard dans Gaspé-Nord et Anticosti. «Ce sont des demi-permis parce qu’au nord de la Gaspésie, ils autorisent 100 trappes, alors qu’un pêcheur traditionnel ou autochtone a droit à 250 trappes, explique M. Dupuis. En trois mois, il va prendre beaucoup plus de homards que le gars qui va pêcher avec 100 trappes! Ça va être moins productif. Mais, on n’a pas le choix parce que, de toute façon, il faut essayer pour voir ce que ça va donner.»
À l’issue de la présentation scientifique faite par le biologiste Hugo Bourdages de Pêches et Océans Canada, les pêcheurs demeurent très inquiets par rapport à la pêche au homard qui, de l’avis du crevettier, est loin d’être une planche de salut, d’autant qu’ils n’ont obtenu aucune aide des gouvernements.
«Tout ce qu’on a eu, ce sont des demi-permis exploratoires au homard et on n’est pas sûr de pouvoir les garder. Il y a trois phases, mais les gens s’imaginent que la deuxième phase va être l’an prochain. Mais s’il y a des problèmes, la deuxième phase risque d’être dans deux ans et la troisième phase dans trois ans. On ne sait pas non plus ce qui peut arriver avec un changement de gouvernement et avec les données. Si elles ne sont pas positives, les deux autres phases n’auront peut-être pas lieu.»
La préoccupation des crevettiers est d’autant plus justifiée qu’ils devront attendre une saison avant de connaître les résultats de cette pêche exploratoire. «On n’a aucune idée de la rentabilité de ce permis, fait savoir Vincent Dupuis. Ça risque d’être bon, mais on connaît aussi du monde qui a eu un permis exploratoire et que ça n’a pas été bon. Ça n’a même pas payé leurs investissements. Ce sont des zones sous-exploitées. Donc il n’y a aucune garantie.»
La rentabilité reste donc précaire, selon Vincent Dupuis. «C’est extrêmement dur pour nous de budgéter et de se faire une idée. Pour réduire les frais de départ, des gars veulent être deux sur un bateau. Comme ça, le risque est moins élevé.» Par conséquent, les 14 permis de pêche exploratoire au homard ne règleront pas tous les problèmes des 31 crevettiers, à son avis.
Lueur d’espoir
Malgré l’inquiétude et les appréhensions, les pêcheurs conservent tout de même une petite lueur d’espoir face au scénario qui se dessine peu à peu. «Le sébaste a commencé à se cannibaliser et il diminue, observe le pêcheur. On risque d’avoir moins de sébastes qui mangent des crevettes. L’eau a arrêté de se réchauffer. Ce n’est donc pas impossible que la crevette arrête de diminuer et que, sans voir un retour en force, elle se stabilise tranquillement, même si ce n’est pas ce que les scientifiques nous disent.»
Si les crevettiers ne peuvent s’empêcher de rêver, ils craignent néanmoins que la situation ne puisse se renverser assez rapidement pour les banques. «C’est de l’aide du gouvernement qu’on aurait besoin, martèle-t-il. On a eu des demi-permis de homard, mais ce ne sera peut-être pas suffisant pour régler nos problèmes. Donc, on ne sait pas comment les banques vont voir ça.»
Une prochaine saison peu différente ?
L’émission de permis de pêche exploratoire au homard risque, sur le plan pratico-pratique, de ne pas changer grand-chose pour les crevettiers ce printemps. L’an dernier, six ou sept d’entre eux ont pris le large, mais certains ont cessé leurs activités après une sortie. Seulement cinq ont pêché un quota de crevette qui en valait la peine.
Comme il n’y a pas de crevette pour tout le monde, M. Dupuis estime que sept crevettiers largueront les amarres cette année. Mais, il y en aura probablement moins que l’an dernier parce que, même si on double le quota dans Anticosti, ça reste quand même seulement 40 000 livres, alors qu’on en avait 200 000 ou 300 000 livres! Donc, ce n’est pas encore assez; 40 000 livres de crevette, c’est un petit voyage.»
GASPÉ-NORD – page 13 – Volume 38,1 Février-Mars-Avril 2025