La deuxième portion de la saison de pêche à la crevette, qui s’est amorcée le 1er juillet, est comparable à la précédente et à l’an dernier sur le plan des captures, c’est-à-dire plutôt bonne. Cependant, comme la crevette est plus petite dans l’ensemble et que le prix du carburant a augmenté, la rentabilité sera moindre que l’an dernier. C’est du moins ce qu’en pensent les pêcheurs de crevette interviewés par Pêche Impact.
Du côté des usines de transformation, les marchés européens sont peu preneurs et, par conséquent, les inventaires s’accumulent, selon l’Association québécoise des industriels de la pêche (AQIP).
Bien que la majorité des quotas des crevettiers gaspésiens sont atteints dans Anticosti et Sept-Îles, il n’en demeure pas moins que la crevette était aussi au rendez-vous dans les deux autres zones, soit Estuaire et Esquiman. Pour les deux crevettiers membres de l’Office des pêcheurs de crevette du Québec (OPCQ) qui pêchent dans la zone Esquiman, «il y avait une certaine abondance», de l’avis du directeur général de l’Office, Patrice Element.
CREVETTE PLUS PETITE
Selon M. Element, le crustacé rose est plus petit que l’an passé dans la zone Anticosti. Là où la crevette est plus grosse, c’est dans la zone Sept-Îles, précise-t-il. «Dans Estuaire, c’est très bon, confirme aussi Roberto Desbois. On est aussi allé dans Sept-Îles, mais c’était tranquille. Je suis allé dans Anticosti en juin et juillet, puis c’était bon; il y avait un peu plus de crevettes.» Le capitaine du YOHAN MIRJA estime toutefois que ses taux de captures ont diminué par rapport à la dernière saison. Il constate, lui aussi, que la taille de la crevette est plus petite.
Vincent Dupuis en arrive au même constat. «Dans Estuaire, c’est bon. La crevette est belle et il y en a en quantité. Dans les autres zones, la belle crevette est plus dure à prendre. Dans Sept-Îles et Anticosti, la crevette est plus petite. Esquiman aussi. On sauve nos voyages quand même. Nos quotas vont être pris, mais la moyenne va être plus petite. Dans les négociations, les prix auraient été supposés être mieux que l’année passée. Mais, ils vont être sensiblement les mêmes ou plus bas parce que la crevette est plus petite.»
En plus de devoir composer avec une crevette de petite taille, la présence du sébaste pose problème dans la zone Anticosti, ajoute le capitaine Dupuis. «Quand il y a trop de sébaste, on ne prend pas de crevette.» Le pêcheur analyse toutefois la situation avec philosophie. «Comme la crevette est plus petite, c’est bon pour le recrutement!»
CONDITIONS DE MARCHÉ EXCELLENTES POUR LES CREVETTIERS
Le 25 juin, à la demande des trois transformateurs concernés dans le cadre du plan conjoint des pêcheurs de crevette du Québec, l’OPCQ, et l’AQIP qui représente les usines gaspésiennes, se sont retrouvés pour une deuxième fois cette année en séance d’arbitrage devant la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec pour défendre leur argumentation quant aux prix à payer par les usines à compter du 1er juillet. Comme les prix au débarquement pour la deuxième portion de saison pour chacune des trois catégories de crevette sont demeurés les mêmes que ceux de la première période de pêche, «les conditions de marché sont excellentes», selon Patrice Element.
Dans une décision rendue le 15 juillet, la Régie a donné raison à l’Office des pêcheurs qui prônait le maintien des prix versés pour la première période de pêche, alors que l’AQIP proposait 1,25 $ pour la grosse crevette, 1 $ pour la moyenne et 0,90 $ pour la petite. Or, les crevettiers reçoivent 1,48 $ pour la grosse crevette, 1,15 $ pour celle de catégorie moyenne et 0,96 $ pour le crustacé de petite taille.
RENTABILITÉ MOINDRE
La taille de la crevette capturée fait évidemment une différence dans la rentabilité des entreprises de pêche. Ce sont les zones Sept-Îles et Estuaire qui permettent aux pêcheurs d’obtenir les meilleurs prix parce que, comme elles sont plus proches, «ça prend moins de carburant», soulève le porte-parole de l’Office des pêcheurs. «C’est encore plus important cette année, considérant que le prix du carburant est plus élevé que l’an passé.»
«Étant donné que dans Anticosti, la crevette est petite par rapport à l’an passé, ça affecte les revenus négativement, confirme Patrice Element. L’amélioration du prix payé aux pêcheurs a été compensée négativement par le fait que la crevette est plus petite, mais on devrait faire nos frais.»
C’est ce que confirme Roberto Desbois. «On a de la misère à prendre de la grosse. Dans Estuaire, la crevette est grosse, mais il y a du capelan. Donc, on ne peut pas pêcher là. Puis le «fuel» est plus cher. Les prix ont augmenté, mais comme la crevette est plus petite, je m’attends à ce que ce soit un peu moins rentable que l’année passée.» Un autre pêcheur anticipe lui aussi une moins grande rentabilité. «Ce n’est pas une des meilleures années», se désole Vincent Dupuis.
PRISES MOYENNES VARIABLES
Comme les prix et les prises moyennes sont demeurés les mêmes, le capitaine Dupuis estime que le portrait de la deuxième moitié de saison est comparable à celui de la précédente. «Quand on a négocié les prix au printemps, je m’attendais d’avoir un meilleur prix. Je vais finir ma saison en dessous de mes prédictions parce que la grosse (crevette) n’est pas au rendez-vous. Aussi, comme on a commencé tard, ça nous oblige à arrêter de chercher la grosse crevette pour pêcher de la petite et de la moyenne parce qu’on a peur de ne pas réussir à prendre nos quotas.»
Vincent Dupuis rapporte une moyenne de 50 000 à 60 000 livres par voyage de cinq jours. «L’année passée, les prises étaient meilleures.» Dans Anticosti, Roberto Desbois rapporte une moyenne de 55 000 livres par voyage de six jours. Dans Sept-Îles, le YOHAN MIRJA n’a fait qu’un seul voyage de cinq jours, pour des captures d’environ 32 000 livres. «Ce n’est pas très rentable, avec le «fuel» gaspillé. Un voyage de plus de 40 000 livres, ça commence à être pas pire.»
Si certains pêcheurs ont déjà terminé leur saison, d’autres mettront un terme à leurs activités en novembre, surtout ceux qui ont de plus gros quotas. C’est le cas de Vincent Dupuis et de Roberto Desbois. Ce dernier s’attend à atteindre son quota pour les usines à la fin octobre, après quoi il commencera à produire de la crevette cuite jusqu’à la fin novembre. «À la première ou deuxième semaine d’octobre, il ne restera plus grand monde à l’eau», prévoit M. Element.
MARCHÉ EUROPÉEN BLOQUÉ
Du côté de la transformation, le directeur de l’AQIP indique que la crevette se vend au Québec, mais que «le marché européen est bloqué». «On l’avait dit à la Régie, fustige Jean-Paul Gagné, mais ça n’a pas fonctionné. Il y a des inventaires qui s’accumulent et ça coûte de l’argent.»
Il n’en démord pas; les industriels doivent vivre avec la décision de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec et elle leur pose problème. «On est allé avec un économiste à qui on avait donné le mandat de faire une étude sur le marché de la crevette, mondialement parlant. Il avait fait une étude sérieuse qui correspondait au marché actuel. Elle a été déposée devant la Régie, mais dans leur décision, ils n’en parlent même pas! C’est peine perdue. On n’a pas été écouté et c’est déplorable!»
«On ne veut plus d’histoire comme ça avec la Régie, prévient-il. L’article 5 de la loi dit que c’est pour une mise en marché efficace et ordonnée du produit. C’est aussi pour une harmonisation des relations entre les parties. On est loin du compte!» M. Gagné rappelle que la pandémie n’est pas terminée. «Les prévisions étaient là, avec le variant Delta.»
MARCHÉS DIFFÉRENTS
Contrairement à la mise en marché d’autres crustacés tels le crabe et le homard, où la demande a été très forte cette année avec des prix records payés à quai et des prix élevés obtenus sur les marchés de référence, la crevette ne s’adresse pas aux mêmes marchés. «Le marché du homard et du crabe est beaucoup aux États-Unis et au Québec, spécifie le porte-parole de l’AQIP. Ce sont beaucoup les États-Unis qui ont fabriqué les prix parce que l’année précédente, les Red Lobster et toutes les grandes chaînes étaient fermés. Cette année, elles étaient ouvertes et elles voulaient des produits. Pour le homard, ça a été bénéfique. Pour la crevette, il y avait beaucoup d’inventaires.» M. Gagné estime que le problème ne réside pas dans la taille de la crevette, mais plutôt dans son prix. Selon lui, la crevette nordique fait aussi face à une féroce concurrence.
Seule bonne nouvelle pour les industriels, le taux de change en vigueur, tant avec l’Europe que les États-Unis, a des impacts positifs pour les transformateurs. «Même s’il n’est pas aussi élevé que l’année précédente, il reste que c’est un avantage», reconnaît M. Gagné.
GASPÉ-NORD – pages 2 et 3 – Volume 34,4 Septembre-Octobre-Novembre 2021