Malgré l’enthousiasme suscité l’an dernier par l’annonce de la relance de la pêche à l’encornet rouge nordique communément appelé calmar après une quarantaine d’années d’inactivité aux Îles-de-la-Madeleine, le bilan 2023 reste nul pour une deuxième saison consécutive. Les 14 détenteurs de permis de l’archipel disent se butter à un manque de souplesse de la part du ministère des Pêches et des Océans (MPO). C’est que dans son nouveau plan triennal de gestion de la ressource annoncé en juillet, ce dernier a notamment maintenu l’interdiction d’avoir deux différents types d’engins de pêche à bord des navires.
Or, selon Ghislain Cyr, capitaine du BIOCK de L’Étang-du-Nord, le fait d’avoir des turluttes à calmar à sa disposition lorsqu’il pêche le flétan de l’Atlantique avec des palangres, par exemple, lui permettrait de maximiser ses chances de captures du petit mollusque très convoité sur les marchés, advenant sa détection fortuite. «D’aller juste au calmar quand tu ne sais pas où aller, et tu ne sais pas s’il y en a, ce n’est vraiment pas intéressant, soutient le pêcheur d’expérience. C’est pour ça qu’on demande d’avoir nos turluttes à bord pour pouvoir essayer en tout temps.»
D’ailleurs, le capitaine du Biock fait remarquer que le MPO autorise les pêches mixtes, telles que calmar-maquereau et calmar-morue, lors de sorties récréatives en mer. Aussi ne comprend-t-il pas pourquoi le ministère s’entête à faire preuve de plus de rigidité en ce qui concerne la pêche commerciale à l’encornet rouge nordique. «Deux poids, deux mesures, ça n’a pas d’allure!, dénonce M. Cyr. Récréatif, tu as toute la liberté; la seule chose que tu n’as pas le droit de faire, c’est de vendre. Et Pêches et Océans nous dit que d’avoir des pêches commerciales mixtes c’est extrêmement compliqué. Ça fait que le commercial reste à terre et celui qui veut s’amuser y va de façon récréative. C’est tout.»
De son côté, le MPO explique qu’il interdit les pêches en simultanées du flétan et du calmar parce que les deux espèces comportent des conditions de permis distinctes. «Afin d’assurer une surveillance efficace des pêches, dans un but de conservation de la ressource, la plupart des pêches commerciales incluent des conditions de permis pour interdire la pêche de différentes espèces en simultané», nous a-t-on écrit par courriel.
FAIBLE ABONDANCE
Cela dit, les indices de biomasse du stock d’encornet rouge nordique, dont le recrutement est hautement variable et peu prévisible, atteint présentent un creux. Selon la plus récente évaluation de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (OPANO), cette biomasse était à son niveau historique le plus bas en septembre 2022, dans la division canadienne 4VWX, sur les côtes de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador. En comparaison, en période de très forte productivité entre 2018 et 2021, les captures de terre-neuviennes avaient augmenté de plus de 10 fois par rapport au précédent déclin.
«C’est une espèce qui ne vit qu’un an et donc la population se renouvelle à chaque année, précise Marie-Julie Roux, chercheure en approche écosytémique et impacts des changements climatiques à l’IML. Il y a une reproduction en continu et de façon générale, le pic de reproduction est au printemps au large des Carolines, sur la côte est américaine. Et donc, étant une population qui ne vit qu’un an et qui se renouvelle à chaque année, il y a énormément de variabilité dans la taille de cette population-là.»
L’OPANO produira sa prochaine évaluation d’abondance de l’encornet rouge nordique en 2025. L’espèce, qu’on suppose former un seul stock dans toute son aire de répartition de l’océan Atlantique nord-ouest, est gérée de façon distincte au nord par le Canada et la France, en respect de Saint-Pierre et Miquelon, et au sud par les États-Unis.
ESPÈCE SENTINELLE
Par ailleurs, Mme Roux nous apprend que le calmar fait l’objet d’un suivi particulier de la part de l’IML depuis 2017, dans le cadre d’une étude visant à documenter l’impact des changements climatiques sur les espèces commerciales. L’encornet rouge nordique est une espèce pélagique d’eau chaude qui remonte de la Floride jusque dans le golfe du Saint-Laurent pour se nourrir, avant sa période de reproduction dans le sud. «Et ce qu’on voit depuis 2017 c’est que nos espèces d’eau froide sont en diminution dans l’écosystème alors que nos espèces d’eaux chaudes sont en augmentation», souligne la scientifique.
Aussi l’étude de l’IML porte-t-elle tant sur les poissons d’eau chaude que sur les espèces d’eau froide, comme la morue arctique et la crevette nordique. Elle est menée à même les relevés annuels multi spécifiques que conduit le MPO dans le nord du Golfe et l’estuaire, de même dans la portion sud autour des Îles-de-la-Madeleine à la fin août-début septembre. «On ne pourrait pas se fier à ces données-là pour évaluer l’abondance ou la biomasse du calmar, indique la chercheuse. Par contre elles sont une source d’information fiable sur la tendance temporelle parce que l’échantillonnage est constant dans le temps.»
VERS UNE NOUVELLE DISTRIBUTION?
Fait intéressant, les scientifiques ont observé quelques calmars en état de se reproduire, tant à Terre-Neuve qu’en Nouvelle-Angleterre, en 2019 et 2020. Depuis ce temps, l’IML évalue systématiquement le stade de maturité de ses échantillons, afin de vérifier si on assiste à une augmentation de la proportion d’individus matures dans le Golfe.
«Si la proportion des individus matures venait à augmenter, ça démontrerait clairement qu’il y a un phénomène de reproduction qui a lieu plus au nord. Ça pourrait changer la dynamique des pêches pour cette ressource-là, mais on est loin, très loin d’être là, parce qu’on n’a observé des individus matures que pendant un an ou deux. On ne voit encore aucune tendance d’une nouvelle distribution de l’espèce», conclut Marie-Julie Roux.
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 40 – Volume 36,5 Décembre 2023-Janvier 2024