Le ministère fédéral des Pêches et des Océans rouvrira sous peu la pêche printanière au maquereau, exclusivement pour les appâts à des fins personnelles, à raison d’un quota limité à 470 tonnes métriques pour tout le secteur atlantique, le Québec compris.
Cette réouverture a été annoncée en ligne le 25 avril par la ministre des Pêches et des Océans, Diane Lebouthillier, et par le secrétaire parlementaire de ce ministère, Mike Kelloway. Ils assurent que des indices récents suggèrent que le stock de maquereau reprend un peu de vigueur.
La capture commerciale du maquereau a été placée sous moratoire complet à la fin de mars 2022, tout comme la pêche au hareng de printemps. La pêche au hareng en août et en septembre est toujours pratiquée, mais le contingent ne constitue qu’une faible fraction de ce qu’il a déjà été.
Une pêche «à des fins personnelles» signifie que les détenteurs de permis ne pourront vendre leurs prises. Comme les crabiers et les homardiers sont les principaux utilisateurs d’appâts, Pêches et Océans Canada les désigne pour aller en mer et capturer le quota de 470 tonnes.
La saison, non définie en termes de début et de durée lors de l’annonce, sera caractérisée par deux périodes, afin de donner une chance aux pêcheurs du vaste territoire marin couvert par le Canada atlantique de capturer leur part de maquereau. Les 470 tonnes seront divisées en deux parties de 235 tonnes.
Également députée de la circonscription de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, la ministre Lebouthillier fournit quelques justifications pour expliquer la réouverture de cette capture à des fins d’appât.
«On a besoin de rouvrir une pêche pour avoir de meilleures données», aborde-t-elle, signalant que «les espèces fourragères (hareng, maquereau et capelan) étaient en difficulté. Les pêcheurs constatent qu’ils en voient plus sur l’eau. Il faut aussi dire que les achats d’appâts se font à des coûts dispendieux.»
Le 25 avril, Pêches et Océans Canada n’a toutefois pas fourni de statistiques de biomasse pour étayer sa décision de rouvrir cette pêche d’appâts.
Géographiquement, la pêche ouvrira d’abord dans le secteur du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, où le maquereau arrive généralement à la mi-mai.
«On s’assure qu’il y aura du maquereau pour tous les pêcheurs. On va attendre que le maquereau ait fait sa ponte pour protéger les futures générations», ajoute la ministre Lebouthillier pour justifier la division du quota, de façon à laisser des prises pour les Îles-de-la-Madeleine, la Gaspésie et la portion nord du Nouveau-Brunswick.
Questionnée afin d’expliquer pourquoi les homardiers et les crabiers, qui sont bien nantis, ont été choisis par son ministère pour capturer les 470 tonnes de maquereau, alors que les pêcheurs spécialisés en espèces pélagiques rongent leur frein depuis deux ans, la ministre répond que «les pêcheurs (de crustacés) ont demandé de faire partie» de cette capture.
«On a écouté les gens du milieu, qui vont nous permettre d’avoir de meilleures données. Toutes les associations ont été consultées depuis le mois d’août. Toutes nos associations sont préoccupées par les espèces fourragères», a répondu Diane Lebouthillier.
CONSULTATION TRONQUÉE
Les mots utilisés par la ministre, à l’effet que «toutes les associations ont été consultées depuis le mois d’août» sonnent comme un électrochoc pour le pêcheur Lauréat Lelièvre, de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, et Ghislain Collin, porte-parole du Regroupement des pêcheurs professionnels pélagiques du sud de la Gaspésie.
«Ça fait deux ans qu’on tente d’avoir un rendez-vous avec elle. Elle ne nous parle même pas. Elle ne nous a jamais adressé la parole. Pourquoi? On n’est pas des malfrats», affirme Ghislain Collin.
Lauréat Lelièvre, qui compte 48 ans d’expérience en mer, est renversé de voir que la ministre Lebouthillier et son équipe ont choisi les homardiers et les crabiers pour aller pêcher les 470 tonnes d’appâts. Il y voit là un geste purement électoraliste.
«La réouverture de la pêche se fait avec 470 tonnes pour les cinq provinces. Elle donne ça aux homardiers et aux crabiers. J’ai calculé que 470 tonnes donnent 1 034 000 livres. Il y a 8 500 pêcheurs de homard dans les cinq provinces. Si tout le monde sort pour pêcher les appâts, ça donne 121 livres par pêcheur. Même si seulement 4 250 pêcheurs sortent, ça ne fait que 242 livres par bateau. Si 1 500 pêcheurs sortent, ça donne 689 livres par bateau (…) C’est politique, cette affaire-là. Elle aime mieux faire plaisir à 40 000 personnes avec zéro, ou presque, que de faire travailler 50 pêcheurs qui ne vivent que de ça», analyse M. Lelièvre.
Il écarte dès le départ l’argument de la ministre Lebouthillier à l’effet que la réouverture de la pêche aux appâts améliorera la collecte de données.
«Ça aurait été bien fait, la collecte des données, si ça avait été basé sur les prises des pêcheurs pélagiques. De 2015 à 2021, j’ai pêché le maquereau. Mes 150 000 livres étaient enregistrées. Si les pêcheurs de toutes ces espèces (homard, crabe des neiges, crabe tourteau et autres espèces nécessitant l’utilisation d’appâts) sortent pour capturer du maquereau, est-ce qu’il y aura assez de personnes-ressources pour surveiller les débarquements de tout le monde? À mon avis, ils ne font que répéter les erreurs du passé», analyse Lauréat Lelièvre.
S’il a longtemps douté de la prédation du maquereau par les phoques, M. Lelièvre s’en remet aux travaux de la biologiste Elisabeth Van Bereven, de l’Institut Maurice-Lamontagne de Mont-Joli, qui a publié une étude, peu avant l’annonce de la ministre Lebouthillier, statuant que ces mammifères marins consomment entre 6 000 et 13 000 tonnes métriques de maquereau par an.
«Il y a des milliers de phoques gris, 7,6 millions de phoques du Groenland, des centaines de milliers de phoques à capuchon, et le bar rayé qui se nourrit de maquereau. Et là, on va lancer une pêche aux appâts impossible à contrôler. Ce n’est plus de la mauvaise gestion, c’est plus de gestion du tout», déplore Lauréat Lelièvre.
Il rappelle qu’au prix de 1,40 $ à 1,50 $ la livre, la pêche d’appâts au maquereau aurait aidé les 15 à 20 pêcheurs québécois spécialisés dans les espèces pélagiques, comme lui.
«Les grosses associations sont là pour tirer la couverture, mais je dis à la ministre : «ayez du respect pour nous !» On aurait pu sortir et prendre 2 000 livres par semaine pendant 10 semaines. Ce qui risque d’arriver avec les 470 tonnes en deux coups, c’est qu’après deux jours de pêche, il n’en restera plus», conclut-il avec inquiétude.
De son côté, Ghislain Collin est extrêmement déçu de l’orientation prise par la ministre Lebouthillier lors de l’annonce du 25 avril.
«Depuis des années que je dénonce que le comité hareng-maquereau est dominé par des groupes. Elle a donné un cadeau électoral à des gens qui n’ont jamais déclaré leurs prises de poissons pélagiques; la pêche aux appâts n’aura aucune retombée économique. Elle devient une chasse gardée pour pêcheurs faisant déjà les revenus les plus élevés», souligne M. Collin, qui suggérait un modèle bien différent.
«Les pêcheurs pélagiques auraient mis leurs bateaux à l’eau, ils auraient engagé des hommes de pont, ils auraient livré leurs prises à des usines. Au lieu de ça, les homardiers vont pêcher des appâts déductibles de leurs dépenses à 100 %. C’est une sorte d’évasion fiscale. Il n’y aura plus d’historique de captures. Ce n’est pas normal que les homardiers se servent de nos données commerciales», dit-il.
«Cette façon d’organiser la pêche aux appâts, ça divise les pêcheurs. C’est électoral, mais il y a des humains derrière ça. Les 20 bateaux qui auraient pu pêcher ces 470 tonnes, c’est 40 familles, si on compte les aides-pêcheurs et ça aurait donné des revenus déclarés», déplore M. Collin.
Il accepte difficilement, près de 26 mois après les moratoires de la fin de mars 2022, que le Regroupement des pêcheurs professionnels pélagiques du sud de la Gaspésie n’ait pas réussi à obtenir une seule rencontre avec Diane Lebouthillier, qu’elle agisse comme députée ou comme ministre.
«Poliment et gentiment, on a essayé de la rencontrer. Si elle ne m’aime pas, qu’elle le dise et je vais céder ma place. Je suis puni parce que j’ai parlé», conclut M. Collin, qui surveillera de près les conditions de capture qui seront déterminées par Pêches et Océans Canada.
LES PÉLAGIQUES – pages 18-19 – Volume 37,2 Avril-Mai 2024