La nouvelle entreprise ostréicole Manowin, de l’île d’Anticosti, peut se targuer d’avoir un bilan carbone neutre, c’est-à-dire de n’émettre aucun gaz à effet de serre. Cette distinction lui vient du fait que ses opérations, dans le secteur de l’Anse-aux-Fraises au nord-ouest de Port-Menier, se font à même des récifs de calcaire que son propriétaire, John Pineault, rejoint à pied, à marée basse. Qui plus est, les mollusques absorbent du carbone dans l’eau pour faire leur coquille composée à 95 % de carbonate de calcium, souligne-t-il. «Et donc, comme leurs coquillages deviennent un puits de carbone, notre production est non seulement carbone neutre, elle est aussi carbone négative!»
M. Pineault, qui en est à sa première année d’exploitation commerciale après un dédale administratif de quatre ans pour obtenir les permis nécessaires, a mis au point un système d’affinage des mollusques – qu’il importe à taille commerciale du Nouveau-Brunswick – à même des tables qu’il a boulonnées sur le roc des récifs. Il dit que sa technique d’élevage combine des savoir-faire bretons et australiens.
«On travaille sur des tables françaises qui sont faites de fer, mais plutôt que d’avoir des poches qui sont attachées sur le dessus comme on le fait en Bretagne, nous, on a des cages qui sont suspendues sous les tables. Et en les gardant en mer pendant au moins six semaines, on cherche à en changer le goût. Dans les lagunes du Nouveau-Brunswick où les huîtres sont élevées, la salinité et la bouffe – le plancton, phytoplancton – sont complètement différents de ce qu’on a ici. Et nous, quand on les gardent en cages pendant un certain temps, de par leur capacité à filtrer environ six litres d’eau à l’heure, elles en viennent à développer un goût qui est, dans le fin fond, le même goût que si les huîtres étaient nées ici.»
À ÉCHELLE HUMAINE
La concession de l’entreprise Manowin s’étend sur deux hectares, soit une superficie qui permettrait une production annuelle d’un million d’huîtres, selon John Pineault. Or, l’ostréiculteur qui ne compte sur l’appui que de sa conjointe, Josée Periard, entend limiter ses rendements à 55 000 mollusques par année. «C’est notre projet de retraite et notre première motivation, ce n’est pas de faire de l’argent. Notre première motivation, c’est de faire un produit de très haute qualité», fait-il valoir.
Ainsi, en cette première saison d’exploitation qui s’étend de mai à novembre, le parc maricole Manowin ne compte que 150 cages pouvant accueillir 90 huîtres chacune. Au cours des trois prochaines années, John Pineault augmentera progressivement ses installations jusqu’à un total de 300 cages. «On essaie de garder ça à échelle humaine, expose-t-il. Et ce qui est intéressant quand tu ne veux pas grossir à tout prix, ça te permet de choisir ta clientèle. Et nos gens sont, comme nous, motivés par la qualité de notre produit qui est tout à fait spécial.»
«Quand on sort les huîtres de l’eau, on peut les mettre directement dans l’emballage, poursuit le mariculteur. On n’a aucun traitement, aucun lavage à faire parce que les coquillages sont tout blancs. Quand les paniers se font brasser dans la mer, les huîtres tournent sur elles-mêmes et le frottement fait comme une espèce d’action d’une laveuse qui les fait passer du gris au blanc. Et ça fait un produit qui est, à mon avis, exceptionnel.»
La ferme ostréicole Manowin écoule sa production d’huîtres dans les différentes pourvoiries qu’exploite la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ) sur l’île d’Anticosti, de même par l’entremise de la coopérative d’alimentation de Port-Menier. Il approvisionne aussi certains particuliers et restaurants de la Gaspésie et de la Côte-Nord. «On fait nos propres emballages – des boîtes de bois – et on applique le principe de consigne, raconte M. Pineault. C’est-à-dire, quand tu viens acheter des huîtres chez nous, je te charge pour ton emballage et quand tu me le rapportes, je te rembourse. Ça fait qu’à ce moment-là, on génère zéro déchet.»
Originaire du Nouveau-Brunswick, John Pineault a déménagé à Gaspé à l’âge de 16 ans pour étudier au Cégep de la Gaspésie et des Îles. Il dit s’être ensuite établi à l’île d’Anticosti en 2000 pour avoir «la sainte paix». C’était sans compter qu’il y militerait activement contre l’exploitation des hydrocarbures, qu’il deviendrait ensuite maire de Port-Menier de 2015 à 2021, soit jusqu’à ce qu’il soumette la candidature de son île d’adoption à la liste des biens culturels et naturels du patrimoine mondial de l’UNESCO. On lui souhaite une bonne retraite!
MARICULTURE – page 24 – Volume 36,4 Septembre – Octobre – Novembre 2023