Le projet d’aire marine protégée (AMP) aux Îles-de-la-Madeleine, piloté par Parcs Canada depuis 15 ans, ne passera pas comme une lettre à la poste. La seule perspective qu’on y interdise tout chalutage suscite l’indignation. Pour Robert Poirier, pêcheur depuis 50 ans, ce serait une attaque contre les moyens historiques de subsistance des Madelinots.
Le pêcheur de l’Étang-du-Nord appelle ses confrères à se mobiliser pour freiner ce projet d’AMP, qu’il qualifie de bavure fédérale. «Quand j’ai vu ça, je suis venu mauvais; aussi bien de le dire! Tu sais, ce qui a permis aux Madelinots de rester aux Îles-de-la-Madeleine et de vivre aux Îles-de-la-Madeleine, c’est la pêche. Et là, on est en train de fermer nos fonds de pêche. Ça n’a pas de sens. Ça fait que je souhaite que tous les pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine s’opposent fermement à ça», déclare-t-il.
ONDE D’INQUIÉTUDE
Robert Poirier se désole que les Madelinots aient déjà perdu du terrain avec l’interdiction de chasser le phoque à l’île Brion. De plus, il affirme que la création récente de zones marines de protection dans le chenal Laurentien, désormais fermées au chalut de fond pour protéger les plumes de mer et les éponges, privera l’industrie du sébaste de ses aires traditionnelles de pêche parmi les plus productives. «Là, si on ferme le chalutage autour des Îles-de-la-Madeleine, bien, ce serait fermer les Îles-de-la-Madeleine! Il n’y a pas seulement que la pêche au crabe et au homard. On a tout le temps eu d’autres façons de pêche autour des Îles-de-la-Madeleine.»
Pour sa part, le président de la Fédération des pêcheurs semi-hauturiers du Québec, Marcel Cormier, appelle les élus et les gens d’affaires à prendre position contre toute interdiction de drague aux pétoncles, de drague hydraulique aux mollusques ou de chalut à plie, dans les eaux de l’archipel. Bien qu’il reconnaisse le besoin de protéger la biodiversité, le capitaine du CAP ADÈLE croit que le caractère artisanal et modéré des activités de pêche commerciales des Madelinots doit être pris en compte. «C’est artisanal ces petites pêches-là, souligne-t-il. Ils pêchent la petite plie sept, huit semaines; c’est tout ce qu’ils pêchent. Ils ne pêchent pas longtemps. Le pétoncle non plus; ils ont 14 jours pour prendre le quota. Ce n’est pas catastrophique sur la biodiversité, ça.»
De son côté, le capitaine du Western WIND II, Steve Lapierre, s’apprête à investir dans l’acquisition d’un nouveau permis de pêche au pétoncle. Il ne cache pas son inquiétude, face à l’éventualité d’une interdiction de dragage autour des Îles. «C’est un investissement de plusieurs centaines de milliers de dollars, qui doit être fait pour l’acquisition du permis, la préparation du bateau pour ce type de pêche, fait-il remarquer. Et on parle d’une amputation du territoire de pêche de 100 %. C’est très inquiétant», affirme le pêcheur côtier.
LES ÉLUS ÉTONNÉS
Les élus des Îles-de-la-Madeleine s’étonnent d’ailleurs des nouvelles normes annoncées par le ministre des Pêches et des Océans, interdisant le chalutage dans les futures aires marines protégées. Le député Joël Arseneau note que Jonathan Wilkinson se base sur les recommandations d’un comité indépendant formé par le gouvernement, au détriment de l’avis des pêcheurs. Cela augure mal, dit-il, pour l’acceptabilité sociale du projet de l’archipel. «À la base, un projet comme celui-là ne peut pas se faire, ne peut pas se concrétiser sans avoir l’appui des pêcheurs. Et, à l’heure actuelle, il est bien évident qu’avec l’approche que l’on semble vouloir adopter, bien, les pêcheurs s’y opposeront, et avec raison.»
Quant au maire, Jonathan Lapierre, il est formel : il n’y aura pas d’aire marine protégée aux Îles-de-la-Madeleine aux dépens des activités traditionnelles de pêche commerciale du territoire. «C’est un projet dans lequel nous avons toujours été impliqués au premier chef, avec tous les intervenants fédéraux et provinciaux, et personne ne cherche à imposer quoi que ce soit à la communauté des Îles, assure-t-il. Je pense que les Madelinots peuvent dormir très paisiblement à ce niveau.»
UN MUTISME INACCEPTABLE
À ce propos, l’organisme environnemental Attention FragÎles appelle Parcs Canada et le ministère québécois de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques à venir rapidement rencontrer les Madelinots, pour les rassurer et pour leur exposer le processus menant à une aire marine protégée. Sa présidente, Danielle Giroux, se désole de l’inquiétude que suscitent les bribes d’informations qui circulent, depuis l’annonce, par le ministre des Pêches et des Océans, de nouvelles normes restrictives. Les autorités doivent sortir de leur mutisme, dit-elle, afin d’établir un lien de confiance avec les pêcheurs, dont la collaboration est essentielle pour préserver la biodiversité. «Ils auraient dû le faire depuis 15 ans, de façon régulière et ouverte, insiste-t-elle. Et j’espère qu’ils ne tarderont pas cette fois-ci, parce que ce serait un grand rendez-vous manqué avec les Madelinots.»
Cela dit, Mme Giroux affirme que l’aire marine protégée des Îles-de-la-Madeleine serait beaucoup plus petite que les 17 000 kilomètres carrés à l’étude. À son avis, elle se découperait autour des fonds de pêche traditionnels des Madelinots, telle une courtepointe. «Ça va être une aire marine protégée à multi usages, expose-t-elle. Donc, il y aura des zones avec des zonages, des activités permises qui vont être différentes d’une place à l’autre. Et, c’est un dessin qui va être fait avec les gens des Îles. Il n’y a aucun gouvernement, il n’y a aucune instance gouvernementale qui va pouvoir imposer quelque chose aux Îles, qui va mettre en péril les activités socio-économiques.»
Pour illustrer son propos, la présidente d’Attention FragÎles cite l’exemple de la Grande Barrière de corail, en Australie, protégée au tiers, en cohabitation avec les activités de pêche et de tourisme. Ces dernières sont génératrices de 50 000 emplois et de centaines de millions de dollars en retombées économiques annuelles.
CONSULTATIONS À VENIR
Cependant, Parcs Canada a décliné notre demande d’entrevue. Par voie de courriel, l’agence fédérale indique qu’elle est à planifier, avec le ministère québécois de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, les consultations qui mèneront à façonner l’aire marine protégée du territoire madelinot.
Tentant de se faire rassurante, elle précise que ni les limites, ni les modalités de gestion de l’aire d’étude ne sont encore définies. Elles ne le seront, précise sa porte-parole, Stephanie McGlashan, qu’au terme de cette consultation publique élargie, tant auprès de la communauté locale, que des intervenants du milieu, dont les pêcheurs, et des groupes autochtones concernés.
REPÈRE – page 24 – Volume 32,3 Juin-Juillet-Août 2019