La récupération des engins de pêche perdus en mer a connu une nette amélioration en 2022 aux Îles-de-la-Madeleine. Le Comité ZIP et le Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes (CERMIM) ont respectivement reçu un financement de 200 000 $ et de 500 000 $ du ministère des Pêches et des Océans (MPO), pour repêcher les casiers à homard et à crabe égarés, que doivent obligatoirement signaler les pêcheurs.
Chacun se félicite d’avoir amélioré l’efficacité de ses opérations de localisation et de remontée, par rapport à sa première année de participation, en 2021, au programme fédéral de contributions pour soutenir des solutions durables en matière de pêche et la récupération de ces engins perdus.
Avec l’aide de l’entreprise Métal JCM de Cap-aux-Meules, spécialisée en soudure, le Comité ZIP a notamment bonifié son système de caméra sous-marine tractée, utilisée pour localiser les agrès à repêcher. Une nouvelle cage d’acier inoxydable a ainsi été conçue afin d’y insérer la caméra et de la maintenir dans l’axe du bateau. Cela permet de couvrir les zones deux fois plus rapidement, selon la biologiste chargée de projet, Émie Audet-Gilbert. «Les ajustements permettent de mieux voir venir les obstacles, explique-t-elle. Quand on voit un récif approcher, on dispose donc de plus de temps pour remonter la caméra avec le haleur hydraulique et éviter les collisions.»
Mme Audet-Gilbert indique également que des ailerons ont été ajoutés à la cage de sorte à en améliorer la stabilité et la directionnalité, et que des blocs de plomb ont été installés de part et d’autre pour lester le système et réduire l’effet de traînée. «La nouvelle cage garde mieux sa position et a beaucoup moins tendance à remonter quand on prend de la vitesse, poursuit la biologiste. Donc, on pouvait aller jusqu’à 2,2 nœuds pour faire les activités de recherche. En 2021, on n’allait qu’à environ un nœud; ça n’allait pas très vite pour couvrir du terrain.»
Pour sa part, le CERMIM a mis à profit un robot sous-marin plus performant que celui emprunté à l’Université du Québec à Rimouski à des fins d’expérimentations l’année précédente, pour son projet de localisation, récupération et valorisation (LOREVA) des engins de pêche au crabe des neiges perdus aux abords de l’archipel dans les zones 12 et 12 F. En collaboration avec l’entreprise Seamor Marine, basée sur l’Île de Vancouver, le CERMIM a utilisé un nouveau robot télécommandé communément appelé ROV. Celui-ci est mieux adapté aux besoins tant par sa stabilité, sa précision et sa force, explique Marc-Olivier Massé, directeur-associé du CERMIM. En partenariat avec Pêcheries F.J.L., présidée par le capitaine du FRANCIS-ÉRIC, Francis Poirier, la mission a permis de retirer 50 casiers à crabe de l’eau contre seulement 15 en 2021, de même que plus de 9 km de cordage contre 1,7 km un an plus tôt, et ce, en un temps de mer comparable.
«En fin de mission, on retirait plus d’un casier à l’heure, rapporte M. Massé. Même qu’à la dernière plongée, on est arrivé au-dessus de la cage et, le temps qu’on positionne le bateau, qu’on mette le robot à l’eau, qu’on le plonge et qu’on accroche la cage avec le cochet qu’on a développé, qu’on remonte le robot, et puis qu’on remonte la cage sur le pont du bateau, l’ensemble de l’opération n’avait pris que six minutes. C’est un franc succès!»
OPÉRATION ÉCOURTÉE
Cependant, pour le Comité ZIP, l’opération 2022 de récupération des engins de pêche côtière perdus et signalés par les pêcheurs madelinots a été écourtée par la tempête Fiona et les forts vents qui ont soufflé sur l’archipel cet automne. Elle ne s’est étendue que sur 14 jours – soit une journée de moins qu’en 2021 – sur un objectif de 22. Malgré tout, elle a permis de remonter 58 casiers à homard, soit cinq de moins que l’année précédente, de même que 1 580 pieds de cordage, contre 1 450 pieds un an plus tôt. «La majorité des cages retrouvées étaient encore en très bon état et pêchaient encore, relate Émie Audet-Gilbert. On a libéré 87 homards versus 61 en 2021. Et c’étaient surtout des mâles, presqu’à 80 %, et ce sont tous de gros géniteurs.»
La biologiste prépare d’ailleurs pour le printemps prochain un rapport d’analyse des données compilées jusqu’à présent dans le cadre de ses missions de récupération des engins fantômes, afin de dresser un portrait de leur impact sur la ressource. «Il y a beaucoup de compétition et d’agressivité entre les homards qui sont dans les cages fantômes, dit-elle. Quand il n’y a plus d’appât, ils se mangent entre eux. Ça crée une mortalité continue et de nombreuses amputations et blessures chez les individus pris au piège. Et donc, on veut avoir une estimation de l’impact que cette pêche fantôme a sur la sélection de certains individus du stock – est-ce que ça affecte davantage les mâles que les femelles? – et quel impact ça a sur la population de géniteurs aux Îles. On va se servir de ces estimations-là pour extrapoler à grande échelle et, chaque année on va avoir un peu plus de données, ce qui nous donnera une meilleure idée de l’impact réel de la pêche fantôme sur la ressource.»
À L’AVANT-GARDE
Le Comité ZIP et le CERMIM ont respectivement reçu un financement de 200 000 $ et de 500 000 $ du ministère des Pêches et des Océans (MPO), pour mener à bien leurs activités 2022 de récupération et de valorisation des engins de pêche perdus en mer. Émie Audet-Gilbert précise que sa subvention inclut la rédaction d’un article de méthode détaillant le protocole du projet, qui sera validé par les pairs en cours d’année et rendu public par la revue scientifique Marine Pollution Bulletin. «L’idée est de rendre disponible le travail qu’on fait aux Îles pour que ça puisse servir à d’autres organisations tant canadiennes que de l’international», fait-elle valoir.
Depuis 2020, le gouvernement du Canada a investi 26,7 M$ dans 91 projets dans le cadre du Fonds pour les engins fantômes, visant à lutter contre la pollution marine par les plastiques et autres déchets. Une somme additionnelle de 28 M$ a été débloquée pour la seule année 2023, en réaction aux dégâts causés par la tempête Fiona. «Nous avons proposé un projet d’envergure, confie Marc-Olivier Massé. C’est important de poursuivre le nettoyage des fonds marins sur une base annuelle, en particulier dans les aires d’alimentation des baleines noires, parce que pour chaque casier perdu on retrouve du cordage qui flotte dans la colonne d’eau et dans lesquels elles risquent de s’empêtrer.»
Selon Émie Audet-Gilbert, le Canada fait d’ailleurs preuve d’avant-gardisme en matière de nettoyage des fonds marins. «Nous avons des résultats probants et toute l’expertise qui se développe à travers le Canada sur les différentes techniques de récupération d’engins de pêche ne se font pas qu’en vase clos, souligne-t-elle. Ça se partage à la grandeur de la planète, par le biais par exemple de la Global Ghost Gear Initiative. Cette mise en commun permet aux nouvelles initiatives de construire par-dessus ce que les gens ont déjà construit pour que ce soit de plus en plus efficace.»
COLLABORATION DES PÊCHEURS
Pour l’avenir, la biologiste du Comité ZIP anticipe des activités annuelles de récupération beaucoup plus rentables. «En ce moment, on est en recherche et développement de techniques, fait-elle remarquer. Ça fait que c’est sûr que ça coûte plus cher. Plus ça va aller, plus les activités de récupération seront efficaces et plus ça va valoir la peine.»
De plus, le directeur associé du CERMIM mentionne à ce propos l’importance de la précision des données de localisation des casiers perdus, que doivent obligatoirement fournir les pêcheurs au MPO. «Si la cage est là, dans un rayon de plus ou moins 50-100 mètres, on va la trouver, c’est certain, dit-il. Notre technique de récupération est chirurgicale. Elle n’a aucun impact sur le fond marin. Et nous sommes fiers de rappeler que nous sommes les premiers au Canada à pêcher les casiers à crabes de cette façon!»
Notons également que Marc-Olivier Massé a été invité à présenter le projet LOREVA dans le cadre du Colloque CIDCO 2023 «Un océan accessible», qui se tiendra les 3, 4 et 5 avril à Rimouski. CIDCO, un organisme à but non lucratif fondé en 2002, est l’un des plus importants centre de recherche hydrospatiale au Canada. Les chercheurs Lyne Morissette, de M-Expertise Marine, de même que Jérôme Laurent et Camille Pépin de Merinov, figurent aussi à la programmation du congrès. Ils participeront, entre autres, à un panel de discussions avec des confrères de CIDCO sur la problématique de la pêche fantôme.
ENVIRONNEMENT – pages 30-31 – Février-Mars 2023