Le traditionnel Rendez-vous annuel des pêches et de la mariculture, organisé par la Municicipalité des Îles-de-la-Madeleine en décembre, a réuni 125 personnes dans une formule hybride alliant présentiel et diffusion web. Du nombre, on comptait une trentaine de jeunes de la relève, actuellement en formation dans le cadre du programme de diplôme d’études professionnelles (DEP) en pêche. Bon an mal an, on enregistre à chaque saison une quinzaine de nouveaux capitaines dans le secteur de la pêche au homard, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
«C’est une tendance stable, a commenté Donald Arseneau, directeur du bureau local du MAPAQ. Avec 12 à 15 transferts d’entreprise par année, on a vraiment une tendance inversée en ce qui concerne l’âge des pêcheurs. Il y a une dizaine d’années, à peu près, il y avait certainement 50 à 60 % des pêcheurs qui avaient 55 ans et plus. Et depuis 2008, que le MAPAQ a mis en place le programme de la relève – les subventions à l’établissement – la flottille a beaucoup rajeuni. Je dirais qu’il ne reste peut-être que 25 % des pêcheurs de plus de 55 ans.»
Plus précisément, au cours de l’année 2021, la direction régionale des Îles-de-la-Madeleine du MAPAQ a offert à 12 bénéficiaires une aide dans le cadre du programme Soutien à l’achat d’une première entreprise de pêche commerciale, nous a précisé en complément d’information le ministère par voie de courriel. Le total des aides offertes a été de 575 000 $.
APPEL À LA VIGILANCE
En ouverture du colloque, le maire Jonathan Lapierre a d’ailleurs qualifié de «positive pour l’industrie du homard», cette tendance au rajeunissement des effectifs. Il a cependant appelé à la vigilance en ce qui concerne la vente des permis de pêche au crabe des neiges, entre autres. «On aura des défis, et j’en appelle à la communauté, pour maintenir l’accès à la ressource sur le territoire des Îles, dit-il. Vous savez, pour le homard ce n’est pas un enjeu; chaque permis vendu est toujours vendu à un intérêt des Îles. Mais pour ce qui est des autres pêches, des autres ressources comme le crabe, il n’y a rien de garanti en ce sens.»
À ce propos, les données statistiques préliminaires du ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour l’année 2021 font état d’une baisse de 55 à 49 du nombre de bateaux de pêche au crabe des neiges, de toutes régions confondues, à avoir livré leurs captures aux Îles l’an dernier. «Ce qu’on voit, c’est que nos usines sont peut-être un peu moins attractives, mais au niveau de la valeur des débarquements on a quand même vu une augmentation de 7 % qui s’explique par une augmentation du coût unitaire assez significatif, fait remarquer Cédric Arseneau, directeur de secteur du MPO. Le prix payé à quai est en hausse de 103 % par rapport à 2020; ça reste que c’est plutôt une bonne nouvelle.»
Et tandis que le crabe compte pour 19 % de la valeur totale des débarquements dans l’archipel, estimée à 138 M $, le homard, lui, représente une part de 76 %. Cela fait dire au maire Lapierre qu’il y a danger à mettre tous ses œufs dans le même panier. «Que 95 % de la valeur de nos débarquements proviennent du crabe et du homard, parce qu’aujourd’hui les captures et les prix sont intéressants, c’est extrêmement fort pour l’industrie de la pêche, relève-t-il. Mais forcément, ne sera pas toujours comme ça. Donc, si on veut diversifier notre effort de pêche, si on veut faire place à de la relève autre que dans la pêche au homard et au crabe, je vois une opportunité, et surtout une nécessité, de s’intéresser de manière collective à la reprise du sébaste. Il faudra que le milieu se positionne de façon concertée et unanime sur nos attentes et sur notre vision en lien avec la reprise de cette pêcherie-là.»
PART HISTORIQUE DE SÉBASTE
M. Lapierre prévient également que la communauté des Îles doit se préparer à une «bataille de tous les instants» pour préserver sa part historique de poisson rouge. «Avant, personne ne s’intéressait au sébaste et maintenant tout l’Est du Canada s’intéresse au sébaste, souligne-t-il. Donc, il ne faut surtout pas s’asseoir sur nos lauriers en pensant qu’il y a quelque chose qui nous est dû automatiquement. Il va falloir travailler fort pour aller le chercher et on n’est pas les seuls qui travaillent fort actuellement; il y a bien des provinces et d’autres régions au Québec qui travaillent tout aussi fort, sinon plus, pour l’accès à cette ressource.»
Le gestionnaire de Madelipêche, Paul Boudreau, a profité de l’occasion pour demander au MPO de produire un tableau comparatif des volumes de poisson de fond débarqués aux Îles, de 1985 à aujourd’hui, pour voir à quel point les Îles ont été affectées par l’effondrement des stocks. C’est qu’il note qu’au chapitre du homard, par exemple, les pêcheurs madelinots ont perdu du terrain par rapport à la Gaspésie et à la Côte-Nord. Selon les fiches statistiques du ministère fédéral des pêches, leur part de 72 % du tonnage global du Québec enregistrée en 2011 a glissé à 51 % en 2021. En comparaison, les vo-lumes de homard débarqués en Gaspésie sont passés de 26 % à 42 % au cours de la décennie, et ceux de la Côte-Nord ont crû de 2 % à 7 %.
«Et là, on s’attend à voir le sébaste revenir et on a peur que ça va nous glisser entre les mains et que ça va revenir en Gaspésie, parce qu’il y a plus de pêcheurs en Gaspésie, se soucie M. Boudreau. Mais on oublie ce qu’étaient les pêches au poisson de fond aux Îles-de-la-Madeleine et on n’a jamais eu accès à la crevette, alors que les pêcheurs de poisson de fond de la Gaspésie ont diversifié leurs activités dans la crevette. Ça fait que je pense que si le ministère pouvait nous produire un graphique comme ça, ça pourrait parler beaucoup pour rappeler que la part historique du Québec dans le sébaste vient des Îles et doit revenir aux Îles et non pas en Gaspésie.»
RÔLE ÉCONOMIQUE
De son côté, le ministre des Pêcheries du Québec, André Lamontagne, a profité du Rendez-vous annuel des pêches et de la mariculture pour réitérer son appel à l’industrie pour qu’elle parle d’une même voix, afin de faire valoir les quotas historiques du Québec dans le sébaste. «Pour nous, c’est une ancienne pêche, mais ce sont aussi de nouvelles opportunités et la course est ouverte dans les zones concernées pour que les gens puissent obtenir des quotes-parts de pêche, indique M. Lamontagne. Plus le Québec sera cohérent, coordonné dans ses représentations, plus on aura de chances d’avoir un certain degré de satisfaction par rapport à nos revendications.»
Le ministre affirme également que son ministère est à «cartographier» les flottilles et les usines québécoises pour se préparer à cette répartition. «Au niveau de chaque embarcation, les pêcheurs, qui pourrait avoir droit à quoi, qu’est-ce que ça peut représenter comme investissements, énumère-t-il. Parce qu’il va y avoir de la transformation au niveau de nos équipements pour aller chercher cette ressource-là. Et il y aura aussi des investissements à faire au niveau de la transformation de la ressource comme telle. Alors plus on va être cohérent, qu’on va véhiculer le même message et qu’on va travailler ensemble pour bien saisir l’opportunité de la réouverture de la pêche au sébaste, plus ce sera bénéfique pour les Îles-de-la-Madeleine et pour toutes les régions côtières du Québec.»
Le ministre André Lamontagne a aussi fait savoir que son ministère a commandé deux études distinctes afin de documenter le rôle et la contribution des secteurs des pêches et de l’aquaculture commerciales en matière d’autonomie alimentaire et de développement économique régional. «L’objectif de ces deux études est de mettre à jour la contribution du secteur des pêches, mais aussi de voir comment, par les différents leviers que nous avons comme gouvernement, nous soutenons le secteur des pêcheries; pour voir si notre soutien est efficace et s’il y a des façons de l’améliorer», explique M. Lamontagne.
L’influence des pêches et de l’aquaculture sur le développement socioéconomique des régions côtières est analysée par la firme Sinfibec, Experts-Conseil, tandis que c’est Forest Lavoie Conseil qui se penche sur la contribution potentielle du secteur à l’accroissement de l’autonomie alimentaire du Québec. Le ministre des Pêcheries, qui dit anticiper avec «beaucoup de positif» les conclusions de ces études, mise en particulier sur une promotion accrue de l’achat local auprès des consommateurs québécois, afin de remplacer leur intérêt pour les produits d’importation. «Une grosse partie des captures qui se font aux Îles-de-la-Madeleine sont dirigées vers les marchés d’exportation; ce sont des marchés accueillants pour nos produits et en même temps vous y trouvez de bons partenaires, constate-t-il. Mais il y a aussi l’importance de développer des stratégies de mise en marché et de commercialisation pour le marché intérieur avec vos produits d’appel, qui viennent avec de belles histoires. Quand on raconte la belle histoire derrière un produit, ça fait en sorte que les gens ont envie de s’approprier ces produits-là et d’entretenir une relation de confiance.»
CONCERTATION – page 30 – Volume 35,1 Février-Mars 202