Les autorités américaines reportent l’intensification des mesures de protection de la baleine noire, et d’autres mammifères marins, qu’elles comptaient imposer aux pêcheurs côtiers du Canada, dont les homardiers de la Gaspésie.
La raison est simple : les autorités américaines ne peuvent traiter toutes les demandes de conformité venant des pays désireux de respecter les nouvelles normes touchant les baleines noires, mais aussi d’autres types de mammifères marins visés par la loi appelée Marine Mammals Protection Act.
«Les Américains nous ont avisés au début de décembre qu’ils suspendaient l’entrée en vigueur de nouvelles mesures de protection. Ils doivent traiter 132 demandes de conformité de 132 pays différents», précise O’Neil Cloutier, directeur général du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie.
Cet organisme, représentant notamment les 156 détenteurs de permis de capture de homard en Gaspésie, a porté à 30 % en 2022 la proportion de homardiers effectuant des essais avec deux types d’engins de pêche, une gaine et un anneau, cédant à une tension supérieure à 1 700 livres.
Ainsi, une hypothétique baleine noire s’empêtrant dans un engin de pêche au homard en Gaspésie serait libérée dès qu’elle appliquerait une tension supérieure à 1 700 livres. Hypothétique parce qu’aucune baleine noire n’a fréquenté les fonds de pêche au homard en Gaspésie de mémoire de homardier.
La décision des autorités américaines ne détourne pas pour autant le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG) de son objectif d’augmenter son degré de préparation vis-à-vis les exigences éventuelles des voisins du sud.
«Cette année, on vise 50 % (d’utilisation de la gaine et de l’anneau) même si les Américains ont décidé de surseoir à l’imposition de mesures supplémentaires. On sera davantage prêts quand ils augmenteront leurs exigences. Ils ont aussi décrété un moratoire sur l’utilisation de nouveaux équipements, en l’occurrence les casiers sans câbles pour les crabiers», souligne aussi O’Neil Cloutier.
Le RPPSG compte dans ses rangs trois crabiers pêchant les allocations de crabe qui lui sont conférées en continu depuis plusieurs années. Deux de ces trois crabiers étaient pressentis pour faire l’essai des nouveaux casiers sans câble dès cette année.
«L’exigence quant à l’utilisation de ces casiers sans câble est reportée jusqu’en 2028. Il y aura des essais au Québec avec des casiers sans câble. Stratégiquement, ce n’est pas mauvais parce qu’on sera prêts. Présentement, nos deux pêcheurs sélectionnés attendent les équipements», précise M. Cloutier.
Il trouve un peu incongru que les homardiers gaspésiens se retrouvent au cœur de mesures de protection de la baleine noire aussi intenses que des homardiers dont les conditions de pratique sont très différentes.
«Les homardiers ne vont jamais loin en mer en Gaspésie. Certains de nos homardiers évoluent à 10 minutes du quai! Nous ne verrons jamais de baleine noire. Sur la côte est américaine, la pêche du homard est très différente; les bateaux vont loin en mer. Les pêcheurs américains évoluent 10 mois par année. On l’a montré à la ministre (Joyce Murray, des Pêches et des Océans) lors de sa visite en Gaspésie. Je suis persuadé qu’à part ici et au Cap-Breton, où la pêche est très, très côtière, les homardiers vont beaucoup plus loin au large. Même aux Îles-de-la-Madeleine, il y a des homardiers qui passent trois heures en mer pour se rendre à leur lieu de pêche. Nous avons un membre ici qui a pêché à Shelburne, en Nouvelle-Écosse, et qui devait aussi se rendre à trois heures de la côte», explique O’Neil Cloutier.
ENTENTES DE RÉCONCILIATION
D’autre part, il souhaite que le Regroupement soit consulté quand le ministère fédéral des Pêches et des Océans attribue aux Premières Nations une capacité de capture de homard en marge des ententes de réconciliation avec les peuples autochtones. L’attribution au printemps 2022 d’une pêche d’automne du homard à Listuguj sans la moindre consultation a laissé un goût amer chez les homardiers traditionnels.
«L’an passé, ils ont rendu officielle cette pêche amorcée en 2021, qui devait être un projet pilote leur permettant d’évaluer la pertinence ou non d’une capture d’automne. Elle est devenue une pêche commerciale en 2022. Ils ont déclaré la pêche officielle, sans consultation. On pensait que ça se limitait à Listuguj. Ils (toujours les gestionnaires de Pêches et Océans Canada) l’ont autorisée, en tant que pêche alimentaire, sociale et rituelle à Gesgapegiag. On l’a su presque par hasard. Ça signifie un ajout de 50 casiers nouveaux sur 10 semaines, durant la pêche commerciale printanière. Elle est partagée entre plusieurs permis de trois casiers», note O’Neil Cloutier, déçu.
«Pêcher pour l’alimentation sociale et rituelle, on se fait dire que ça se négocie de nation à nation, entre Gesgapegiag et le gouvernement fédéral. C’est moins dommageable que la pêche d’automne. C’est un nouveau type de pêche; c’est la surprise qu’on a. On attend Gespeg maintenant. Le chef de bande de Gespeg (Terry Shaw) a mentionné lors de la visite de la ministre (Murray, les 1er et 2 mars) qu’ils étudiaient une proposition. Il mentionnait qu’il devait y avoir plus d’argent en jeu. Pour nous, c’est la désolation de l’élément surprise. On ne fait pas partie de l’autre nation. On n’a pas le droit d’être représentés. Pourtant, nous avons travaillé très fort pour sauver cette ressource», précise M. Cloutier.
«Nous sommes d’accord pour régler ou tenter de régler les différends, d’accord avec le processus de réconciliation. Nous ne sommes pas d’accord quand c’est seulement le milieu des pêches qui paie dans le contexte actuel. On veut pêcher tous avec les mêmes règles, les mêmes plans de gestion. Pêcher à côté d’un autochtone, il n’y a pas de problème. On ne veut pas semer la polémique. On s’entend bien avec les gens de Gesgapegiag. Pourquoi pas travailler sous le même modèle? On peut voir au transfert de permis supplémentaires, s’il y a lieu. Oui, mais entendons-nous et faisons partie des discussions. Il y a d’autres secteurs d’activités que les pêches; il y a l’agriculture, la forêt, les mines. Mais on nous isole; on aimerait bien en discuter avec eux (les autochtones et les autorités fédérales). On veut que les peuples s’émancipent ensemble. On veut que les pêches durent pendant des décennies», assure O’Neil Cloutier.
AIRES PROTÉGÉES
Le directeur du RPPSG entend d’autre part demander des explications au cours du comité consultatif sur le homard, les 15 et 16 mars à Gaspé, au sujet de la cible de 30 % d’aires protégées visée par le gouvernement fédéral dans les eaux canadiennes en 2030. En Gaspésie, une partie du banc des Américains, situé au large de l’axe Percé-Gaspé, constitue une aire marine protégée depuis 2014.
«On a assisté à une seule rencontre à ce sujet. Lors de la création de l’aire marine protégée, ils (les autorités) nous disaient qu’ils allaient réintroduire graduellement les pêches les moins dommageables pour l’environnement. Neuf ans plus tard, il y a un grand espace, touchant les plus grandes profondeurs, et aucune capture n’a repris. On entend que la cible pourrait être portée à 20 % ou 25 % pour 2025. On est à 14 % et des poussières au Canada. Pendant ce temps, il y a des centaines de polluants qui descendent dans l’estuaire du Saint-Laurent jusqu’à Rimouski et qui nuisent à l’oxygénation de nos eaux. Ce qui se trame, c’est qu’ils veulent avoir un comité consultatif de l’aire protégée, pour faire des suggestions au comité de gestion de l’aire protégée. Des gens veulent agrandir l’aire protégée du banc des Américains. Je n’ai pas de certitude, mais je le soupçonne. Il faut réaliser que le banc des Américains, c’est l’un des seuls endroits où l’on (les pêcheurs côtiers) peut pêcher le flétan atlantique, et le crabe des neiges. Cette aire vient très proche de nos lieux de pêche», souligne M. Cloutier.
LA GASPÉSIE – pages 8 et 9 – Février-Mars 2023